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Nodier, dans la Description raisonnée
d’une jolie collection de livres — sa propre collection
— parue chez J. Techener en 1844, avait signalé
(n° 946) le petit ouvrage (46 pages in-16)
suivant : « RELATIONS du
royaume de CANDAVIA
envoyées à
madame la comtesse de ***, imprimées à Jovial, chez Staket [Stucket]
le Goguenard, rue des Ficores [Fièvres] chaudes, à
l’enseigne des rêves. Paris, Jacques Josse, in-12,
mar[oquin] rouge, janséniste.
Voici
le début
du texte :
« Nous partîmes
le 15 des réchauds de l’année
climatérique, pour arriver dans la
province du Dexa. Nous prîmes une
litière. Les litières de ce pays ne
sont autre chose que des étuis à
peigne de faïence, tirés par trois
chats-huants et un poireau. Nous
rencontrâmes un navire, porteur d’une
cargaison de tambours de basque,
d’amidon gris pommelé, et de
castagnettes de verre battu à froid.
Nous passâmes devant le promontoire
des manches à balai : on le nomme
ainsi parce qu’un turbot et deux
truites, ayant pris la résolution de
quitter le monde, se retirèrent dans
cet endroit, s’occupant à filer des
pierres à fusil. Le roi de Candavia
est fait comme un etc. : il a un
œil sur chaque épaule et trois cors
aux pieds sur la langue ; les
rideaux de son lit sont faits de neige
fondue au soleil, et on lui sert, à
chacun de ses repas, un plat de
béquilles bouillies. La reine a la
tête en flageolet cassé, et les mains
en chapon gelé ; pour chaussures,
des bas de cire d’Espagne. Sa robe est
de paille d’avoine avec des agréments
de plâtre ; elle porte, sur une
perruque de groseilles blanche, une
couronne d’ébène bleue, fermée à deux
crochets de langues de scorpions,
bouts-rimés, surmontés de culs
d’artichauts avec un ruban de
fer-blanc à triples blondes. Sa
Majesté fit des cadeaux à plusieurs de
ses courtisans. A l’un elle donna un
cochon de lait de fruit de Raguse, qui
parlait dix-sept sortes de langues
sans savoir ce qu'il disait ; à
un autre, une puce danoise qui jouait
de la flûte traversière à livre
ouvert. Celui-ci reçut le miroir de
toilette de la mère nourrice de Rémus
et de Romulus, doublé du mois d’avril
; et celui-là, un carrosse de points à
l’aiguille, attelé de deux poules
d’eau. Quatre grives à l’étuvée,
attelées à un entonnoir de cresson,
nous conduisirent ensuite à la
capitale d’une autre province. Les
habitants sont vêtus d’étoffe faite
avec des soupirs de bouleau de
vermeil, et leurs maisons sont bâties
d’appeaux pour attraper des cailles de
bois de cèdre. On nous montra un
chariot de gomme arabique, dans lequel
la reine prend souvent le plaisir de
la chasse aux escargots, lorsqu’ils
savent leurs syllogismes. »
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Nodier commentait : « Ce
livre imprimé en 1715, comme on le voit par le
privilége [privilège], paroît être le prototype
d'un jargon fort singulier et fort extravagant
dont on a jusqu'ici attribué l'invention à Vadé,
et que certains mystificateurs des premières
années de notre siècle avoient remis en vogue.
C'est une langue factice, dont le secret consiste
à former des phrases composées de mots étonnés
d'être ensemble, et qui ne présentent aucune
espèce de sens imaginable, quoiqu'elles semblent
se rapporter à un sens suivi et continu. Les
deux plaidoyers de Rabelais peuvent en donner
quelque idée. On appeloit cela le bagou. Les Relations
de Candavia
sont un ouvrage tout à fait inconnu de Barbier
et des autres bibliographes que j'ai pu
consulter. C'est un petit volume FORT RARE et
des plus extraordinaires que présente la nombreuse
classe des Facéties. »
Précisons que « les deux
plaidoyers de Rabelais » se trouvent dans Pantagruel aux chapitres X
(« Comment les seigneurs de Baisecul et
Humevesne plaidoient devant Pantagruel sans
advocat ») et XII (« Comment le
seigneur de Humevesne plaidoie devant
Pantagruel »), Pantagruel devant dire le
quel est le meilleur plaidoyer, celui du
seigneur de Baisecul ou celui du seigneur de
Humevesne (nom formé avec le verbe humer signifiant boire et
le substantif vesse, le pet).
Gustave Brunet, bien connu pour sa Bibliothèque
bibliophilo-facétieuse en 3 volumes
(1852-1856), donnera au chapitre « Notes
sur quelques livres facétieux » de ses Fantaisies
bibliographiques (Paris, Jules Gay,
1864, réimprimé en 1970, Genève, Slatkine
Reprints), page 90, le début du texte des Relations
du royaume de Candavia.
Une
nouvelle édition des Relations du royaume de
Candavia parut
en 1731 (Paris, Louis de Heuqueville), revue et
augmentée par l’auteur, 51 pages in-12.
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