On s’est limité pour
l’essentiel à deux ouvrages sur le diable,
aussi différents l’un de l’autre que
possible : Le
Diable à Paris, sous-titré Paris et
les Parisiens, un recueil d’articles par
vingt auteurs plus ou moins connus, publié
pour la première fois à Paris en 1845 par
J. [ules] Hetzel, qui donnait à lire dans
ce recueil un « Court monologue de
Flammèche » en deux pages, Flammèche
étant une figure du diable. Le texte était
signé St,
abréviation du nom propre Stahl, nom de plume
de Jules Hetzel que le lecteur avait déjà
rencontré dans le Prologue
du livre, sous-titré « Comment il se
fit qu’un diable vint à Paris et comment ce
livre [Le
Diable à Paris] s’ensuivit ».
Ci-dessous, voici à gauche la reproduction de
l'image (due à Gavarni) placée dans Le
Diable à Paris en face de la page
de titre, représentant un diable géant,
scrutateur, dominateur. La deuxième image
surplombe la table des matières, on y
voit le diable déverser la corbeille qui
contenait les contributions des auteurs
du Diable à Paris, et derrière lui un
petit diablotin, muni d'une corbeille
plus grande que lui ou presque et s'apprêtant
à les récupérer.
Notre deuxième livre
choisi pour avoir évoqué le diable est Le Diable
amoureux, roman fantastique par J. Cazotte,
précédé de sa vie, de son procès, et de ses
prophéties et révélations par Gérard de Nerval
(Paris, Léon Ganivet, 1845), une préface de 69
pages. À la lecture de ces deux livres, on a
ajouté celle du Diable
rouge. Almanach cabalistique pour 1850,
par Gérard de Nerval et Henri Delaage, 64
pages, présentation par Michel Brix, réédité
aux éditions Plein Chant dans la collection
Bibliothèque facétieuse, libertine et
merveilleuse, avec un achevé d’imprimer
humoristique : « Achevé de
ressusciter en mars 2013 dans les chaudrons de
Plein Chant assez bon diable
d’imprimeur-éditeur à Bassac
(Charente) ».
Si l’on retire la jaquette du
livre, on est ébloui par une couverture rouge
et noire, couleurs diaboliques par excellence,
le rouge de l’enfer et le noir de la
méchanceté absolue du diable. Nerval et
Delaage, cependant, adoucissent la
chose : « Ne vous effrayez pas de ce
personnage plus rubicon que ténébreux. Tous
les diables ne sont pas noirs. — Celui-ci est,
de sa nature, plutôt terrestre
qu’infernal ; il n’a même pris part que
médiocrement à la grande lutte qui eut lieu
jadis dans les espaces célestes, et qui fut
nommée la rébellion de Satan et de ses anges
[Satan était le prince des mauvais anges],
contre Adona (le Seigneur) et les siens »
(p. 7). La page de titre impressionne par sa
longueur, destinée à consolider la croyance du
lecteur :
LE DIABLE ROUGE
ALMANACH
CABALISTIQUE
Contenant le Tableau des
influences qui dominent sur le physique et le
moral de l’Homme,
ET LA
NOMENCLATURE DES BONS ET DES MAUVAIS
GÉNIES ;
ACCOMPAGNÉ
DES
TABLES
CABALISTIQUES
À L’AIDE
DESQUELLES CHACUN PEUT TIRER SON HOROSCOPE
ET PRÉVOIR SON AVENIR,
AINSI QUE
CELUI DES AUTRES ;
Renfermant
en outre des prédictions sur un grand
nombre d’hommes politiques et des
prophéties
curieuses
sur les grands événements qui doivent
arriver, entre autres les
PRÉDICTIONS
DE NOSTRADAMUS POUR 1850,
Précédé
d’un petit Traité sur les sciences occultes
dans le passé, le présent et l’avenir, la
magie de l’antiquité,
la
sorcellerie du moyen âge, l’astrologie,
l’alchimie, les talismans, le calcul des
nombres,
la magie
orientale, la divination, la cabale, le
magnétisme, etc.
