I.
Quatre épigrammes
par Alexis PIRON.
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L'abbé qui
critique Arouet
Sur Pégase
ayant mis la fesse,
Dit, en
faisant claquer son fouet :
Qu'on
m'enlève sur le Permesse (1) !
Qu'on m'y
dépose et qu'on m'y laisse !
Il croyait le
Pernesse un mont,
Et c'est un
fleuve très-profond.
Le cheval y
vole avec joie,
Flanque son
cavalier au fond
Et
gaillardement vous le noie.
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1. Dans sa belle ode à la reine, il
[Desfontaines] débute par dire à Pégase de
l’enlever sur le Permesse. Ce pédant en
titre, faute de savoir que le Permesse est
un fleuve qui coule au pied de l’Hélicon, en
a fait un synonyme du mont Parnasse. C’est
être
encore assez mauvais écolier. (Note de
Piron.)
(Œuvres inédites de Piron… publiées… par
Honoré Bonhomme, Poulet-Malassis et De
Broise, 1859, p. 349)
Note
ajoutée. L’abbé qui critique Arouet
(Voltaire) est l’abbé Desfontaines.
ÉPIGRAMME
À L’ABBÉ DESFONTAINES
Maigres auteurs, pour être gras
à lard,
Érigez-vous
en censeurs téméraires,
Et
barbouillez des feuilles au hasard
D’absurdités
l’une à l’autre contraires.
Très-joliment
vous ferez vos affaires.
Vous
essuierez quelques petits chagrins,
Serez parfois
conspués, pris aux crins,
Vilipendés.
N’importe ! vos bedaines
S’arrondiront,
et d’abbés Pellegrins
Vous
deviendrez des abbés Desfontaines (1).
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(1). Desfontaines était
gros comme un muid, et Pellegrin était plat
comme une latte. (Note de Piron.)
(Œuvres inédites de Piron…publiées… par
Honoré Bonhomme, Poulet-Malassis et De
Broise, 1859, p. 347)
Note
ajoutée. Cette épigramme, contrairement à ce
que pensait Honoré Bonhomme n’était pas
inédite, on pouvait, on peut toujours, la
lire dans Le Controlleur du Parnasse, ou
Nouveaux Mémoires de Litterature Françoise
et Etrangère, en Forme de Lettres, destiné à
« servir de préservatif contre les
faux Jugements de M. l'Abbé Des Fontaines
caché sous le nom de M. Burlon de la
Busbaquerie, et de quelques autres
Journalistes ineptes ou infidéles. Par M.
Le Sage de l'Hydrophonie », Berne, 1745,
tome I, Lettre préliminaire, p. LXXXIV.
Fréron,
de goût parle sans cesse.
Lui demandez-vous ce que
c'est ?
Il dit : C'est...
un... je ne sais qu'est-ce…
A le dire, moi, je suis
prêt,
Et pour cela mon
éloquence
Ne se mettra guère en
dépense :
Pensez, écrivez autrement
Que Fréron n'écrit et ne
pense,
Et vous y voilà
justement.
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(Œuvres
inédites de Piron…publiées…
par Honoré Bonhomme, Poulet-Malassis
et De Broise, 1859, p. 380).
CONTE
ÉPIGRAMMATIQUE.
Un FINANCIER,
près de sa fin,
Demandoit
pardon de sa vie :
Allez, dit
Père Passefin,
Je vous la
promets impunie ;
Pourvu qu’à
notre Compagnie
Léguiez vos
biens par testament.
Le Notaire
entre en ce moment :
Le legs se
fait ; du misérable,
Les biens
allèrent au Couvent,
Le corps en
terre, et l'ame au Diable.
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(Œuvres complettes d’Alexis
Piron,
publiées par M. Rigoley de Juvigny,
Troyes, Gobelet imprimeur-libraire, An VIII, tome huitième, p.
322).
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II. Deux épigrammes à la
suite dont la deuxième répond à celle qui la
précède.
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Au troisième volume de
la Petite Encyclopédie poétique. Ou
Choix de poësies dans tous les genres, par une Société
de Gens de Lettres, Paris, Capelle et Cie,
1804, on lit page 25 une épigramme de
Pierre Baour-Lormian (1770-1854) au nom
abrégé en Baour sur Ponce-Denis
Ecouchard-Lebrun (1729-1807), caché
derrière L***, suivie d’une réponse de
celui qu’il venait d’offenser —
disposition rare pour des
épigrammes :
L*** de
gloire se nourrit :
Aussi voyez comme il
maigrit.
