ÉDITIONS PLEIN CHANT


(LES AMIS DE PLEIN CHANT)

AJOUTS

Février 2020



L'Esprit des sots
Passés, présens et à venir,
ou
Traité d'élognostie,
Recueilli (et non composé)

Par l'Auteur de St.-GÉRAN, ou la Nouvelle Langue française ;
Et dédié à toutes les Académies littéraires.

Paris, chez tous les marchands de nouveautés
1813


L'auteur.

Charles-Louis Cadet de Gassicourt (1769-1821), officiellement fils du pharmacien et chimiste Louis-Claude Cadet de Gassicourt (1731-1789), ami de d’Alembert, Buffon, Condorcet était, disait-on, fils naturel de Louis XV. Avocat de 1787 à 1800, mais partisan de la Révolution dès les premiers jours, lui qui avait commencé par publier des poésies faciles dans les recueils de son époque fit imprimer en 1793 La Montagne, chanson patriotique, chantée sur les deux théâtres de la citoyenne Montansier, le 4 du second mois de l'an II de la République française, aux représentations données ce jour, par et pour le peuple, en réjouissance des succès des armes de la République, dans la Vendée, etc. (4 pages) sans nom d’auteur. Voici, en 1794, L’Anti-novateur, in-8°, ouvrage critique, puis une brochure de 35 pages, sans lieu ni date, Sur les Moyens de destruction et de résistance que les sciences physiques pourraient offrir dans une guerre nationale, aux peuples qu'opprimeraient des armées régulières, signée M[onsieur] le chevalier Cadet de Gassicourt.

Si l’on consulte la partie des bibliographies de Cadet Gassicourt qui suivent ces productions, on croit se trouver en présence d’un auteur allant en tous les sens, pratiquant des genres littéraires hétéroclites, politiques ou littéraires, prose ou poésie selon l’occasion ou l’air du temps. Voici un échantillon chronologique, bien entendu non exhaustif, d’œuvres parues après La Montagne révolutionnaire et avant L’Esprit des sots, tout ce qu’il y a de plus littéraire :

- St-Géran, ou La Nouvelle Langue Française. Anecdote récente (sans lieu ni date) 35 pages in-18. Précisons que l’attribution de la brochure à Ch[arles]-L[ouis] Cadet Gassicourt est due à l’omniscient bibliographe Barbier Antoine-Alexandre Barbier (1765-1825). Une seconde édition plus longue (VIII-139 pages, in-8) paraîtra en 1812 à Bruxelles chez Weissenbruch et à Paris, chez D. Colas, libraire, sous le titre St. Géran, ou La Nouvelle Langue Française, Anecdote récente ; suivie de l'Itinéraire de Lutèce au Mont Valérien, en suivant le fleuve Séquanien et revenant par le mont des Martyrs ; petite parodie d'un grand voyage. St-Géran, avant de renvoyer par la volonté de Cadet Gassicourt à Chateaubriand était le nom d’un navire qui fit naufrage en 1744 devant l’île d’Ambre, toute proche de cette autre île qui s’appelle maintenant l’île Maurice, et bien plus qu’une « petite parodie » de L’Itinéraire de Paris à Jérusalem par Chateaubriand, ou d’une critique portant sur Les Martyrs, (1809) l’ouvrage est une critique sanglante du style en général de l’auteur, qui fait « prendre des mots pour des idées et du galimatias pour de l’éloquence » et s’élargissant à mesure que l’ouvrage avance, une critique de la Corinne ou l’Italie de Madame de Staël (1807), ou de livres nouveaux tels que Le Génie de l'Amour, ou Dissertation sur l'Amour profane et religieux, par Christophe de Miromenil (1806).
-
Le tombeau de Jacques Molai, ou Histoire secrète et abrégée des initiés, anciens et modernes, des Templiers, francs-maçons, illuminés, etc. Et Recherches sur leur influence dans la Révolution française ; suivie de la Clef des Loges. Seconde édition (Paris, Desenne, l'an V de l'Ere française (1796). La première édition s’intitulait Le Tombeau de Jacques Molai, ou Le secret des conspirateurs, à ceux qui veulent tout savoir. Œuvre posthume de C. L. C. G. D. L. S. D. M. B. C. D. V. [lire : Charles-Louis Cadet Gassicourt, De La Section du Mont Blanc, Condamné de Vendémiaire]. Jacques Molai désigne Jacques de Molay, le dernier maître de l’ordre du Temple, né entre 1244 et 1249 à Molay (Franche-Comté), mort à Paris en 1314.
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L’Anti-novateur, ou les lectures de M. Jérôme, par le C. C. G. [lire : le Chevalier — ou le Citoyen — Cadet Gassicourt], Paris, V. Desenne, 1797, An V de la Rép[ublique], 46 pages.
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Mon voyage, ou Lettres sur la ci-devant province de Normandie, suivies de quelques pièces fugitives par C.-L. Cadet Gassicourt, Paris, Desenne, An VII (1798), 2 volumes in-12. Selon la Biographie Michaud, plus précisément la Biographie universelle ancienne et moderne, « on y trouve des anecdotes piquantes, des tableaux un peu graveleux, de tendres romances…, un style animé qui ne manque ni de grâce ni de correction ».
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Le Poëte et le Savant, ou Dialogues sur la nécessité pour les gens de lettres d'étudier la théorie des Sciences. (Non signé, mais par Charles-Louis Cadet de Gassicourt) Paris, 1799, in-8.
-
Dictionnaire de chimie, contenant la théorie et la pratique de cette science, son application à l'histoire naturelle, et aux arts, par Charles-Louis Cadet, du Collège de Pharmacie… Professeur de chimie…, Paris, an XI-1803, 4 vol. in-8.

