ÉDITIONS PLEIN CHANT

Avril 2020






 Un poète oublié, le chevalier d'Aceilly



Un joli joujou littéraire.



Cette expression empruntée au Manuel du libraire et de l’amateur de livres, par J.-C. Brunet (tome I, p. 724, article « Collection de petits classiques français… ») désignait Diverses petites poésies du chevalier d’Aceilly
, quatrième volume de la Collection de Petits Classiques françois (9 volumes in-16 publiés en 1825 et 1826), imprimée à 500 exemplaires aux frais et par les soins de Charles Nodier et du libraire-éditeur Nicolas Delangle, en effet un joli petit livre sorti de l’imprimerie de Jules Didot aîné et publié en 1825 sous les auspices de la duchesse de Berry. Rappelons que Nodier avait déjà consacré quatre pages à Jacques de Cailly — le nom réel du chevalier d'Aceilly — dans le recueil Études sur le seizième siècle et sur quelques auteurs rares ou singuliers du dix-septième,, édition établie par Jacques-Remi Dahan, (Bassac, Plein Chant, imprimeur-éditeur, janvier 2005, pp. 325-328), auteur en 2003 de Culture et écriture dans l'œuvre de Charles Nodier.

Dans les Diverses petites poésies du chevalier d'Aceilly Nodier présentait l'auteur dans un Avant-Propos où il signalait ne pas avoir publié toutes ses petites poésies  mais avoir gardé la préface du poète pour donner un exemple de sa prose. Nodier et Delangle ont choisi une très courte poésie par page, souvent de six vers, chacune d’elles illustrée d’un bandeau, d’un cul-de-lampe et commençant  par une lettrine. Même la numérotation des pages, en chiffres romains, et non arabes, avait droit à un ornement supplémentaire.





Mais qui était le chevalier d’Aceilly ? Sous le pseudonyme se cachait, comme on l'a dit, Jacques de Cailly — les nobles méprisaient les gens de lettres, d’où cet anagramme —, né à Orléans en 1604, mort en 1673, gentilhomme ordinaire du roi, chevalier de l'ordre de Saint-Michel en 1656. En 1667 il avait publié un petit in-12, Diverses petites Poësies du chevalier d’Aceilly, premier volume (Paris, André Cramoisy) où l’on pouvait lire quelques épigrammes consacrées à son travail de poète, ainsi, page 52 de l’édition Nodier-Delangle :

 

                      LA VIE INUTILE.

J’étois né pour les vers, j’étois né pour la prose
     Pour vivre en paix, pour chamailler ;
Et, pour peu que j’eusse eu dessein de travailler,

     Je semblois né pour toute chose :

           Mais, hélas ! je vois bien

           Que je suis né pour rien.


Il justifiait (page 65) sa fantaisie, annoncée dans le titre par l’adjectif « diverses » :
 

 
                        
                      LES VERS

          DOIVENT VENIR DU CAPRICE.

Qui de moi voudra de beaux vers,
Que jamais il ne les demande.
Je ne fais rien que de travers
Quand la besogne est de commande.


Le chevalier savait pratiquer l’auto-dérision, témoin cette épigramme sur la page précédente :

 

MOYEN DE SE CONTENTER.

Rien ne te semble bon, rien ne sauroit te plaire ;
Veux-tu de ce chagrin te guérir désormais ?

Fais des vers, tu pourras ainsi te satisfaire ;
Jamais homme n’en fit qu’il ait trouvés mauvais.


Si les nobles se refusaient à écrire ils aimaient lire, ne serait-ce que pour avoir une matière qui leur permît de briller dans les salons, tandis que le chevalier d’Aceilly, de son côté, écrivait en un style qui reproduisait celui des conversations mondaines. Le livre eut du succès, tant et si bien que l’éditeur Michel Brunet donna en 1671 un Nouveau recueil de diverses poésies du Chevalier d'Aceilly.

Après la mort du chevalier, ses poésies furent intégrées dans Voyage de Messieurs Bachaumont et La Chapelle. Auquel on a joint les Poésies du Chevalier de Cailly, la Relation des Campagnes de Rocroi et de Fribourg, et les Visionnaires, Comédie de Jean-des-Marets de l’Academie Françoise : toutes Piéces excellentes qui étoient devenues fort rares (Amsterdam, Pierre de Coup, 1708). Le chevalier de Cailly est loué en tant que poète dans Le Parnasse français, par Titon du Tillet, in-folio (imprimerie de J.-B. Coignard, 1732), page 332, mais sans la réimpression d’aucune de ses poésies : « il prit le surnom de DACEILLY, il a vécu sous le ministère de Colbert. Le roi lui donna la Croix de Chevalier de saint Michel. Il a fait plusieurs Epigrammes fort belles et très-estimées. Les Poësies du chevalier de Cailly ont été imprimées à Paris en 1667, on les a insérées dans un Recueil de Pieces choisies, tant en Vers qu’en prose, imprimé en deux volumes in-12 à Paris et La Haye, 1714 ».

