ÉDITIONS PLEIN CHANT

(Les Amis de Plein Chant)

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Janvier 2023








Résurrection
du
marquis d'Argens ?




  


      

 

 

1. D'Argens et Thérèse philosophe.

 

 

Le marquis d’Argens (1703-1771) a fait récemment un retour dans l’actualité littéraire. Citons par exemple les Actes du colloque international de 1988, par Jean-Louis Vissièrepublié en 1990. On avait longtemps vu en lui l’auteur de Thérèse philosophe ou Mémoire pour servir à l’histoire du P. Dirrag et de Mlle Éradice sur la foi d’un passage de L’Histoire de Juliette ou les prospérités du vice par le marquis de Sade.  Dans ce livre,  Juliette  a   trouvé  en  explorant  la bibliothèque  d’un  moine   Thérèse philosophe, « ouvrage charmant du marquis d’Argens, le seul qui ait montré le but sans néanmoins l’atteindre tout à fait ; l’unique qui ait agréablement lié la luxure et l’impiété ». (L’Histoire de Juliette ou les prospérités du vice, dans Œuvres complètes du marquis de Sade, Paris, Au Cercle du Livre Précieux, tome VIII, p. 443). On notera la force du mot charmant, à prendre au sens ancien « qui a un charme », c’est-à-dire qui est « délicieux, ravissant, gracieux, joli » (Le Petit Robert de la langue française). Le livre, alors clandestin, fut beaucoup lu  – et regardé ! – en son temps. Rappelons aussi, mais dans un tout autre genre la création en 1954, par Éric Losfeld, des éditions des Chimères qui publièrent Thérèse philosophe.

Le recueil de la Pléiade Romanciers libertins du XVIIIe siècle (tome I), publié en 2000, donne à lire Thérèse philosophe en lui donnant pour nom d’auteur Boyer d’Argens, alors que le livre original, paru pour la première fois à La Haye [Paris ?] en 1748, une date  maintenant confirmée (voir Bibliographie des ouvrages érotiques publiés clandestinement en français entre 1650 et 1880 par Jean-Pierre Dutel, Chez l’auteur, 2009) ne donnait aucun nom d’auteur. La Notice  sur Thérèse philosophe de la Pléiade précise, page 1282, que « seul Thérèse philosophe fait aujourd’hui toute la célébrité de Boyer d’Argens, alors même que « l’attribution de l’œuvre au marquis est contestée ». Être connu pour un livre que l’on n’a pas écrit vous met dans une situation inconfortable, sinon absurde, mais peut-être l’attribution de Thérèse philosophe à Boyer d’Argens venait-elle d’un rapprochement inconscient avec l’autobiographie romancée du marquis, Le Solitaire philosophe, qui sonnait comme Thérèse philosophe ? Quoi qu’il en soit, le livre eut du succès ; Pascal Pia, dans Les livres de l’Enfer du XVIe siècle à nos jours [L’Enfer de la Bibliothèque Nationale de France où furent amassés les livres érotiques, réservés à des chercheurs qui devaient montrer patte blanche] a répertorié vingt-trois éditions de Thérèse Philosophe. Dans la réalité, les amateurs du livre appartenaient à deux mondes différents, celui des amateurs d’illustrations franchement pornographiques et celui des lecteurs qui préféraient un texte plutôt que des images du corps sexuel et  la représentation matérielle de tout ce qu’un homme ou une femme  pouvaient inventer de faire avec son sexe, sa bouche, la langue, ses mains — la flagellation, par exemple, active ou passive.

Dans le monde réel, le Père Dirrag était le jésuite Jean-Baptiste Girard — on notera le jeu des lettres pour former le pseudonyme de ce jésuite né en 1680, tout comme Éradice était le nom pareillement transformé de Catherine Cadière, dont Thérèse dit, dans le livre (page 55 de l’édition de L’Enfer de la Bibliothèque Nationale, volume 5, Fayard, 1986) « toutes deux vertueuses, notre passion dominante était d’avoir la réputation d’être saintes, avec une envie démesurée de parvenir à faire des miracles. » Le Père Dirrag, mort en 1733, avait été condamné en 1731 pour avoir violé avec beaucoup d'imagination la jeune Catherine Cadière, que les uns qualifieraient d’hystérique, les autres de mystique, mais qui ne fut jamais une innocente victime.

