ÉDITIONS PLEIN CHANT

(LES AMIS DE PLEIN CHANT)

Fin janvier 2020




QUELQUES ÉPIGRAMMES DU XVIIIe SIÈCLE


 I. Quatre épigrammes par Alexis PIRON.






   
L'abbé qui critique Arouet
Sur Pégase ayant mis la fesse,
Dit, en faisant claquer son fouet :
Qu'on m'enlève sur le Permesse (1) !
Qu'on m'y dépose et qu'on m'y laisse !
Il croyait le Pernesse un mont,
Et c'est un fleuve très-profond.
Le cheval y vole avec joie,
Flanque son cavalier au fond
Et gaillardement vous le noie.

1. Dans sa belle ode à la reine, il [Desfontaines] débute par dire à Pégase de l’enlever sur le Permesse. Ce pédant en titre, faute de savoir que le Permesse est un fleuve qui coule au pied de l’Hélicon, en a fait un synonyme du mont Parnasse.  C’est être encore assez mauvais écolier. (Note de Piron.)


(Œuvres inédites de Piron… publiées… par Honoré Bonhomme, Poulet-Malassis et De Broise, 1859, p. 349)

Note ajoutée. L’abbé qui critique Arouet (Voltaire) est l’abbé Desfontaines.



                         ÉPIGRAMME

                À L’ABBÉ DESFONTAINES

Maigres auteurs, pour être gras à lard,
Érigez-vous en censeurs téméraires,
Et barbouillez des feuilles au hasard
D’absurdités l’une à l’autre contraires.
Très-joliment vous ferez vos affaires.
Vous essuierez quelques petits chagrins,
Serez parfois conspués, pris aux crins,
Vilipendés. N’importe ! vos bedaines
S’arrondiront, et d’abbés Pellegrins
Vous deviendrez des abbés Desfontaines (1).

(1). Desfontaines était gros comme un muid, et Pellegrin était plat comme une latte. (Note de Piron.)

(Œuvres inédites de Piron…publiées… par Honoré Bonhomme, Poulet-Malassis et De Broise, 1859, p. 347)

Note ajoutée. Cette épigramme, contrairement à ce que pensait Honoré Bonhomme n’était pas inédite, on pouvait, on peut toujours, la lire dans Le Controlleur du Parnasse, ou Nouveaux Mémoires de Litterature Françoise et Etrangère, en Forme de Lettres, destiné à « servir de préservatif contre les faux Jugements de M. l'Abbé Des Fontaines caché sous le nom de M. Burlon de la Busbaquerie, et de quelques autres Journalistes ineptes ou infidéles. Par M. Le Sage de l'Hydrophonie », Berne, 1745, tome I, Lettre préliminaire, p. LXXXIV.


Fréron, de goût parle sans cesse.
Lui demandez-vous ce que c'est ?
Il dit : C'est... un... je ne sais qu'est-ce…
A le dire, moi, je suis prêt,
Et pour cela mon éloquence
Ne se mettra guère en dépense :
Pensez, écrivez autrement
Que Fréron n'écrit et ne pense,
Et vous y voilà justement.
 

(Œuvres inédites de Piron…publiées… par Honoré Bonhomme, Poulet-Malassis et De Broise, 1859, p. 380).

CONTE ÉPIGRAMMATIQUE.

Un FINANCIER, près de sa fin,
Demandoit pardon de sa vie :
Allez, dit Père Passefin,
Je vous la promets impunie ;
Pourvu qu’à notre Compagnie
Léguiez vos biens par testament.
Le Notaire entre en ce moment :
Le legs se fait ; du misérable,
Les biens allèrent au Couvent,
Le corps en terre, et l'ame au Diable.

(Œuvres complettes  d’Alexis Piron, publiées par M. Rigoley de Juvigny, Troyes, Gobelet imprimeur-libraire, An VIII, tome huitième, p. 322).

