Pensées
d'un emballeur
par
Louis-Auguste Commerson
(Extraits)
Les Pensées d'un
emballeur sont citées
d’après le recueil Petite
Encyclopédie bouffonne contenant
les Pensées d’un emballeur, Les
Éphémérides et le Dictionnaire du
Tintamarre, etc., par Commerson
(Paris, Passard, libraire-éditeur,
1860 [1859 en réalité]). L’auteur,
Louis Auguste Commerson (1803-1879),
s’était fait connaître en tant que
directeur de l’hebdomadaire Le
Tintamarre, né
lui-même en 1843, après Le
Tam-Tam, et
sous-titré Critique de la réclame,
Satire des puffistes.
L’édition
originale parut sans date, sans doute en
1851, sous le titre Pensées d'un
emballeurpour
faire suite aux Maximes de
Larochefoucauld, par
Commerson (Martinon, libraire), avec une
préface de Nadar. Suivra Mayonnaise
d'Éphémérides et de Dictionnaire, assaisonnée
par
Joseph Citrouillard et retournée par les
deux hommes d'état du Tintamarre. Ouvrage
dédié à l’âge mûr et à l’impubère
(Martinon, libraire, s.d.). Précisons
que Joseph Citrouillard cachait à la
fois Commerson et Eugène Vachette.
On adopterait
volontiers le jugement de Philibert
Audebrand : « On
lit, on rit et l’on est charmé. On lit, on
rit et l’on médite. On lit, on rit, et
l’on se demande si l’auteur n’est pas le
plus grand des philosophes passés,
présents et futurs. On lit, on est charmé,
on médite, on admire et l’on rit
toujours. » (Un café de
journalistes sous Napoléon III,
E. Dentu, 1888, p. 339).
L'ail
vient en gousse, la vigne en pousse ;
la poule glousse, le rageur mousse ;
la jeunesse pousse, le poitrinaire tousse,
et l'éternité le pousse.
Le
ventre de M. Véron a beaucoup de volume,
mais l'éditeur Paulin en a bien
davantage.
Un
homme qui compte les pavés est un
flâneur ; un homme qui compte les
étoiles est un rêveur.
Orphée
pinçait sa lyre, le sergent de ville
pince les filous, le grinche pince les
serrures, Rigolette pince le cancan,
Rose-Pompon pince sa taille, une
dévote pince les lèvres, et mon gros
propriétaire pince… tout ce qu'il
peut. Il me disait l'autre soir
qu'il était plus facile de toucher
du piano que le montant de ses
loyers.
Aujourd'hui
tout le monde pose :
L'homme propose, la
femme dispose,
l'industrie expose, le
commerce dépose,
les consciences composent,
et les grands hommes reposent.
Voici
mon opinion sur la littérature
française : sous Louis XIV, c'était
de l'or ; au XVIIIe
siècle, c'était de
la dorure ; sous l'Empire et sous
la Restauration, c'était de
l’argenterie ; aujourd'hui, c'est
du Ruolz. Nous marchons vers le
maillechort.
Je
préfère le vermicelle au vert de gris.
La
lune est une vagabonde : elle ne
fait que changer de quartier.
Le
rossignol est un ténor qui possède la clef
des chants.
Il
y a différents genres de style oratoires
comme il y a différents genres de
broderies. Plaidoyers d'avocats, broderie
au métier ; proclamations militaires,
broderie au tambour ; discours
académiques, broderie au plumetis.
Probablement
j'irai l'été prochain à Bade ou à Vichy. —
Je flotte entre deux eaux.
Les
rats de la Bibliothèque royale
ne se refusent rien ; ils
vivent en rats qui ont quinze
cent mille LIVRES à manger par
an.
La
civilisation est le rabot des sociétés.
J'épouserais
plus volontiers une petite femme qu’une
grande, par cette raison que de deux
maux il faut choisir le moindre.
J'aime
mieux l’asperge que la poésie de M.
Ponsard ; au moins le vert est
toujours bon.
Il
y a beaucoup de gens poltrons
parmi les pharmaciens. Pourtant
j’en connais quelques-uns d’éther
minés.
Il
est plus difficile de garder
son sérieux que les dindons.
Poison
pour poison, je préfère l’art
scénique à l’arsenic.
Si
l’on construisait actuellement des
villes, on les bâtirait à la
campagne, l’air y serait plus sain.
La
tête est à la science ce qu’est
le bocal aux cornichons.
Une
preuve que tous les hommes sont
égaux, c’est qu’ils ont tous deux
pieds quatre pouces.
Je
lis plus facilement des vers de
Corneille que je n’en pourrais
manger une cuisse.
Je
préfère porter des crêpes à ma
bouche qu’à mon chapeau.
La
réalité c’est le
poisson ; la poésie en
est l’asticot.
La
ville où la guerre est
impossible est celle de
Troyes.