Être publié dans un recueil et non seul peut être jugé dévalorisant, mais il semble que le chevalier de Cailly, vivant par système dans le moment présent, ne se souciait guère de la postérité — où bien faisait-il semblant ? Quoi qu’il en fût, il tint à donner son opinion (Diverses petites poésies du chevalier d’Aceilly, Paris, N. Delangle, 1825, p. 75) :

 

               DE LA POSTÉRITÉ

     Vous me prêchez à tous moments
Que la postérité fera ses jugements
Sur tout ce qu’en public nous aurons fait paroître.
Je m’embarrasse peu de la postérité,
Qui n’est point aujourd’hui, qui n’a jamais été,
     Et qui pourroit bien ne pas être.



UN PEU D'HISTOIRE LITTÉRAIRE.


Si l’on se place dans la perspective de l’histoire littéraire, le chevalier de Cailly est resté vivant non pas à cause de ses poésies, mais pour avoir écrit un quatrain étymologique irrévérencieux à l'égard d'un personnage de marque. Page 32 de l’édition de Nodier et Nicolas Delangle on lit ce quatrain mystérieux au premier abord et pourvu d'un très long titre, "Sur l’étymologie du mot italien ALFANA, qu’on soutenoit venir du latin EQUUS" [cheval, en français].

 

ALFANA
vient d’equus sans doute ;
Mais il faut avouer aussi
Qu’en venant de là jusqu’ici,
Il a bien changé sur la route.


Il faut remonter un peu plus haut dans l’histoire du temps pour comprendre. Le célèbre érudit Gilles Ménage (1613-1692) avait donné dans son Dictionaire (sic) étymologique ou Origines de la langue françoise dont on connaît une nouvelle édition publiée en 1694 après sa mort, à l’article « Haquenée » (nom d’un petit cheval aisé à monter), ce qu’il pensait être l’étymologie de ce mot. Pour lui il venait du latin barbare, hakinea, formé sur le mot du latin classique equus. Equus aurait donné akus, lui-même transformé en akinea puis hakinea. Les Arragonais, pour désigner un petit cheval disaient faca au lieu de haca, puis on dit facana, qui devint par contraction fana, d’où, avec l’article arabe al, les Espagnols ont fait le mot alfana, que les Italiens leur ont emprunté. Ménage connaissait l’épigramme du chevalier de Cailly, mais beau joueur, il la citait dans son dictionnaire : « il me reste à faire part icy à mes Lecteurs de cette belle épigramme que Mr le Chevalier de Cailly a faite sur mon étymologie d’alfana ».

Cela dit, on trouve d’autres versions de l’épigramme, ainsi au tome II de la Bibliothèque poëtique… depuis Marot jusqu’aux Poëtes de nos jours, par Adrien Claude Le Fort de la Morinière (Paris, Briasson libraire), 1745, page 133, où « les métamorphoses » désigne les Métamorphoses d’Ovide :

 

Qu’on m’assure qu’Alfana vienne

D’Equus, d’Equa, de chien, de chienne,
Je ne m’en étonnerai pas :
Ainsi dans les métamorphoses,
D’Euphorbus vient Pythagoras
Par d’étranges métempsycoses.


Nodier, page 143 de son Dictionnaire des onomatopées françaises (Paris, Delangle-frères, 1828), commentait à la fois l’étymologie de Ménage et celle du chevalier de Cailly :

« GALOT, GALOPER. Nicod conjecture très plausiblement que ces mots sont faits par onomatopée du bruit des chevaux qui galopent ; mais je ne saurais convenir avec lui et avec certains étymologistes, qui ont partagé son opinion, que le mot haquenée ait été immédiatement formé sur une racine naturelle de la même espèce. Le haca des Castillans, et le faca des Aragonais dont on le fait dériver, descendent probablement comme lui du latin equus, qui a produit equina, et en vieux français haquet et haquenée. Coquillard a dit :

Sus, sus, allez vous-en, Jaquet,
Et pansez le petit haquet,
Et lui faites bien sa litière.


Puis il concluait que l’étymologie de Coquillard, confirmée par Ménage, « a fourni une jolie épigramme au chevalier de Cailly ; mais l’étymologie restera, comme l’épigramme. »

Les rapports hommes-femmes dans les poésies du chevalier d’Aceilly.