  
   


II. Deux épigrammes à la suite dont la deuxième répond à celle qui la précède.

   


Au troisième volume de la Petite Encyclopédie poétique. Ou Choix de poësies dans tous les genres, par une Société de Gens de Lettres, Paris, Capelle et Cie, 1804, on lit page 25 une épigramme de Pierre Baour-Lormian (1770-1854) au nom abrégé en Baour sur Ponce-Denis Ecouchard-Lebrun (1729-1807), caché derrière L***, suivie d’une réponse de celui qu’il venait d’offenser — disposition rare pour des épigrammes :

L*** de gloire se nourrit :
Aussi voyez comme il maigrit.
                                BAOUR.
[Réponse d’Écouchard-Lebrun] :
Sottise entretient la santé :
B*** s’est toujours bien porté.
                                LEBRUN.

Note ajoutée. De la réponse de Lebrun on connaît une variante, citée dans Trente ans de ma vie…, par Labouisse-Rochefort (Toulouse, 1845, p. 535) :

Sottise entretient l’embonpoint,
Aussi Baour ne maigrit point.



Le vieil Auteur du Cantique à Priape,
Le cœur contrit s’en alloit à la Trappe,
Pleurant le mal qu’il avoit fait jadis.
Mais son Curé lui dit : bon Métromane,
C’est bien assez de ton De profundis.
Rassure-toi ; le Seigneur ne condamne
Que les vers doux, faciles, arrondis,
Qui savent plaire à ce monde profane.
Ce qui séduit, voilà ce qui nous damne :
Les rimeurs durs vont tous en Paradis.
 

Je trouvai cette Épigramme digne de son Auteur, & j’y répondis par celle-ci.

Vieil apprenti, soyez plus avisé
Une autre fois, & nous crierons merveille !
Tirez plus juste où vous aurez visé,
Ou du sifflet vous aurez par l'oreille.
Jamais bévue a-t-elle été pareille ?
O le plus lourd de tous les étourdis !
Vous séparez les élus des maudits ;
Puis envoyez, par deux arrêts notables,
Votre ennemi PIRON en Paradis,
Et votre ami V** à tous les Diables.

(Œuvres complettes d’Alexis Piron, publiées par M. Rigoley de Juvigny, Imprimerie de M. Lambert, 1776, tome VII, p. 242).
Note ajoutée : "Le vieil auteur du Cantique à Priape" est Piron, qui à cause de ce poème érotique ne put être élu à l'Académie française. Piron est dit "métromane" pour avoir écrit la comédie La Métromanie.
V** désigne Voltaire. Ajoutons que  l’épigramme contre Piron est l'œuvre de Marmontel, écrivain fort conventionnel.




   

III. Les Baisers, par Claude-Joseph Dorat.

   

                                    ÉPIGRAMME

                         SUR LES BAISERS DE DORAT

                                                 1770.

Un louis les Baisers ? — Oui, Monsieur, c’est le prix.
Mon cher, le prix est fou ; tu peux garder ton Livre.
— Je ne le garde pas et le vends un louis.
— De cette Muse-là le public est donc yvre ;
Au moins ses vers sont chers. — Eh ! regardez donc bien,
Examinez, Monsieur, le papier, les images,
Les groupes, les festons qui décorent les pages,
Et vous verrez, Monsieur, qu’on a les Vers pour rien.

(Poësies satyriques du XVIIIe siècle, Seconde partie, Londres, 1782, p. 10).
Note ajoutée. 1770 est la date de parution du recueil poétique de Dorat, Les Baisers, précédés du Mois de Mai, Poëme (La Haye, et se trouve à  Paris chez Delalain), en effet recherché par les contemporains pour ses nombreuses illustrations, culs-de-lampe et vignettes par Eisen. Sans titre, et non signée comme ici, l’épigramme est, ailleurs (par exemple dans Le Journal des arts, des sciences et de la littérature, septième volume, octobre-décembre 1811, page 93), intitulée « Dialogue entre un libraire et un acheteur ». Les Mémoires secrets de Bachaumont rapportaient ainsi (4 avril 1779) une anecdote, sans doute inventée, enjolivée à partir de ce titre : « On connoit depuis long-tems un ouvrage de M. Dorat, intitulé les Baisers, imprimé avec un luxe typographique admirable, surtout avec des estampes charmantes. On sait l’épigramme sanglante qu’affecta de faire en action contre l’auteur présent un particulier entrant chez son libraire, demandant le livre ; l’achetant, puis, sans sortir, le découpant, enlevant les vignettes, & laissant tout le reste comme inutile. »


   




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