VIGNETTES
PAR BERTALL, NADARD [sic], PASTELOT, ETC.
GRAVÉES
PAR BAULANT.
Au cours du temps ce livre est
devenu une curiosité, les uns haussaient les
épaules devant le seul mot de cabale, les
autres le lisaient en historiens des
croyances, tandis que les fidèles lecteurs de
Nerval l’ouvraient pour le plaisir de lire du
Nerval.
Revenons au Diable à
Paris. Le livre, sous-titré Paris et les
Parisiens. Mœurs et coutumes, caractères et
portraits des habitants de Paris, tableau
complet de leur vie privée, publique,
politique, artistique, littéraire,
industrielle, etc., etc. parut en deux volumes
(Paris, publié par J. Hetzel) illustrés
par Gavarni. On y trouvait des contributions
signées entre autres par George Sand, P.-J.
Stahl, Léon Gozlan, Nodier, Balzac, Nerval,
Théophile Gautier, Alfred de Musset. L’ouvrage
parut en deux tomes, 1845 puis 1846, avec des
illustrations de Gavarni, 380 pages en format
24/16. Un gros morceau…
Le mot diable
se trouve la même année 1845, et dès le titre,
dans Le
Diable amoureux, Roman
fantastiquepar J.
Cazotte, précédé
de sa vie, de son procès, et de ses
prophéties et révélations, par Gérard de
Nerval (Paris, Léon Ganivet, 1845), publié
pour la première fois en 1772, sous le titre Le
Diable amoureux, Nouvelle espagnole.
Précisons que J. Cazotte était Jacques
Cazotte, né à Dijon en 1719, guillotiné en
1792 pour sa fidélité au royalisme. Le titre
semblait promettre un roman d’amour, un genre
littéraire banal, mais Cazotte lui-même
corrigeait en précisant que ledit roman était
fantastique,
autrement dit n’ayant rien à voir avec la
réalité banale de tous les jours, celle dont
se plaignait Laforgue, « Ah ! que la
vie est quotidienne ». Cazotte
appartenait en effet à cet ensemble d’auteurs
ésotériques appelés illuminés,
que les lecteurs d’aujourd’hui connaissent
grâce à Nerval qui avait publié en 1852 Les
Illuminés (Paris, Victor Lecou), où il
avait consacré un chapitre à Jacques Cazotte,
entre Restif de la Bretonne et Cagliostro.
L’histoire littéraire a révélé
que tout fantaisiste qu’il se présentait dans
son écriture du Diable
amoureux, Cazotte avait, dans la
réalité, appartenu à une loge martiniste, mais
Nerval adoucissait la chose dans sa préface
pour Le
Diable amoureux : « Cazotte ne
paraît pas avoir pris part aux travaux
collectifs des illuminés martinistes, mais
s’être fait seulement d’après leurs idées une
règle de conduite particulière et
personnelle. » (Le Diable
amoureux (édition le Pot cassé, 1928, p.
XLIV).