Puis l’attribution au marquis d’Argens de Thérèse philosophe fut décrétée fausse. Dans la Bibliographie des ouvrages relatifs à l’Amour, aux Femmes, au Mariage, par Jules Gay, sous le pseudonyme de M. le C. d’I*** (Paris, J. Gay éditeur, 1864) on lit dans la notice consacrée à Thérèse philosophe, colonne 378, que Barbier [Jean-François B. né en 1689, mort en 1771, auteur de Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, 1847] inclinait pour d’Arles de Montigni [François-Xavier d'Arles de Montigny, joueur et escroc], commissaire des guerres, c’est-à-dire chargé de l’administration de l’armée et qui, selon l’abbé Sepher (1710-1781), fut mis huit mois à la Bastille à cause de cet ouvrage. Oui, mais Jean-Jacques Pauvert refusera l'attribution à D'Arles de Montigny : « le marquis [Boyer d'Argens] n'est jamais nommé dans la procédure qui entoura la sortie du livre, et qui met en cause divers personnages encore moins susceptibles que lui, pour diverses raisons, d'avoir participé à sa rédaction : Darles (ou d'Arles) de Montigny, par exemple. » (Mes lectures amoureuses, La Musardine, 2011, page 39). Grimm [Friedrich G., 1723-1807), signalant dans la Correspondance avec Diderot la mort de Boyer d’Argens avait prédit juste : Boyer d’Argens « est l’auteur d’un nombre considérable de productions littéraires et philosophiques, dont aucune peut-être n’ira à la postérité, mais qui n’ont pas laissé que de trouver des lecteurs dans leur temps et d’avoir la vogue », une prédiction citée dans Un ami de Frédéric II, Mémoires du marquis d’Argens, publiés par Louis Thomas (Paris, Aux armes de France, 1941, page 72).

On n’est jamais si bien servi que par soi-même, dit la sagesse des nations : dans Le Solitaire philosophe, ou Mémoires de Mr. le marquis de Mirmon. Par Mr. L.M.D. [Le Marquis d’Argens] qui parut pour la première fois à Amsterdam, chez Westein & Smith en 1739,  page 119 le comte de Poncil admire la bibliothèque de son ami, le marquis de Mirmon, qui avait reçu, dit-il, « les Mémoires du Marquis d’Argens. Les avantures sont vrayes ; elles sont écrites d’un stile simple, et tel qu’il convient à un homme de condition. Il seroit à souhaiter que l’Auteur, qui a du génie et de la vivacité, eût un peu plus ménagé les gens dont il parle. Il y a quelques Lettres de lui, sur les mœurs de divers Peuples, qui les caractérisent assez bien. »

Et maintenant ? Si le marquis d’Argens n’est pas l’auteur de Thérèse philosophe, il faut reconnaître qu’il s’est rattrapé en publiant quantité de livres et de brochures.

 

2. Bibliographie du marquis d’Argens, mais non exhaustive.

 

Amour encapuchonné (L’) (La Haye, 1737, 1739, in-12).

Enchaînemens de l'amour et de la fortune (Les) ou Mémoires du marquis de Vaudreville, par d'Argens, tomes 1-2 (La Haye, Gibert), 1746.

Lettres cabalistiques, ou Correspondance philosophique, historique et critique, entre deux Cabalistes, divers Esprits élémentaires, et le Seigneur Astaroth. Nouvelle édition, augmentée de nouvelles Lettres et de quantité de Remarques, tome troisième (La Haye, Pierre Paupie, 1754).

Lettres chinoises ou Correspondance philosophique, historique et critique entre un Chinois voyageur à Paris [et] ses correspondans [correspondants] à la Chine, en Moscovie, en Perse et au Japon. Par l'auteur des Lettres juives et des Lettres cabalistiques. 5me édition, augmentée de plusieurs additions considérables, de remarques [...], d'une dissertation sur les disputes littéraires, de plusieurs nouvelles lettres, [et] d'une table des matières. (La Haye, Gosse ; Van Daalen, 1756).

