ÉDITIONS PLEIN CHANT

(LES AMIS DE PLEIN CHANT)

Octobre 2022






    





Quelques figures du Diable



On s’est limité pour l’essentiel à deux ouvrages sur le diable, aussi différents l’un de l’autre que possible : Le Diable à Paris, sous-titré Paris et les Parisiens, un recueil d’articles par vingt auteurs plus ou moins connus, publié pour la première fois à Paris en 1845 par J. [ules] Hetzel, qui donnait à lire dans ce recueil un « Court monologue de Flammèche » en deux pages, Flammèche étant une figure du diable. Le texte était signé St, abréviation du nom propre Stahl, nom de plume de Jules Hetzel que le lecteur avait déjà rencontré dans le Prologue du livre, sous-titré « Comment il se fit qu’un diable vint à Paris et comment ce livre [Le Diable à Paris] s’ensuivit ». Ci-dessous, voici à gauche la reproduction de l'image (due à Gavarni) placée dans Le Diable à Paris en face de la page de titre, représentant un diable géant, scrutateur, dominateur. La deuxième image surplombe la table des matières, on y  voit le diable déverser la corbeille qui contenait  les contributions des auteurs du Diable à Paris, et derrière lui un petit  diablotin, muni d'une corbeille plus grande que lui ou presque et s'apprêtant à les récupérer.
diable Paris

 

Notre  deuxième livre choisi pour avoir évoqué le diable est Le Diable amoureux, roman fantastique par J. Cazotte, précédé de sa vie, de son procès, et de ses prophéties et révélations par Gérard de Nerval (Paris, Léon Ganivet, 1845), une préface de 69 pages. À la lecture de ces deux livres, on a ajouté celle du Diable rouge. Almanach cabalistique pour 1850, par Gérard de Nerval et Henri Delaage, 64 pages, présentation par Michel Brix, réédité aux éditions Plein Chant dans la collection Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse, avec un achevé d’imprimer humoristique : « Achevé de ressusciter en mars 2013 dans les chaudrons de Plein Chant assez bon diable d’imprimeur-éditeur à Bassac (Charente) ».

Si l’on retire la jaquette du livre, on est ébloui par une couverture rouge et noire, couleurs diaboliques par excellence, le rouge de l’enfer et le noir de la méchanceté absolue du diable. Nerval et Delaage, cependant, adoucissent la chose : « Ne vous effrayez pas de ce personnage plus rubicon que ténébreux. Tous les diables ne sont pas noirs. — Celui-ci est, de sa nature, plutôt terrestre qu’infernal ; il n’a même pris part que médiocrement à la grande lutte qui eut lieu jadis dans les espaces célestes, et qui fut nommée la rébellion de Satan et de ses anges [Satan était le prince des mauvais anges], contre Adona (le Seigneur) et les siens » (p. 7). La page de titre impressionne par sa longueur, destinée à consolider la croyance du lecteur :

 

Diable rouge


LE DIABLE ROUGE

 

ALMANACH

 

CABALISTIQUE

 

Contenant le Tableau des influences qui dominent sur le physique et le moral de l’Homme,

ET LA NOMENCLATURE DES BONS ET DES MAUVAIS GÉNIES ;

 

ACCOMPAGNÉ DES

TABLES CABALISTIQUES

À L’AIDE DESQUELLES CHACUN PEUT TIRER SON HOROSCOPE ET PRÉVOIR SON AVENIR,

AINSI QUE CELUI DES AUTRES ;

 

Renfermant en outre des prédictions sur un grand nombre d’hommes politiques et des prophéties

curieuses sur les grands événements qui doivent arriver, entre autres les

 

PRÉDICTIONS DE NOSTRADAMUS POUR 1850,

Précédé d’un petit Traité sur les sciences occultes dans le passé, le présent et l’avenir, la magie de l’antiquité,

la sorcellerie du moyen âge, l’astrologie, l’alchimie, les talismans, le calcul des nombres,

la magie orientale, la divination, la cabale, le magnétisme, etc.

 

VIGNETTES PAR BERTALL, NADARD [sic], PASTELOT, ETC.

 

GRAVÉES PAR BAULANT.

 

Au cours du temps ce livre est devenu une curiosité, les uns haussaient les épaules devant le seul mot de cabale, les autres le lisaient en historiens des croyances, tandis que les fidèles lecteurs de Nerval l’ouvraient pour le plaisir de lire du Nerval.

Revenons au Diable à Paris. Le livre, sous-titré Paris et les Parisiens. Mœurs et coutumes, caractères et portraits des habitants de Paris, tableau complet de leur vie privée, publique, politique, artistique, littéraire, industrielle, etc., etc. parut en deux volumes (Paris, publié par J. Hetzel) illustrés par Gavarni. On y trouvait des contributions signées entre autres par George Sand, P.-J. Stahl, Léon Gozlan, Nodier, Balzac, Nerval, Théophile Gautier, Alfred de Musset. L’ouvrage parut en deux tomes, 1845 puis 1846, avec des illustrations de Gavarni, 380 pages en format 24/16. Un gros morceau…

Le mot diable se trouve la même année 1845, et dès le titre, dans Le Diable amoureux, Roman fantastique par J. Cazotte, précédé de sa vie, de son procès, et de ses prophéties et révélations, par Gérard de Nerval (Paris, Léon Ganivet, 1845), publié pour la première fois en 1772, sous le titre Le Diable amoureux, Nouvelle espagnole. Précisons que J. Cazotte était Jacques Cazotte, né à Dijon en 1719, guillotiné en 1792 pour sa fidélité au royalisme. Le titre semblait promettre un roman d’amour, un genre littéraire banal, mais Cazotte lui-même corrigeait en précisant que ledit roman était fantastique, autrement dit n’ayant rien à voir avec la réalité banale de tous les jours, celle dont se plaignait Laforgue, « Ah ! que la vie est quotidienne ». Cazotte appartenait en effet à cet ensemble d’auteurs ésotériques appelés illuminés, que les lecteurs d’aujourd’hui connaissent grâce à Nerval qui avait publié en 1852 Les Illuminés (Paris, Victor Lecou), où il avait consacré un chapitre à Jacques Cazotte, entre Restif de la Bretonne et Cagliostro.