Le texte.

L’Esprit des sots passés, présens et à venir, ou Traité d’élognostie, recueilli (et non composé) par l’Auteur de St.-Géran, ou la Nouvelle Langue française ; et dédié à toutes les Académies littéraires (Paris, chez tous les marchands de nouveautés) parut en 1813. Peut-être le titre était-il un souvenir de Sur le bonheur des sots (12 pages) paru dans De la morale naturelle. Suivie du Bonheur des sots, par Necker (Paris, 1788). Dans sa dédicace « à tous les Académiciens littérateurs », Cadet Gassicourt donne, page x, l’étymologie plus ou moins fantaisiste de l’élognostie, un néologisme par lui inventé. Le mot viendrait de deux mots grecs dont le premier, elos, signifie fou, insensé tandis que le second est une forme verbale du verbe geinomai, en français engendrer, faire naître. En épigraphe, sur la couverture, une citation de Martial :

Turpe est difficiles habere nugas ;
Et stultus labor est ineptiarum.

Traduction : Il est honteux de s’intéresser à des niaiseries compliquées, et le travail demandé par des sottises est un sot travail. Cette citation est à prendre ironiquement, car elle reflète l’opinion commune des vrais sots, gouvernés par un gros bon sens qui, en réalité, ne comprennent rien à l’art littéraire. Cadet Gassicourt va donner une anthologie d’un grand nombre d’auteurs anciens ayant pratiqué toutes sortes de jeux de mots, perceptibles par la vue — les calligrammes, par exemple — ou par l’esprit, ainsi les anagrammes, énigmes, charades, logogriphes, etc.


EXTRAITS.

Au chapitre V, « Des Rébus, du style macaronique, des Pointes et Quolibets, de la Contrepeterie », Cadet-Gaussicourt cite, page 112, un rébus composé à gauche d’un membre de phrase écrite, traduit à droite par une image, un cercle composé d’un suite de lettres M et au centre duquel se trouve la lettre majuscule L en italique :


* * *

Page 119, « De la Contrepeterie », sept  contrepeteries.

Tâter la grâce — Gâter la trace.
Un sot pâle. — Un pot sale.
Il tiendra une vache — Il viendra une tâche.
Il le dit à deux femmes — Il le fit à deux dames.
Quatre portes de Soissons. — Quatre sortes de poissons.
Tendez votre verre. — Vendez votre terre.
Forte de main. — Morte de faim.

 * * *

Au Chapitre VIII, « Compositions monosyllabiques ; Vers coupés et Vers mêlés » on lit, page 145, des vers coupés.

Soit du Pape maudit
En eux celui qui croit
A tous les diables soit
Qui leur science suit
En enfer soit conduit
Qui pour saints les reçoit
Soit chatié du fouet
Qui sages ne les fait
Soit lié d'un licou
Soit pendu par le cou
Qui fait chez eux des vœux
Qui les honore tous
Qui veut suivre leurs goûts
O! qu'il est malheureux
qui hait les Jésuites ;
soit mis en Paradis
qui brûle leurs écrits
acquiert de grands mérites ;
qui les nomme hypocrites;
ses péchés soient remis ;
qui ne suit leurs advis
sont ames bien conduites ;
qui les dit meurtriers ;
qui les prétend sorciers :
est une ame divine ;
ô ! qu'il est bien instrut !
combien il a d'esprit!
qui ne suit leur doctrine !

