Cette expression empruntée au Manuel
du libraire et de l’amateur de
livres, par
J.-C. Brunet (tome I, p. 724,
article « Collection de
petits classiques
français… ») désignait Diverses
petites poésies du chevalier
d’Aceilly, quatrième
volume de la Collection de
Petits Classiques françois (9
volumes in-16 publiés en 1825
et 1826), imprimée à 500
exemplaires aux frais et par
les soins de Charles Nodier et
du libraire-éditeur Nicolas
Delangle, en effet un joli
petit livre sorti de
l’imprimerie de Jules Didot
aîné et publié en 1825 sous
les auspices de la duchesse de
Berry. Rappelons
que Nodier avait
déjà consacré quatre pages à
Jacques de Cailly — le
nom réel du
chevalier
d'Aceilly — dans
le recueil Études
sur le
seizième siècle
et sur
quelques
auteurs rares
ou singuliers
du
dix-septième,,
édition
établie
par
Jacques-Remi
Dahan,
(Bassac, Plein
Chant,
imprimeur-éditeur,
janvier 2005,
pp. 325-328),
auteur
en 2003 de
Culture et
écriture dans
l'œuvre
de Charles
Nodier.
Dans les Diverses
petites poésies du chevalier d'Aceilly,
Nodier présentait l'auteur dans un
Avant-Propos où il signalait ne
pas avoir publié toutes ses petites
poésies mais avoir gardé la
préface du poète pour donner un
exemple de sa prose. Nodier et
Delangle ont choisi une très
courte poésie par page, souvent de
six vers, chacune d’elles
illustrée d’un bandeau, d’un
cul-de-lampe et commençant
par une lettrine. Même la
numérotation des pages, en
chiffres romains, et non arabes,
avait droit à un ornement
supplémentaire.
Mais qui était le
chevalier d’Aceilly ? Sous le
pseudonyme se cachait, comme on l'a dit,
Jacques de Cailly — les nobles méprisaient
les gens de lettres, d’où cet anagramme —,
né à Orléans en 1604, mort en 1673,
gentilhomme ordinaire du roi, chevalier de
l'ordre de Saint-Michel en 1656. En 1667 il
avait publié un petit in-12, Diverses
petites Poësies du chevalier d’Aceilly, premier volume
(Paris, André Cramoisy) où l’on pouvait
lire quelques épigrammes consacrées à son
travail de poète,
ainsi, page 52 de l’édition
Nodier-Delangle :
LA
VIE INUTILE.
J’étois né pour les vers,
j’étois né pour la prose
Pour vivre en paix, pour
chamailler ;
Et, pour peu que j’eusse eu dessein de
travailler,
Je semblois
né pour toute chose :
Mais, hélas ! je vois bien
Que je suis né pour rien.
Il justifiait (page 65) sa fantaisie,
annoncée dans le titre par l’adjectif
« diverses » :
LES VERS
DOIVENT
VENIR DU CAPRICE.
Qui
de moi voudra de beaux vers,
Que jamais il ne les
demande.
Je ne fais rien que de
travers
Quand la besogne est de
commande.
Le
chevalier savait pratiquer
l’auto-dérision, témoin cette épigramme
sur la page précédente :
MOYEN
DE SE CONTENTER.
Rien ne te
semble bon, rien ne sauroit te
plaire ;
Veux-tu de ce chagrin te
guérir désormais ?
Fais des vers, tu
pourras ainsi te
satisfaire ;
Jamais
homme n’en fit qu’il ait
trouvés mauvais.
Si les
nobles se refusaient à écrire ils aimaient
lire, ne serait-ce que pour avoir une
matière qui leur permît de briller dans les
salons, tandis que le chevalier d’Aceilly,
de son côté, écrivait en un style qui
reproduisait celui des conversations
mondaines. Le livre eut du succès, tant et
si bien que l’éditeur Michel Brunet donna en
1671 un Nouveau recueil de diverses
poésies du Chevalier d'Aceilly.
Après
la mort du chevalier, ses poésies furent
intégrées dans Voyage de Messieurs
Bachaumont et La Chapelle. Auquel
on a joint les Poésies du
Chevalier de Cailly, la Relation
des Campagnes de Rocroi et de Fribourg, et les
Visionnaires, Comédie
de Jean-des-Marets de l’Academie
Françoise : toutes Piéces excellentes
qui étoient devenues fort rares
(Amsterdam, Pierre de Coup, 1708). Le chevalier de
Cailly est loué en tant que poète dans Le
Parnasse français, par Titon du
Tillet, in-folio (imprimerie de J.-B.