Pour choisir des poésies adéquates, on s’est documenté dans l’édition de Nodier, bien sûr, mais aussi dans deux autres recueils, ce qui permettait de distinguer entre elles plusieurs  formes d’amour ou de non-amour, ici classées selon le genre littéraire choisi par l'auteur.



ÉPIGRAMME.

 

AMOUR PEU CERTAINE.


Votre Amour, charmante Isabelle,

Doit être une Amour éternelle,
Vous me l’avez bien protesté.
Mais, obligez-moi, que j’apprene
A quel jour de cette semaine
        Finira cette éternité.

(Voyage de Messieurs Bachaumont…, Amsterdam, 1708, p. 233)

MADRIGAL.

 
     
 DÉCLARATION D'AMOUR.

     Vous me dites vingt fois le jour,
Timandre, nommez-moi l’Objet de vôtre Amour ;
      Est-ce une telle ? Est-ce une telle ?
Je ne vous dis point oui, je ne vous dis point non ;
Mais, si vous ignorez le nom de cette Belle,
      Vous ne savez pas vôtre nom.

(Voyage de Messieurs Bachaumont…, Amsterdam, 1708, p. 235)

 

        
         LES BEAUX YEUX MALADES.
                À Mme DE NERANCI.

La justice du Ciel n’est pas trop inhumaine
En affligeant vos yeux, aimable Néranci ;
      Ils souffrent bien de la peine :
      Ils en ont bien fait aussi.

(Annales poétiques…, Paris, 1782, tome XXI, p. 184)


MOITIÉ MADRIGAL MOITIÉ ÉPIGRAMME.
 

 

CAPRICE
D’AMOUR.


        Ce Caprice me semble extrême :
        Iris, sans doute, a des appas :
Je l’aime, dans les temps qu’elle ne m’aime pas,
Et je ne l’aime pas, dans les temps qu’elle m’aime.
(Voyage de Messieurs Bachaumont…, Amsterdam, 1708, p. 271)


À LA LIMITE DE L'ÉROTISME.


 

LE BAISER DE RENCONTRE.


L’autre jour j’eus le bien de saluer Selvage :
D’abord je la baisai d’un côté du visage,
Et, dans ce doux moment, je me sentis heureux.
Je la baisai de l’autre, et me sentis de même.
Yvre de ces douceurs, j’en cherchais un troisième :
Ah ! que j’eus de dépit de n’en trouver que deux.

(Voyage de Messieurs Bachaumont…, Amsterdam, 1708, p. 244)

ANTI-MADRIGAL.


 

A DAMON.


 La faim pressoit ta femme ; elle a dîné sans toi,
          Damon : je ne vois pas de quoi
Gronder comme tu fais, et faire tant de gloses.
Dîner sans son époux est-ce un si grand péché ?
Ta femme a fait sans toi de plus étranges choses,
          Dont tu ne t'es pas tant fâché.
(Annales poétiques, Paris, 1782, tome XXI, p. 168)

SATIRE.

 

  
   LE PORTRAIT D'IRIS

Celui qui peignit ton visage
A si bien fait, que ton image
Lui ressemble admirablement.
Iris, c’est ton désavantage ;
Te voilà laide doublement.

(Annales poétiques, Paris, 1782, t. XXI, p. 196)

 

LE PUCELAGE FEINT.


Quand vous feignez d’être pucelle,
Vous me tenez pour innocent :
En âge où vous êtes, la Belle,
Un pucelage est indécent ;
Et tout de bon je vous proteste,
Que, quand vous en auriez eu cent,
Je ne croirois pas maintenant
Que vous en eussiez un de reste.

(Annales poétiques, Paris, 1782, t. XXI, p. 174)

RÉALISTE ? DÉSENCHANTÉ ?

 

D’UNE FEMME

ET
DE SON MARI.

La femme a son favori,
Le mari sa favorite ;
Ainsi voilà quitte à quitte
Et la femme, et le mari.

(Annales poétiques, Paris, 1782, tome XXI, p. 188)

HUMOUR NOIR.

 

A UN MARI

QUI BAT SA FEMME.

Battre ta femme de la sorte,
Sous tes pieds la laisser pour morte,
Et d’un bruit scandaleux les voisins alarmer !
Tu vas passer pour un infâme ;
Compère, l’on sait bien qu’il faut battre une femme ;
Mais il ne faut pas l’assommer.
(Annales poétiques, Paris, 1782, tome XXI, p. 191)


Pour terminer, citons l’unique (?) jeu de mots que l’on ait trouvé chez Jacques de Cailly, alias chevalier d’Aceilly  :

 

D’UN COMTE.

De ce comte, qui toujours rit
À chaque parole qu’on dit,
Avec raison nous pouvons dire
Que c’est un Comte fait pour rire.










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