Michel Croizet vient de publier
en juin 2022 une troisième édition révisée et
augmentée de La
Bibliothèque elzevirienne…, (à Pau chez
l’Auteur, 14 boulevard des Pyrénées) tirée à
100 exemplaires dont 5 numérotés, imprimée sur
les presses d’Ipadour, 457 pages numérotées,
40 €.
Cette édition succède à une
autre publiée deux ans auparavant (446 pages)
elle-même précédée d’une première édition en
2019. L’édition de 2022 donne à lire 457 pages
numérotées, suivies de 3 pages hors-texte,
contre 443 (numérotées) dans la précédente.
L’image de la sphère zodiacale, emblème de la
Bibliothèque elzevirienne qui connaîtra des
variations mineures, toutes versions
reproduites au cours du livre, est imprimée en
noir et blanc sur la couverture et au dos du
livre.
S’étonnerait-on d’éditions si
rapprochées, il suffirait de penser aux
multiples éditions d’un même titre, d’un même
livre, mais présentés ils sont étudiés par des
rédacteurs différents, ont paru à des époques
différentes, alors qu’ici la Bibliothèque
elzevirienne est scrutée par le seul Michel
Croizet, qui se place au point de vue de
Pierre Jannet, créateur de ladite
Bibliothèque. Le livre s’ouvre donc sur
« Portrait et vie de Pierre
Jannet », né en 1820, créateur en 1853 de
La Bibliothèque elzevirienne et mort en 1870.
Objection : d’une part ce genre d’édition
est le fait d’éditeurs à des périodes
différentes et non pas celui de l’auteur, et
cela se passe dans un temps long, tandis que
les trois éditions sont très peu éloignées
dans le temps et sont voulues par l’auteur. La
quatrième de couverture apprend au lecteur que
« La présente étude révisée et augmentée,
enrichie d’une large iconographie en couleur
propose : une biographie succincte de Pierre
Jannet son fondateur emblématique, un
historique de la vie de la collection et de
son environnement, une description de ses
caractéristiques éditoriales, des imprimeurs
et des collaborateurs, une analyse descriptive
de chacun de ses 185 volumes, et enfin un
ensemble de tableaux récapitulatifs et
synthétiques établis selon divers critères
pratiques. » Michel Croizet, qui savait
tout sur Pierre Jannet, rappelait (page 15) à
ses lecteurs que ce dernier avait été
l’auteur, avec Jean-François Payen et Auguste
Veinant, de Bibliotheca
scatologica ou Catalogue raisonné des
livres traitant des vertus faits et gestes de
très noble et très ingénieux Messire LUC
(A Rebours) / seigneur de la chaise
et autres lieux […] par trois savants en US,
paru pour la première fois en 1846 ou 1849.
Dans un genre un peu moins marginal Pierre
Jannet avait publié Chansons
de Gaultier Garguille (Paris, chez P.
Jannet, Libraire, 1858). Gaultier Garguille
(1573 ?-1633) était classé farceur,
on peut le lire dans une réimpression du livre
sur vergé satiné des papeteries de Lana, parue
chez Plein Chant en 1996 dans la collection
Bibliothèque facétieuse, libertine et
merveilleuse. On lit, pages 18 et 19, une
chanson dont voici la première et la dernière
strophe :
Un jour allant voir ma mie,
De chier me prit envie ;
Je m’escorchay tout le trou.
Jamais en jour de ma vie
Je ne chiray que debout.
Ou
lèche m’y, je t’en prie.
Tout homme qui pette et chie
N’a pas torche-cul tousjours
Jamais en jour de ma vie
Je ne chiray que debout.