Coignard, 1732), page 332, mais sans la
réimpression d’aucune de ses
poésies : « il prit le surnom de
DACEILLY, il a vécu sous le
ministère de Colbert. Le roi lui donna la
Croix de Chevalier de saint Michel. Il a
fait plusieurs Epigrammes fort belles et
très-estimées. Les Poësies du chevalier de
Cailly ont été imprimées à Paris en 1667,
on les a insérées dans un Recueil de
Pieces choisies, tant en Vers qu’en prose,
imprimé en deux volumes in-12 à Paris et
La Haye, 1714 ».
Être
publié dans un recueil et non seul peut être
jugé dévalorisant, mais il semble que le
chevalier de Cailly, vivant par système dans
le moment présent, ne se souciait guère de
la postérité — où bien faisait-il
semblant ? Quoi qu’il en fût, il tint à
donner son opinion (Diverses petites poésies
du chevalier d’Aceilly,
Paris, N. Delangle, 1825, p. 75)
:
DE LA POSTÉRITÉ
Vous
me prêchez à tous moments
Que la
postérité fera ses jugements
Sur tout ce
qu’en public nous aurons fait
paroître.
Je
m’embarrasse peu de la postérité,
Qui n’est
point aujourd’hui, qui n’a jamais été,
Et qui pourroit bien ne
pas être.
UN PEU D'HISTOIRE
LITTÉRAIRE.
Si l’on se place dans la
perspective de l’histoire littéraire, le
chevalier de Cailly est resté vivant non pas
à cause de ses poésies, mais pour avoir
écrit un quatrain étymologique
irrévérencieux à l'égard d'un personnage
de marque. Page 32 de l’édition de
Nodier et Nicolas Delangle on lit ce
quatrain mystérieux au premier abord et
pourvu d'un très long titre, "Sur
l’étymologie du mot italien ALFANA, qu’on
soutenoit venir du latin EQUUS"
[cheval, en français].
ALFANA vient d’equus sans
doute ;
Mais il faut avouer aussi
Qu’en venant de là jusqu’ici,
Il a bien changé sur la route.
Il faut remonter un peu plus haut dans
l’histoire du temps pour comprendre. Le
célèbre érudit Gilles Ménage (1613-1692)
avait donné dans son Dictionaire (sic) étymologique
ou
Origines de la langue françoise dont on connaît
une nouvelle édition publiée en 1694 après
sa mort, à l’article
« Haquenée » (nom d’un petit
cheval aisé à monter), ce qu’il pensait
être l’étymologie de ce mot. Pour lui il
venait du latin barbare, hakinea, formé sur le
mot du latin classique equus. Equus aurait donné akus, lui-même
transformé en akinea puis hakinea. Les
Arragonais, pour désigner un petit cheval
disaient faca au lieu de haca, puis on dit facana, qui devint par
contraction fana, d’où, avec
l’article arabe al, les Espagnols
ont fait le mot alfana, que les
Italiens leur ont emprunté. Ménage
connaissait l’épigramme du chevalier de
Cailly, mais beau joueur, il la citait
dans son dictionnaire : « il me
reste à faire part icy à mes Lecteurs de
cette belle épigramme que Mr le Chevalier
de Cailly a faite sur mon étymologie
d’alfana ».
Cela
dit, on trouve d’autres versions de
l’épigramme, ainsi au tome II de la Bibliothèque
poëtique… depuis Marot jusqu’aux Poëtes
de nos jours, par Adrien
Claude Le Fort de la Morinière(Paris,
Briasson libraire), 1745, page 133, où
« les métamorphoses » désigne
les Métamorphoses d’Ovide :
Qu’on m’assure qu’Alfana vienne
D’Equus,
d’Equa, de chien, de chienne,
Je ne m’en
étonnerai pas :
Ainsi dans
les métamorphoses,
D’Euphorbus
vient Pythagoras
Par
d’étranges métempsycoses.
Nodier, page 143 de son Dictionnaire
des onomatopées françaises
(Paris, Delangle-frères, 1828),
commentait à la fois l’étymologie de
Ménage et celle du chevalier de
Cailly :
« GALOT, GALOPER.
Nicod conjecture très
plausiblement que ces mots sont
faits par onomatopée du bruit des
chevaux qui galopent ;
mais je ne saurais convenir avec
lui et avec certains
étymologistes, qui ont partagé
son opinion, que le mot haquenée ait
été immédiatement formé sur une
racine naturelle de la même
espèce. Le haca des
Castillans, et le faca
des
Aragonais dont on le fait
dériver, descendent probablement
comme lui du latin equus, qui
a produit equina, et
en vieux français haquet et haquenée. Coquillard a dit :
Sus, sus,
allez vous-en, Jaquet,
Et
pansez le petit haquet,
Et lui
faites bien sa litière.
Puis
il concluait
que l’étymologie de Coquillard, confirmée
par Ménage, « a fourni une jolie
épigramme au chevalier de Cailly ;
mais l’étymologie restera, comme
l’épigramme. »
Les
rapports hommes-femmes dans les poésies du
chevalier d’Aceilly.
