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En réponse à
la première guerre mondiale, il y eut le silence
de Paul Léautaud qui s’en désintéressait pour la
simple raison que les guerres en général étaient
exclues a priori de son univers mental. En
revanche, il y eut l’autobiographie d’un jeune
instituteur, Louis Hobey (1892-1960) qui fit la
guerre au front. Il existe dans le livre sous la
forme de Louis Moreau l’instituteur, marié à une
institutrice comme Louis Hobey, et entamant, comme
lui son service militaire en octobre 1913. Le livre, intitulé
La Guerre c’est ça ! publié en 1937 par la
Coopérative ouvrière d’édition « Librairie
du Travail », a été republié par les
éditions Plein Chant en 2015, dans la collection
« Voix d’en bas », sous un titre
augmenté d’une ponctuation lourde de sens, La
Guerre ? c’est ça !…
et un texte prolongé par des annexes :
« Louis Hobey, la guerre et la
littérature » (par Camille Estienne et
Edmond Thomas), Souvenirs de guerre (par Maurice
Dommanget, 1937), une annonce du livre de Hobey,
mais sans date, deux témoignages de Jeanne et
José Chatroussat, un lexique, où l’on apprend
que l’expression le pain K.K. qu’un lecteur non
prévenu lit spontanément « pain caca »
désigne le pain de guerre allemand à base de
pommes de terre (Kriegskartoffelbrot) et une orientation
bibliographique.
On dirait volontiers que le livre se lit
comme un roman, à cette différence près qu’il ne
s’agit pas d’un roman, mais d’une réalité vécue,
donc plus qu’observée, et retransmise au lecteur
par le biais d’une langue à la fois élégante et
précise, vivante. Louis Hobey, tout à son rôle de
témoin, évite le piège de l’idéologie, laissant la
plupart du temps au lecteur le soin de tirer les
conclusions de faits pris dans une réalité à la
fois subie et intolérable. Le titre à lui seul
implique la réponse attendue du lecteur, suscitée
de page en page par Louis Moreau alias Louis Hobey :
« Plus jamais ça ». À peine frôle-t-il
de temps en temps une morale socialisante faite
pour une communauté restreinte et non pour
l’individu à la recherche d’une sagesse
philosophique universelle : « Si
quelque chose sauvait l’humanité au cours de
cette guerre, où elle roulait si bas, c’était
bien la solidarité qui liait les humbles dans
leur mauvais destin » (page 88).
Militaire efficace malgré lui, le Louis
Moreau du livre monte en grade, devient caporal,
reçoit la croix de guerre, mais sans la porter.
Devenu sergent, il apprendra, fou de rage, que des
missions difficiles lui avaient été imposées
uniquement pour tester sa valeur militaire avant
de l’élever dans la hiérarchie de l’armée. Il
finira la guerre en prisonnier capturé par les
Allemands et relégué en Silésie, souffrant sans
arrêt du froid et de la faim, puis reviendra
clandestinement dans son pays en janvier 1919, mal
à l’aise devant une insupportable (pour lui)
héroïsation officielle et imposée. À la fin du
livre (page 301), le militaire Louis Moreau
reprend la place d’un instituteur, il devient le
maître dirigeant le lecteur, son élève, en lui
donnant pour objectif de se libérer de la guerre
en tuant cette tueuse : « C’est dans
l’esprit qu’il faut tuer la guerre, en arrachant
de l’esprit jusqu’à l’idée même de cette folie qui
nous vient des anciens âges. » C’était, au
lieu du bourrage de crâne des bien-pensants,
l’appel à la raison d’un pédagogue.
PETITE ANTHOLOGIE
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Lors de la bataille de la Somme (1916), ce
territoire nordique fut transformé en un
charnier,
[…] ils étaient tombés.
Depuis, ils pourrissaient. L’odeur
était épouvantable. Des myriades de
mouches fort jolies, vertes, à
reflet bleu doré, s’étaient abattues
sur toute cette lamentable charogne.
Elles s’élevaient en essaims
bruissants quand, par hasard, les
soldats fraîchement débarqués, mal
habitués à un aussi écœurant
spectacle, jetaient sur les têtes
verdies la pelletée de terre
pitoyable. (Page 79)
-
Moreau, toujours dans son rôle
d’instituteur, donne l’exemple en refusant
la drogue distribuée aux soldats.
Le matin apporta la rituelle
distribution des jours
d’attaque : la gnôle mélangée
d’éther, distribution de poison.
Moreau s’emporta contre les chefs qui
osent ! Il ne boirait pas. Son
autorité de camarade était assez
grande pour empêcher les autres de
boire. Deux ou trois seulement, les
moins sûrs d’eux-mêmes, ingurgitèrent
leur demi-quart de folie. Déjà Moreau
avait répandu le reste sur le sol.
(Page 112)
-
Moreau, en permission, juge sévèrement Le
Pays,
abréviation du journal hebdomadaire, ou
revue,
Le Pays de France, créé en
1914, défunt en 1918. Précisons
que ci-dessous, la « formule
fameuse » citée par Moreau, en
effet passée dans la langue commune,
avait été lancée par l’anarchiste Jean
Goldsky, dans La Tranchée
républicaine.
Il cherchait à lire le Pays, un nouveau journal qui
dénonçait quelques abus pour aboutir
à la formule fameuse :
« Pas une minute de plus, pas
une minute de moins ». Tarte à
la crème pour superficiels.
« Pas une minute de plus »
pour attirer au journal les lecteurs
mécontents de la guerre et ménager
les soldats. « Pas une minute
de moins » pour rassurer les
gouvernants, la censure et tous ceux
qui se nourrissaient du charnier.
(Page136)
- L’attaque de 1917.
En avant ! En
avant ! Hop ! par groupes
sur les gradins glissants, la première
vague était partie. Minute tragique
entre toutes, vide immense dans les
êtres. Une seule idée subsiste :
gagner la tranchée là-bas.
Courir ! Courir, dos ployé, sous
les rafales ! Se dépêtrer des
barbelés ; éviter les trous
d’obus ; s’aplatir sous le
barrage des autres qui s’est déclenché
à la minute de l’attaque. Se coucher
une seconde ! Bondir à
nouveau ; approcher du barrage de
75 protecteur et meurtrier, le suivre.
(Page 154)
- Craonne, en mars 1918.
On ne pouvait creuser la
terre, pour tracer un boyau ou réparer
une vieille tranchée, sans plonger, de
la pioche, dans la pourriture d’un
ventre crevé qui lançait au loin ses
éclaboussures immondes. Ailleurs,
c’était un pied, une jambe, qu’il eût
fallut arracher. (Page 165)
- Bêtise et barbarie de la
guerre.
La
guerre était bien la destruction
totale et bête, quelque chose comme,
en plein vingtième siècle, un passage
renouvelé des Huns. Ici, les
Allemands. Ailleurs les Français, dans
leur propre pays. (Page 177)
- Le
11 novembre 1918, en Allemagne, au camp
des prisonniers français, le président
français du camp se réjouit :
Éloge de la victoire, de la
revanche, l’Alsace et la Lorraine,
tout y passa. Cet homme n’avait donc
rien appris ? Et le fracas sans
fin des barrages ! Et les tirs
fauchants des mitrailleuses ! Et
les corps éventrés, morceaux épars sur
la plaine, le sang rougissant la
terre, les files de croix de bois
peuplant les cimetières, les relèves,
la boue, les poux ! (Pages 273 et
274).
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