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Nous n'avons pas
originairement été faits pour être savants ; c'est
peut-être par une espèce d'abus de nos facultés
organiques que nous le sommes devenus, et cela à la
charge de l'État, qui nourrit une multitude de fainéants
que la vanité a décorés du nom de philosophes. La nature
nous a tous créés uniquement pour être heureux ;
oui, tous, depuis le ver qui rampe jusqu'à l'aigle qui
se perd dans la nue. C'est pourquoi elle a donné à tous
les animaux quelque portion de la loi naturelle, portion
plus ou moins exquise selon que le comportent les
organes bien conditionnés de chaque animal. A présent, comment
définirons-nous la loi naturelle ? C'est un
sentiment qui nous apprend ce que nous ne devons pas
faire, parce que nous ne voudrions pas qu'on nous le
fît. Oserais-je ajouter à cette idée commune qu'il me
semble que ce sentiment n'est qu'une espèce de crainte
ou de frayeur, aussi salutaire à l'espèce qu'à
l'individu ; car peut-être ne respectons-nous la
bourse et la vie des autres, que pour nous conserver nos
biens, notre honneur et nous-mêmes ; semblables à
ces Ixions du christianisme qui n'aiment Dieu et
n'embrassent tant de chimériques vertus que parce qu'ils
craignent l'enfer. Note au mois de décembre 2021. — Ixion est un personnage de la mythologie grecque rendu presque fou par les dieux pour avoir fait tomber un ennemi personnel dans une fosse emplie de charbon brûlant, puis complètement fou par Zeus lui-même afin de le punir d’avoir tenté de séduire sa femme, Hera. |
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Après cela, qu'un
vain peuple pense différemment, qu'il ose affirmer
qu'il y va de la probité même à ne pas croire la
révélation, qu'il faut, en un mot, une autre religion
que celle de la nature, quelle qu'elle soit !
quelle misère ! quelle pitié ! et la bonne
opinion que chacun nous donne de celle qu'il a
embrassée ! Nous ne briguons point ici le
suffrage du vulgaire. Qui dresse dans son cœur des
autels à la superstition, est né pour adorer des
idoles et non pour sentir la vertu. Mais puisque
toutes les facultés de l'âme dépendent tellement de la
propre organisation du cerveau et de tout le corps
qu'elles ne sont visiblement que cette organisation
même, voilà une machine bien éclairée ! car
enfin, quand l'homme seul aurait reçu en partage la
loi naturelle, en serait-il moins une machine ?
Des roues, quelques ressorts de plus que dans les
animaux les plus parfaits, le cerveau
proportionnellement plus proche du cœur et recevant
aussi plus de sang, la même raison donnée ; que
sais-je enfin ? des causes inconnues produiraient
toujours cette conscience délicate si facile à
blesser, ces remords qui ne sont pas plus étrangers à
la matière que la pensée, et en un mot toute la
différence qu'on suppose ici. L'organisation
suffirait-elle donc à tout ? Oui, encore une
fois ; puisque la pensée se développe visiblement
avec les organes pourquoi la matière dont ils sont
faits ne serait-elle pas aussi susceptible de remords
quand une fois elle a acquis avec le temps la faculté
de sentir. L'âme n'est donc qu'un vain terme dont on n'a point d'idée, et dont un bon esprit ne doit se servir que pour nommer la partie qui pense en nous. |
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Entrons dans quelques détails
de ces ressorts de la machine humaine. Tous les
mouvements vitaux, animaux, naturels et automatiques
se font par leur action. N'est-ce pas machinalement
que le corps se retire, frappé de terreur, à l'aspect
d'un précipice inattendu ? que les paupières
s'abaissent à la menace d'un coup, comme on l'a
dit ? que la pupille s'étrécit au grand jour pour
conserver la rétine, et s'élargit pour voir les objets
dans l'obscurité ? n'est-ce pas machinalement que
les pores de la peau se ferment en hiver pour que le
froid ne pénètre pas l'intérieur des vaisseaux ?
que l'estomac se soulève irrité par le poison, par une
certaine quantité d'opium, par tous les émétiques,
etc. ? que le cœur, les artères, les muscles se
contractent pendant le sommeil comme pendant la
veille ? que le poumon fait l'office d'un
soufflet continuellement exercé ? n'est-ce pas
machinalement qu'agissent tous les sphincters de la
vessie, du rectum, etc. ? que le cœur a une
contraction plus forte que tout autre muscle ?
que les muscles érecteurs font dresser la verge dans
l'homme comme dans les animaux qui s'en battent le
ventre, et même dans l'enfant, capable d'érection,
pour peu que cette partie soit irritée ? Ce qui
prouve, pour le dire en passant, qu'il est un ressort
singulier dans ce membre, encore peu connu, et qui
produit des effets qu'on n'a point encore bien
expliqués, malgré toutes les lumières de l’anatomie.
Je ne m'étendrai
pas davantage sur tous ces petits ressorts subalternes
connus de tout le monde. Mais il en est un autre plus
subtil et plus merveilleux, qui les anime tous ;
il est la source de tous nos sentiments, de tous nos
plaisirs, de toutes nos passions, de toutes nos
pensées ; car le cerveau a ses muscles pour
penser, comme les jambes pour marcher. |
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Nous sommes de vraies taupes dans le champ de la nature ; nous n'y faisons guère que le trajet de cet animal ; et c'est notre orgueil qui donne des bornes à ce qui n'en a point. Nous sommes dans le cas d'une montre qui dirait (un fabuliste en ferait un personnage de conséquence dans un ouvrage frivole) : « Quoi ! c'est ce sot ouvrier qui m'a faite, moi qui divise le temps ! moi qui marque si exactement le cours du soleil ; moi qui répète à haute voix les heures que j'indique ! non, cela ne se peut pas. » Nous dédaignons de même, ingrats que nous sommes, cette mère commune de tous les règnes, comme parlent les chimistes. Nous imaginons ou plutôt nous supposons une cause supérieure à celle à qui nous devons tout, et qui a véritablement tout fait d'une manière inconcevable. Non, la matière n'a rien de vil qu'aux yeux grossiers qui la méconnaissent dans ses plus brillants ouvrages ; et la nature n'est point une ouvrière bornée. Elle produit des millions d'hommes avec plus de facilité et de plaisir qu'un horloger n'a de peine à faire la montre la plus composée. Sa puissance éclate également et dans la production du plus vil insecte, et dans celle de l'homme le plus superbe ; règne animal ne lui coûte pas plus que le végétal, ni le plus beau génie qu'un épi de blé. Jugeons donc par ce que nous voyons, de ce qui se dérobe à la curiosité de nos yeux et de nos recherches, et n'imaginons rien au delà. Suivons le singe, le castor, l'éléphant, etc., dans leurs opérations. S'il est évident qu'elles ne peuvent se faire sans intelligence pourquoi la refuser à ces animaux ? et si vous leur accordez une âme, fanatiques, vous êtes perdus ; vous aurez beau dire que vous ne décidez point sur sa nature, tandis que vous lui ôtez l'immortalité ; qui ne voit que c'est une assertion gratuite ? qui ne voit qu'elle doit être ou mortelle ou immortelle, comme la nôtre, donc elle doit subir le même sort, quel qu'il soit ! | |
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