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Page 12.
Je tiens comme les Dieux
registre des pensées,
Je fixe la
parole, et je lui donne un
corps :
Du temple
d’Apollon, j’ouvre tous les
trésors,
Mon Art met sous vos yeux
les histoires passées.
Mes forces par le tems
jamais ne sont usées
Et mes charmes puissants
ressuscitent les morts :
Par moi du noir Cocyte
ils repassent les bords,
Et viennent triompher des
Parques abusées.
J’entretiens les plus sourds
sans parole et sans bruit,
Je passe à ma couleur
pour fille de la nuit,
Je mets dans un grand
jour les plus secrets mysteres.
J’instruis
cet Univers de l’un à l’autre
bout,
Et quand on me consulte
afin de sçavoir tout,
Ainsi qu’un Enchanteur
j’use de caracteres.
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Page 87.
Effet inanimé d’une cause
vivante,
Je ramene les morts
à la clarté du jour ;
Et de tant de Heros
l’ingenieux retour
Emprunte de mon art
une gloire éclatante.
Je suis le favori de la troupe
sçavante,
J’explique les
effets du sort et de l’amour,
Par moi plus de
mille ans sont l’espace d’un
jour,
Celui qui m’a
produit ou se cache ou se vante.
Je parle à l’Univers sans
proferer un mot,
J’amuse le sçavant,
et j’amuse le sot ;
Ma solide beauté
vient de ma doctrine.
L’ignorance me fuit tâchant de
me blâmer,
Je porte bien
souvent une trompeuse mine,
Et l’on doit me
connoître avant que de m’aimer.
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281.
A l’abri d’une peau légere
Je tiens cent Héros renfermez,
Et par moi seulement
leurs faits si renommez,
Sont à couvert de la
poussière ;
Cependant sous l’éclat des
ornements divers,
Dont ma figure est revêtue,
Je cache avec soin à la vue
Un corps qui bien souvent
est tout farci de vers.
Jugez de mon employ,
quoique fort ignorante,
En un espace assez petit,
Je renferme beaucoup
d’esprit ;
Mais qui de me voir se contente,
Sans regarder jamais ce
que j’ai dans le cœur,
Est sans doute un pauvre
Docteur.
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