Lettres chinoises ou Correspondance philosophique, historique et critique, entre un chinois voyageur à Paris et correspondans à la Chine, en Moscovie, en Perse et au Japon, par l'auteur des Lettres juives et des Lettres cabalistiques, 5 tomes (La Haye, Paupie).

Lettres Chinoises ou Correspondance philosophique, historique et critique, par l'auteur des Lettres juives et des Lettres cabalistiques. Nouvelle édition augmentée. - T. 1 - 5. (La Haye, Gosse)

Lettres Chinoises ou Correspondance philosophique, historique et critique entre un Chinois voyageur à Paris [et] ses correspondans [correspondants] à la Chine, en Moscovie, en Perse et au Japon. Par l'auteur des Lettres Juives et des Lettres cabalistiques. 5me édition, augmentée de plusieurs additions considérables, de remarques... d'une dissertation sur les disputes littéraires, de plusieurs nouvelles lettres, [et] d'une table des matières, La Haye, Gosse ; Van Daalen, 1756.

Lettres Juives, ou Correspondance philosophique, historique et critique, entre un Juif voyageur en differens Etats de l'Europe, et ses correspondans en divers endroits. Nouvelle édition, augmentée de nouvelles lettres et de quantité de remarques. - T. 1 - 8. (La Haye, Pierre Paupie, 1764).

Lettres Juives, ou Lettres d'un Juif en Voyage à Paris à ses Amis en divers Endroits (La Haye, Pierre Paupie, 1735-1737.

Lettres Juives, ou Correspondance philosophique, historique et critique entre un juif voyageur en différents États de l'Europe, et ses correspondants en divers endroits. Nouvelle édition augmentée de XX Nouvelles Lettres, de quantité de remarques, et de plusieurs figures ; 6 tomes (La Haye, Paupie, 1738).

Lettres juives ou Correspondance philosophique, historique et critique, entre un juif voyageur en différents États de l'Europe et ses correspondants en divers endroits. Nouvelle édition augmentée, tomes I-VI, (La Haye, Paupie, 1742). On ajoute ici une note afin de signaler que d’Argens, dans Les huit philosophes avanturiers de ce siècle, 1752 (Hachette livre BNF), sous-titré Ou rencontre imprévue de Messieurs Voltaire, d’Argens, Maupertuis, Marivaut [sic], Prevôt [sic], Crebillon, Mouhi et de Mainvillers, Dans l’Auberge de Mad. Tripaudiere à l’enseigne d’Uranie, Comedie de nos jours (La Haye, Étienne Louis Saurel, 1752), proclame : « Je n’ai rien à vous dire, mes chers Seigneurs, sinon que m’étant avisé de faire le mutin avec un Pere [sic] encore plus mutin, je me suis mis en société de Doctrine et de Lettres avec les Juifs, et c’est depuis ce tems-là que je suis forcé d’être le Juif errant. »

Lettres morales et critiques sur les différens états et les diverses occupations des hommes (Amsterdam, Chareau et Du Villard, 1746).

Lettres philosophiques et critiques (La Haye, De Hondt, 1738).

Mémoires du marquis de Mirmon, ou le Solitaire philosophe, par L. M. D. [le marquis d’Argens] (Amsterdam, Wetstein et Smith, 1736).

Mémoires de Monsieur le marquis d'Argens, avec quelques lettres sur divers sujets. (Londres, Aux dépens de la Compagnie, 1735).

Mémoires secrets de la République des Lettres ou, Le Théâtre de la vérité. Par l'auteur des Lettres juives. T.-14. (Amsterdam, Desborde)

Mémoires de Monsieur le marquis de St.*** ou les amours fugitifs du cloître. tomes 1-2 (Amsterdam, aux dépens de la Compagnie).

Mémoires pour servir à l'histoire de l'Esprit et du Cœur. Par Monsieur Le marquis d'Arg*** chambellan de sa majesté le Roi de Prusse, directeur de L'Académie royale des sciences et des belles-lettres de Berlin, et par Mademoiselle Cochois [la future femme du marquis d’Argens] (La Haye, de Hondt, 1754).