Voici maintenant Les
Diaboliques, par Barbey d’Aurevilly,
publié en 1874 et cité plus loin selon une
réédition chez Alphonse Lemerre en deux
volumes, sans date. C’est un recueil de
nouvelles, d’historiettes si l’on veut, si
bien que «Diaboliques » doit s’entendre
« Nouvelles diaboliques » et non
« Personnages diaboliques ». On lit
dans la préface de la première édition
réimprimée, page 1 : « Bien entendu
qu’avec leur titre de DIABOLIQUES,
elles n’ont pas la prétention d’être un livre
de prières ou d’Imitation chrétienne… Elles ont
pourtant été écrites par un moraliste
chrétien, mais qui se pique d’observation
vraie ». Page 3 : « Les DIABOLIQUES ne
sont pas des diableries : ce sont des DIABOLIQUES,
des histoires réelles ». Barbey
d’Aurevilly se justifiait d’avoir écrit un
livre injustifiable en son temps en se plaçant
dans le champ de l’esthétique
littéraire : « les peintres
puissants peuvent tout peindre et […] leur
peinture est toujours assez morale
quand elle est tragique
et qu’elle donne l’horreur
des choses qu’elle retrace. » Puis
Barbey, pages 3 et 4, passe aux
femmes : « Quant aux femmes de ces
histoires, pourquoi ne seraient-elles pas les
DIABOLIQUES ? :
[…] il n’y en a pas une seule ici qui ne le
soit à quelque degré […] si elles sont des
anges, c’est comme lui [le Diable], — la tête
en bas, le… reste en haut. » Ajoutons que
dès sa parution Les
Diaboliques fut interdit, et que Barbey
échappa de justesse à un procès pour
« outrage à la morale publique et aux
bonnes mœurs, et complicité ».
Une vingtaine d’années avant
Barbey d’Aurevilly Jacques Collin de Plancy
(1793 ou 1794-1881),avait
lui aussi traité des femmes et de l’amour
physique mais d’une tout autre manière, dans
son Dictionnaire
infernal, ou Bibliothèque Universelle,
sur les Êtres, les Personnages, les Livres,
lesFaits
et
les Choses qui tiennent aux apparitions, à la
magie, au commerce de l'enfer, aux
divinations, aux sciences secrètes, aux
grimoires, aux prodiges, aux erreurs et aux
préjugés, aux traditions et aux contes
populaires, aux superstitions diverses, et
généralement à toutes les croyances
merveilleuses, surprenantes, mystérieuses et
surnaturelles (publié pour la première fois en
1818). On y lisait, au mot succube :
« On trouve dans quelques écrits, dit le
rabbin Elios, que, pendant 130 ans qu'Adam
s'abstint du commerce de sa femme, il fut
visité par des diablesses qui devinrent
grosses de ses œuvres ». De nos jours le
mot succube
et son jumeau, incube
étant tombés dans l’oubli, on précisera qu’en
leur temps les incubes (mot venu du latin, en
français couché
sur) étaient les démons mâles, les
succubes (couché
sous) les démons féminins. On saura tout
sur eux ou presque en lisant De la
Démonialité et des animaux incubes et
succubes où l’on prouve qu’il existe
sur terre des créatures raisonnables autres
que l’homme, ayant comme lui un corps et une
âme, naissant et mourant comme lui, rachetées
par N.-S. Jésus-Christ et capables de salut ou
de damnation, par le R. P. Louis Marie
Sinistrari d’Ameno, publié par Isidore Liseux
d’après le Manuscrit original traduit du latin
par lui (Paris, I. Liseux éditeur, 1882), 160
pages au format 9/14.
On
ne peut oublier Balzac, auteur en 1831 de La
Comédie du diable, à lire dans la
Pléiade (Œuvres
diverses, tome 2, pages 1087-1121).
Le diable réunit trente-deux mille damnés dans
un salle à manger éclairée par dix-huit cents
lustres, où la table en forme de serpent,
« couverte de milliers de platsd’or
et d’émail » peut se déplacer toute
seule. Quant au diable, il s’ennuie, tout en
jouant avec un éventail « fait avec les
secondes plumes de la tête de neuf millions de
colibris. » Il a décidé d’avoir une salle
de spectacle et demande à ses damnés de
l’aider. Bien entendu, tous voudraient en
prendre la direction. Ne voulant pas déflorer
le texte imprévisible autant que burlesque de
La
Comédie du diable, on s’arrêtera là,
après avoir mentionné en guise de conclusion
une phrase de Balzac où Satan affirme être le
diable : « Que me proposez-vous
là ? Je suis le Diable, c’est vrai ;
mais dans ma position il y a encoredes
choses qui sont de très mauvais goût. » (page
1093). Ces choses « de très mauvais
goût » on eût aimé en connaître
quelques-unes…