L’histoire littéraire a révélé que tout fantaisiste qu’il se présentait dans son écriture du Diable amoureux, Cazotte avait, dans la réalité, appartenu à une loge martiniste, mais Nerval adoucissait la chose dans sa préface pour Le Diable amoureux : « Cazotte ne paraît pas avoir pris part aux travaux collectifs des illuminés martinistes, mais s’être fait seulement d’après leurs idées une règle de conduite particulière et personnelle. » (Le Diable amoureux (édition le Pot cassé, 1928, p. XLIV).

Voici maintenant Les Diaboliques, par Barbey d’Aurevilly, publié en 1874 et cité plus loin selon une réédition chez Alphonse Lemerre en deux volumes, sans date. C’est un recueil de nouvelles, d’historiettes si l’on veut, si bien que «Diaboliques » doit s’entendre « Nouvelles diaboliques » et non « Personnages diaboliques ». On lit dans la préface de la première édition réimprimée, page 1 : « Bien entendu qu’avec leur titre de DIABOLIQUES, elles n’ont pas la prétention d’être un livre de prières ou d’Imitation chrétienne… Elles ont pourtant été écrites par un moraliste chrétien, mais qui se pique d’observation vraie ». Page 3 : « Les DIABOLIQUES ne sont pas des diableries : ce sont des DIABOLIQUES, des histoires réelles ». Barbey d’Aurevilly se justifiait d’avoir écrit un livre injustifiable en son temps en se plaçant dans le champ de l’esthétique littéraire : « les peintres puissants peuvent tout peindre et […] leur peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu’elle donne l’horreur des choses qu’elle retrace. » Puis Barbey, pages 3 et 4, passe aux femmes : « Quant aux femmes de ces histoires, pourquoi ne seraient-elles pas les DIABOLIQUES ? : […] il n’y en a pas une seule ici qui ne le soit à quelque degré […] si elles sont des anges, c’est comme lui [le Diable], — la tête en bas, le… reste en haut. » Ajoutons que dès sa parution Les Diaboliques fut interdit, et que Barbey échappa de justesse à un procès pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, et complicité ».

Une vingtaine d’années avant Barbey d’Aurevilly Jacques Collin de Plancy (1793 ou 1794-1881),  avait lui aussi traité des femmes et de l’amour physique mais d’une tout autre manière, dans son Dictionnaire infernal, ou Bibliothèque Universelle, sur les Êtres, les Personnages, les Livres, les  Faits et les Choses qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l'enfer, aux divinations, aux sciences secrètes, aux grimoires, aux prodiges, aux erreurs et aux préjugés, aux traditions et aux contes populaires, aux superstitions diverses, et généralement à toutes les croyances merveilleuses, surprenantes, mystérieuses et surnaturelles (publié pour la première fois en 1818). On y lisait, au mot succube : « On trouve dans quelques écrits, dit le rabbin Elios, que, pendant 130 ans qu'Adam s'abstint du commerce de sa femme, il fut visité par des diablesses qui devinrent grosses de ses œuvres ». De nos jours le mot succube et son jumeau, incube étant tombés dans l’oubli, on précisera qu’en leur temps les incubes (mot venu du latin, en français couché sur) étaient les démons mâles, les succubes (couché sous) les démons féminins. On saura tout sur eux ou presque en lisant De la Démonialité et des animaux incubes et succubes où l’on prouve qu’il existe sur terre des créatures raisonnables autres que l’homme, ayant comme lui un corps et une âme, naissant et mourant comme lui, rachetées par N.-S. Jésus-Christ et capables de salut ou de damnation, par le R. P. Louis Marie Sinistrari d’Ameno, publié par Isidore Liseux d’après le Manuscrit original traduit du latin par lui (Paris, I. Liseux éditeur, 1882), 160 pages au format 9/14.

 On ne peut oublier Balzac, auteur en 1831 de La Comédie du diable, à lire dans la Pléiade (Œuvres diverses, tome 2, pages 1087-1121). Le diable réunit trente-deux mille damnés dans un salle à manger éclairée par dix-huit cents lustres, où la table en forme de serpent, « couverte de milliers de plats  d’or et d’émail » peut se déplacer toute seule. Quant au diable, il s’ennuie, tout en jouant avec un éventail « fait avec les secondes plumes de la tête de neuf millions de colibris. » Il a décidé d’avoir une salle de spectacle et demande à ses damnés de l’aider. Bien entendu, tous voudraient en prendre la direction. Ne voulant pas déflorer le texte imprévisible autant que burlesque de La Comédie du diable, on s’arrêtera là, après avoir mentionné en guise de conclusion une phrase de Balzac où Satan affirme être le diable : « Que me proposez-vous là ? Je suis le Diable, c’est vrai ; mais dans ma position il y a encore  des choses qui sont de très mauvais goût. » (page 1093). Ces choses « de très mauvais goût » on eût aimé en connaître quelques-unes…



 

 




    

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