Puisque nous en sommes à Plein
Chant, donc à Edmond Thomas, voici quelques
lignes à lui consacrées par Michel Croizet
dans l’édition de 2022 de La
Bibliothèque elzevirienne, page
65 : « Edmond Thomas elzévirien
convaincu et éclairé, a réédité à petit nombre
dans les années 1990, quelques titres rares
parus dans la Bibliothèque elzevirienne, Les
Chansons de Gaultier Garguille, Le Grand
parangon… [Le grand
Parangon des nouvelles nouvelles, par
Nicolas de Troyes, 1535], Le
Panthéon et temple des oracles [1625], La
Nouvelle fabrique [La
Nouvelle Fabrique des excellens traits de
vérité], ainsi que quelques œuvres
annoncées n’ayant pas vu le jour dans la
collection, ainsi Les
Fantaisies de Bruscambille [Les
Fantaisies de Bruscambille. Contenant
plusieurs discours, paradoxes, harangues et
prologues facécieux (1518), réimprimé en
1994].
Revenons à Michel Croizet. Il
faut bien reconnaître que de nos jours son
enthousiasme et sa passion pour la
Bibliothèque elzévirienne ne sont point
partagés par la plupart des lecteurs
ordinaires — on exclut les
bibliophiles dont le rapport au temps et aux
livres est de toute façon particulier. Les
habitués de la brocante tombent de temps en
temps sur un livre de cette Bibliothèque, mais
souvent le livre, à l’origine d’un rouge
presque éclatant se trouve décoloré, grisâtre,
ou bien il est de ces ouvrages trop anciens
que l’on n’a aucune envie de lire pour des
raisons personnelles. En revanche, la page de
titre chez Michel Croizet donne à voir — en
petit ! 4,5/5 cm —
l’image
en couleur de six livres de la Bibliothèque
elzevirienne impeccables, aux titres sont bien
choisis, en particulier les Caquets
de l’accouchée [qui
avait pour titre et sous-titre en 1623
: Recueil Général
des Caquets de l'accouchée ou discours
facétieux où se voient les mœurs, actions et
façons de faire des grands de ce siècle, Le
tout discouru par dames, damoiselles,
bourgeoises et autres, et mis en ordre en VIII après-dînées,
qu'elles ont fait leurs assemblées, par un
secrétaire qui a le tout ouï et écrit. Avec
un discours du relèvement de l'accouchée], Le
Temple des oracles, La famille de Ronsart
[Ronsard], par Achille Lacroix de Vimeur, Le Roman
de la rose, tome I. C’est que
Michel Croizet, lui, possède nombre de livres
elzeviriens rangés sur les rayons de sa
bibliothèque, beaux à voir par « l’éclat
inattendu des sphères dorées sur la modestie
des percalines rouge foncé » écrit–il
dans son Préambule.
La
Bibliothèque elzevirienne redonna le goût de
la vie par le travail à Emmanuel Louis
Nicolas Viollet le Duc (1781-1857),
administrateur sous la Monarchie de Juillet
des propriétés de Madame Adélaïde, sœur du roi
Louis-Philippe, mais qui avait perdu cet
emploi lors de la révolution de février 1848.
Désespéré, il fut sauvé par Pierre Jannet qui
lui demanda de créer ce qui sera la
Bibliothèque elzévirienne.
Elzevirienne jusqu’au bout, la
Bibliothèque elzevirienne se donna en 1856 des
caractères elzéviriens, mais repérables
uniquement par des spécialistes. En revanche,
ce que nous pouvons tous voir et juger est son
aspect extérieur, les plats de couverture et
la couleur qui constituent son vêtement,
c’est-à-dire une manière mûrement choisie de
se présenter aux autres, les acheteurs
potentiels. Les plats de couverture étaient en
carton solide recouvert de percaline rouge,
qui au dos du livre faisait mieux apprécier le
doré de la mention en majuscules de BIBLIOTHÈQUE
ELZEVIRIENNE,
du nom de l’auteur, de la sphère, du nom de
l’éditeur. « Sous Jannet », nous
apprend Michel Croizet (page 72), « la
percaline utilisée sera d’un beau rouge cerise
qui évoluera vers un rouge légèrement plus
brun en vieillissant chez Franck ».