Mentor cavalier (Le) ou les illustres infortunés de notre siècle, par le marquis d’Argens (Londres, 1736, in-12

Nones [Nonnes] galantes (Les) ou l'Amour enbeguiné (La Haye, 1740).

Lettres cabalistiques ou Correspondance philosophique, historique et critique entre deux cabalistes, divers esprits élémentaires et le seigneur Astaroth, 7 volumes (La Haye, chez Pierre Paupie, Hollande, 1769).

Solitaire philosophe (Le), ou Mémoires de Mr. le marquis de Mirmon, par Mr. L.M.D [le marquis d’Argens] (Amsterdam, Wetstein et Smith, 1739.

Philosophie du bon-sens (La), ou Réflexions philosophiques sur l'incertitude des connoissances humaines à l'usage des Cavaliers et du beau-sexe (London, 1738).

Philosophie du bon sens (La) ou Réflexions philosophiques sur l'incertitude des connoissances humaines, par Monsieur le marquis D'Argens. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée d'un Examen critique des remarques de M. l'abbé d'Olivet... sur la théologie des philosophes grecs. - Tomes 1-2 (La Haye, Pierre Paupie, 1740).

Philosophie du bon-sens (La), ou Réflexions philosophiques sur l'incertitude des connoissances humaines. Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée d'un Examen critique des remarques de M.. l'abbé d'Olivet... sur la théologie des philosophes grecs. Tomes 1 et 2 (La Haye, Pierre Paupie, 1746). Réédition de l'édition de 1741).

Philosophie du bon-sens (La), ou Réflexions philosophiques sur l’incertitude des connoissances humaines, à l'usage des Cavaliers [et] du Beau-Sexe. Huitième édition corrigée, augmentée de deux Dissertations morales, sur les douceurs de la société et sur la vie heureuse ; de plusieurs nouvelles notes ; et d'un Examen critique des remarques De M. L'Abbé... sur la Théologie des philosophes grecs (Paris 1755). Dans l’avant-propos du livre Le Bon sens ou idées naturelles opposées aux idées surnaturelles, par le baron Thiry d’Holbach (éditions rationalistes, 1971) on lit, page XIII, ce commentaire de la Philosophie du bon-sens dû au philosophe universitaire Jean Deprun (1923-2006) : « L’orientation philosophique de la  Philosophie du bon sens est à peu près celle des Lettres philosophiques de Voltaire : le déisme s’y associe à la contestation discrète de la spiritualité de l’âme et de la création du monde. […] le marquis d’Argens refuse de se prononcer sur les mécanismes profonds de la nature ; sa pensée est positiviste. »

En guise de conclusion, voici un jugement moins superficiel qu’il ne paraît, pris dans Frédéric II, Collection des plus belles pages (Paris, Mercure de France, 1935), page 155 : « Le marquis d’Argens étoit honnête homme et vrai philosophe. Il possédait beaucoup de connoissances et savoit en faire usage. Son style avait quelquefois la diarrhée, et c’était par une suite de sa paresse qui l’empêchait de corriger ce qu’il donnait au public. À peine avoit-il achevé un cahier que, sans le relire, il l’envoyait au libraire. » Et rappelons, pour finir,  ce morceau poétique appartenant au même ouvrage, page 200 :

 

Je ne m’étonne point, d’Argens,

Que ta sagesse aime la vie ;

Enfant des arts et d’Uranie,

Bercé par la douceur des chants

Des Grâces et de Polymnie,

Sybarite tranquille, abreuvé d’ambroisie,

Tes destins sont égaux, tes désirs sont contens.

Ainsi sans crainte et sans envie,

Sans chagrins, noirceurs ni tourmens,

Ta prudente philosophie

Trouve dans ces amusemens

Que ton goût sagement varie,

Avec ta moitié tant chérie,

Sur le trône des agrémens,

Couvert des ailes du génie,

Le paradis des fainéans.

 

F I N


 



    
 



  



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