IX. BAGATELLE.
2 Juin 1718
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La première
image
qu'un objet extérieur communique à notre
cerveau, est extrêmement mince et déliée ;
c'est comme une légère vapeur qui se
dissipe peu à peu, sans laisser la moindre
trace. Mais ce même objet s'offre
plusieurs fois de suite, chaque fois qu'il
se présente, son image se nourrit, se
fortifie, et acquiert, pour ainsi dire, un
certain poids et une certaine consistance,
qui souvent la fait subsister aussi
longtemps que la machine même.
Imaginons-nous à présent,
qu'il y a dans le cerveau une infinité de
ces petits Êtres merveilleux et
incompréhensibles, et qu'ils y ont chacun
leur niche, où ils peuvent se cacher.
Cependant ils ne sont jamais tous dans la
retraite : il y en a toujours qui se
promènent de côté et d'autre, et qui
passant devant les niches de quelqu'autre
image, qui peut avoir avec eux
quelque conformité réelle ou imaginaire,
l'attirent et l'unissent avec elle. Un
nouveau venu produit d'ordinaire cet effet
; dès qu'il se présente, il se fait un
terrible
remue-ménage parmi
toutes les
images, qui se flattent
de lui ressembler en quelque chose.
Or comme, selon ma
supposition il n'y a aucun Être actif et
intelligent qui, par sa présence, puisse
arrêter ou diriger le cours de ces images
vagabondes, tout ressemble dans le cerveau
au
concours fortuit des Atomes.
Deux images s'accrochent ; elles en
trouvent une troisième, qui s'y attache
encore […]
Ce sont ces sortes de chaînes
qui forment ce qu'on appelle
habitudes,
les passions et le tempérament les
fortifient, et à leur tour elles
fortifient le tempérament et les passions.
Voilà, si je ne me trompe, une idée
exacte et claire du mécanisme du Cerveau.
Il ne me reste qu'à prouver qu'il n'y a
rien de plus dans le cerveau d'un grand
nombre d'hommes, non plus que dans celui
des Animaux.