La première publication de la
Bibliothèque elzevirienne, en 1853, avait pour
titre
Extrait des mémoriaux de l’abbaye de
Saint-Aubin, une ancienne abbaye à
Angers, fondée au VIe ou VIIe
siècle, Saint-Aubin désignant l'évêque Aubin
(529-550). Sans doute intéressa-t-elle les
seuls historiens, mais la même année furent
publiés cinq titres attirants aujourd’hui
encore, à des degrés divers : La
Nouvelle Fabrique, par Philippe Alcripe,
Aventures
de don Juan de Vargas, par Charles
Navarin, Œuvres
complètes de Mathurin Regnier [né en
1573, mort en 1613] avec les Commentaires
revus et corrigés, précédées de L’Histoire de
la Satire en France pour servir de Discours
préliminaire par M. Viollet Le Duc (Paris,
chez P. Jannet, Libraire ). L’ouvrage se
termine par des épigrammes dont voici la
première, page 335 :
LE DIEU D’AMOUR.
Le dieu d’amour se pourroit
peindre
Tout aussi grand qu’un autre
dieu,
N’estoit qu’il luy suffit
d’atteindre
Jusqu’à la piece du milieu.
Ajoutons que les curieux
peuvent lire une rare plaquette de 16 pages
(Paris, Librairie des Bibliophiles) imprimée
sans nom d’auteur par l’éditeur Damase Jouaust
(1834-1893), créateur en 1869 de la "Librairie
des bibliophiles" et parue en mai
1870 sous le titre Quelques
pièces attribuées à Regnier tirées du
Parnasse satirique. Page 15 on lit
« Les livres d’amateurs », une
défense et illustration des beaux
livres : « Nos éditions,
composées en caractères elzeviriens, avec
ornements dans le texte […] » mais
surtout des remarques sur l’orthographe des
textes anciens qui demande à être conservée,
bien que, pour les lecteurs modernes, cette
reproduction « présente néanmoins de
grands inconvénients […mais aussi]on
s’expose à rebuter complétement si l’on n’a
soin de leur faire quelques concessions en
écartant des textes les irrégularités qui
seraient susceptibles de les dérouter. »
De nos jours la question n’a pas été réglée,
chaque éditeur a une réponse personnelle pour
rendre facilement lisible aujourd’hui un texte
d’autrefois.
Retournons à la liste des
productions de la Bibliothèque elzevirienne.
Les titres cités plus haut furent suivis de Réflexions,
Sentences et Maximes morales par La
Rochefoucauld, Six mois
de la vie d’un jeune homme (1797), écrit
par Emmanuel Viollet le Duc en 1809,
publié en 1853, et l’ouvrage célébrissime dès
sa parution, Les
Quinze joyes de mariage qui sera réédité
en 1857 et dont le titre parodiait celui d’un
ouvrage édifiant mais anonyme écrit au Moyen
Âge par un moine sous le titre Les XV
Joyes de mariage.
En 1859, la Bibliothèque
elzevirienne, vendue au libraire et éditeur
Charles-Antoine Pagnerre (1834-1867),
domicilié à Paris, 18 rue de Seine, éditera de
1859 à 1863 sept ouvrages, parmi lesquels les
Œuvres
complètes de La Fontaine, les Œuvres
complètes de Pierre Bourdeilles, par
Branthôme [Pierre de Bourdeille seigneur de
Brantôme, né en 1540, mort en 1614]. Plus
généralement, 121 titres parurent de 1853 à
1858, mais la Bibliothèque elzevirienne vécut
jusqu’en 1898 ! On recommande la lecture
du Catalogue
raisonné de la Bibliothèque
elzevirienne 1853-1865 (Paris,
Librairie A. Franck, paru en 1866) mais en lui
ajoutant, plus proche de nous dans le temps et
quasiment complet le dernier livre de Michel
Croizet qui donne une fiche pour chaque livre,
comprenant le nom de la librairie, la date
d’édition, le genre, le siècle, s’il y a lieu
le contributeur, l’éditeur, l’imprimeur, les
caractères, les illustrations, le format, le
papier [la qualité du papier], divers, le
thème. En un mot, ce livre fait à la fois pour
les amateurs de lecture et pour les historiens
de la littérature française procure, à des
niveaux différents, le plaisir de lire,
joignant ainsi comme le veut la tradition
l’utile à l’agréable.