Pour choisir des poésies
adéquates, on s’est documenté dans l’édition
de Nodier, bien sûr, mais aussi dans deux
autres recueils, ce qui permettait de
distinguer entre elles plusieurs formes
d’amour ou de non-amour, ici classées
selon
le genre littéraire choisi par l'auteur.
ÉPIGRAMME.
AMOUR PEU CERTAINE.
Votre Amour, charmante Isabelle,
Doit être
une Amour éternelle,
Vous me
l’avez bien protesté.
Mais,
obligez-moi, que j’apprene
A quel jour
de cette semaine
Finira
cette éternité.
(Voyage de Messieurs
Bachaumont…,
Amsterdam, 1708, p. 233)
MADRIGAL.
DÉCLARATION
D'AMOUR.
Vous me
dites vingt
fois le jour,
Timandre, nommez-moi l’Objet de
vôtre Amour ;
Est-ce une telle ? Est-ce une
telle ?
Je ne vous dis point oui, je ne
vous dis point non ;
Mais, si vous ignorez le nom de
cette Belle,
Vous ne savez pas vôtre nom.
(Voyage de Messieurs
Bachaumont…, Amsterdam, 1708, p.
235)
LES
BEAUX YEUX MALADES. À Mme
DE NERANCI.
La justice du Ciel n’est pas
trop inhumaine
En
affligeant vos yeux, aimable
Néranci ;
Ils souffrent bien de
la peine :
Ils en ont bien fait
aussi.
(Annales
poétiques…,
Paris, 1782, tome XXI, p. 184)
MOITIÉ MADRIGAL MOITIÉ ÉPIGRAMME.
CAPRICE D’AMOUR.
Ce Caprice me semble extrême :
Iris,
sans doute, a des appas :
Je l’aime, dans les temps qu’elle ne
m’aime pas,
Et je ne l’aime pas, dans les temps
qu’elle m’aime.
(Voyage
de Messieurs Bachaumont…, Amsterdam, 1708, p.
271)
À LA LIMITE DE L'ÉROTISME.
LE BAISER DE RENCONTRE.
L’autre jour j’eus le bien de saluer
Selvage :
D’abord je la baisai d’un côté du
visage,
Et, dans ce doux moment, je me
sentis heureux.
Je la baisai de l’autre, et me
sentis de même.
Yvre de ces douceurs, j’en cherchais
un troisième :
Ah ! que j’eus de dépit de n’en
trouver que deux.
(Voyage de Messieurs
Bachaumont…, Amsterdam,
1708, p. 244)
ANTI-MADRIGAL.
A DAMON.
La
faim pressoit ta femme ; elle a
dîné sans toi,
Damon :
je ne vois pas de quoi
Gronder
comme tu fais, et faire tant de
gloses.
Dîner sans
son époux est-ce un si grand
péché ?
Ta femme a
fait sans toi de plus étranges
choses,
Dont tu ne t'es pas tant fâché.
(Annales poétiques, Paris, 1782, tome XXI, p. 168)
SATIRE.
LE
PORTRAIT D'IRIS
Celui qui peignit ton visage
A si bien fait, que ton image
Lui ressemble admirablement.
Iris, c’est ton
désavantage ;
Te voilà laide doublement.
(Annales
poétiques, Paris, 1782, t. XXI, p. 196)
LE PUCELAGE FEINT.
Quand vous feignez d’être
pucelle,
Vous me
tenez pour innocent :
En âge où
vous êtes, la Belle,
Un pucelage
est indécent ;
Et tout de
bon je vous proteste,
Que, quand
vous en auriez eu cent,
Je ne
croirois pas maintenant
Que vous en
eussiez un de reste.
(Annales poétiques, Paris, 1782, t.
XXI, p. 174)
RÉALISTE
? DÉSENCHANTÉ ?
D’UNE
FEMME ET DE SON
MARI.
La femme a son favori,
Le mari sa
favorite ;
Ainsi voilà
quitte à quitte
Et la
femme, et le mari.
(Annales
poétiques,
Paris, 1782, tome XXI, p. 188)
HUMOUR
NOIR.
A UN MARI
QUI
BAT SA FEMME.
Battre ta femme de la
sorte,
Sous tes pieds la laisser
pour morte,
Et d’un bruit scandaleux
les voisins alarmer !
Tu vas passer pour un
infâme ;
Compère, l’on sait bien
qu’il faut battre une femme ;
Mais il ne faut pas l’assommer.
(Annales poétiques,
Paris, 1782, tome XXI, p. 191)
Pour
terminer, citons l’unique (?)
jeu de mots que l’on ait trouvé chez
Jacques de Cailly, alias chevalier
d’Aceilly :
D’UN
COMTE.
De ce comte, qui toujours rit
À chaque parole qu’on dit,
Avec raison nous pouvons dire
Que c’est un Comte fait pour rire.