Note ajoutée.  Il y a plusieurs sortes de vers coupés. Ici, les alexandrins de la version officielle, irréprochables aux yeux de l’autorité, sont imprimés en deux colonnes si on les considère verticalement. Chacune des colonnes peut — et doit — être lue séparée des autres, car chacune d’elles, composée d’hexamètres, est rimée. La première colonne chante les louanges de ceux qui ont pris parti pour les Jésuites, tandis que celle de droite couvre de fleurs leurs ennemis, athées et autres agnostiques, c’est elle seule qui doit être lue pour comprendre le message de l’auteur-poète. Dans Mélanges de Littérature à Monsieur de Santeuil sur ses ouvrages (Cologne, Abraham L’Enclume, 1742), tome II, on lit une sorte d’incidente sans titre, « VERS COUPEZ » […] faits durant le Procès de l’Université de Paris avec les Jesuites les vers cités plus haut mais anonymes, tandis qu’ici, ils sont signés de leur auteur, « Le Seigneur de Accords », autrement dit Étienne Tabourot, sieur des Accords (né à Dijon en 1549 et mort en 1590. Ce procès portait sur la méthode d’enseignement des jésuites, décriée par l’Université mais à laquelle Tabourot des Accords se montrait favorable.

* * *

Après les vers coupés contre les jésuites, Cadet Gassicourt cite Voltaire : « Voltaire, dans Zadig en donne un exemple plus ingénieux lorsqu’il fait trouver par l’envieux la première moitié de ce quatrain :

Par les plus grands forfaits
Sur les trônes affermi
Dans la publique paix
C'est le seul ennemi
J'ai vu troubler la terre
Le roi sait tout dompter.
L'amour seul fait la guerre
Qui soit à redouter
. »

Note ajoutée. « L’envieux » renvoie au quatrième chapitre de Zadig, où l’on apprend que cet envieux se nommait Arimaze, surnommé l’Envieux parce qu’il enviait Zadig, Zadig l’Heureux, disait-on. Zadig, en conversation galante dans un jardin avec une dame, en présence de deux amis, Arimaze l’ennemi envieux s’étant imposé, écrit sur une tablette quatre vers qu’il fait lire à la dame, mais refuse de montrer aux hommes. Pour plus de sûreté, il brise la tablette en deux et la jette dans les buissons. Il pleut, tout le monde rentre à la maison, sauf l’Envieux, qui veut retrouver les morceaux de la tablette. Sur un de ces morceaux, il peut lire des injures adressées au roi :

Par les plus grands forfaits
Sur le trône affermi,
Dans la publique paix
C’est le seul ennemi.

Arimaze dénonce Zadig, celui-ci est emprisonné avec ses deux amis et la dame. Zadig est condamné à mort, mais le perroquet du roi s’abat sur un buisson de roses, y trouve la deuxième partie de la tablette, et la dépose sur les genoux du roi — n’oublions pas que Zadig est un conte !
Rapproche-t-on les deux morceaux de la tablette, on lit :

Par les plus grands forfaits j’ai vu troubler la terre,
Sur le trône affermi, le roi sait tout dompter.
Dans la publique paix l’amour seul fait la guerre :
C’est le seul ennemi qui soit à redouter.
Zadig devient un familier du roi, la reine le regarde d’un œil complaisant, Zadig redevient l’Heureux.

* * *

Au Chapitre X « Du Calembourg et de l’Homonymie », on a droit, page 164 et suivantes, à des calembours du marquis de Bièvre.

Calembours réguliers.

M. de Bièvre voyant la reine porter des souliers verts, lui dit : l’uni-vert est aux pieds de votre majesté.

Le roi lui demanda de faire un calembourg sur lui : Sire, répondit le marquis, vous n’êtes pas un sujet.

Un homme assurait avoir vu le diable sous la figure d’un âne. — Bon ! lui dit-on, vous avez peur de votre ombre.

Un général s’entendait avec ses fournisseurs pour voler la moitié des vivres : espérez-vous, lui dit-on, réduire ainsi votre armée à l’admiration (demi-ration).

On disait d’un fat : il fait réfléchir son miroir, ne pouvant réfléchir lui-même.

On montrait à un voyageur l’anneau que portait Guillaume Tell, le libérateur de la Suisse. — Cela, dit-il, c’est une bague à Tell ?


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