BAOUR.
[Réponse
d’Écouchard-Lebrun] :
Sottise
entretient la santé :
B*** s’est toujours bien
porté.
LEBRUN.
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Note ajoutée. De
la réponse de Lebrun on connaît une
variante, citée dans Trente ans de
ma vie…, par
Labouisse-Rochefort (Toulouse, 1845,
p. 535) :
Sottise
entretient l’embonpoint,
Aussi Baour ne maigrit point. |
Le
vieil Auteur du Cantique à
Priape,
Le cœur contrit s’en
alloit à la Trappe,
Pleurant le mal qu’il
avoit fait jadis.
Mais son Curé lui
dit : bon Métromane,
C’est bien assez de ton De
profundis.
Rassure-toi ; le
Seigneur ne condamne
Que les vers doux,
faciles, arrondis,
Qui savent plaire à ce
monde profane.
Ce qui séduit, voilà ce
qui nous damne :
Les rimeurs durs vont
tous en Paradis.
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Je trouvai cette
Épigramme digne de son Auteur,
& j’y répondis par celle-ci.
Vieil
apprenti, soyez plus avisé
Une autre fois, &
nous crierons merveille !
Tirez plus juste où vous
aurez visé,
Ou du sifflet vous aurez
par l'oreille.
Jamais bévue a-t-elle été
pareille ?
O le plus lourd de tous
les étourdis !
Vous séparez les élus des
maudits ;
Puis envoyez, par deux
arrêts notables,
Votre ennemi PIRON en
Paradis,
Et votre ami V** à tous
les Diables. |
(Œuvres
complettes d’Alexis Piron,
publiées par M. Rigoley de Juvigny,
Imprimerie de M. Lambert, 1776, tome
VII, p. 242).
Note ajoutée : "Le vieil auteur
du Cantique à Priape" est
Piron, qui à cause de ce poème
érotique ne put être
élu à l'Académie française.
Piron est dit "métromane" pour avoir
écrit la comédie La Métromanie.
V**
désigne Voltaire. Ajoutons
que l’épigramme contre Piron est
l'œuvre de Marmontel, écrivain fort
conventionnel.

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III. Les
Baisers, par
Claude-Joseph Dorat.
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ÉPIGRAMME
SUR
LES BAISERS DE DORAT
1770.
Un louis les Baisers ? — Oui,
Monsieur, c’est le prix.
— Mon cher, le
prix est fou ; tu peux garder ton
Livre.
— Je ne le garde
pas et le vends un louis.
— De cette
Muse-là le public est donc yvre ;
Au moins ses vers
sont chers. — Eh ! regardez donc
bien,
Examinez,
Monsieur, le papier, les images,
Les groupes, les
festons qui décorent les pages,
Et vous verrez,
Monsieur, qu’on a les Vers pour rien.
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(Poësies
satyriques du XVIIIe siècle, Seconde partie,
Londres, 1782, p. 10).
Note ajoutée. 1770 est
la date de parution du recueil poétique de
Dorat, Les Baisers, précédés
du Mois de Mai, Poëme (La
Haye, et se trouve à Paris
chez Delalain), en effet recherché par les
contemporains pour ses nombreuses
illustrations, culs-de-lampe et vignettes
par Eisen. Sans titre, et non signée comme
ici, l’épigramme est, ailleurs (par
exemple dans Le Journal des
arts, des sciences et de la littérature, septième
volume, octobre-décembre 1811, page 93),
intitulée « Dialogue entre un
libraire et un acheteur ». Les Mémoires
secrets de Bachaumont rapportaient
ainsi (4 avril 1779) une anecdote, sans
doute inventée, enjolivée à partir de ce
titre : « On connoit depuis
long-tems un ouvrage de M. Dorat, intitulé
les Baisers, imprimé avec un
luxe typographique admirable, surtout avec
des estampes charmantes. On sait
l’épigramme sanglante qu’affecta de faire
en action contre l’auteur présent un
particulier entrant chez son libraire,
demandant le livre ; l’achetant,
puis, sans sortir, le découpant, enlevant
les vignettes, & laissant tout le
reste comme inutile. »
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