ÉDITIONS PLEIN CHANT

AJOUTS

Janvier  2019


  






R E Q U E S T E

DU SIEUR POLICHINELLE

  à Messieurs

DE l’ACADÉMIE FRANÇAISE.

1732.


Supplie avec humilité
POLICHINELLE  si vanté
Dans le Préau & dans la Foire,
Lieux où tout célébre sa gloire,
Où ses lazzis divertissans
Font rire les honnêtes gens,
Qui du Lundi font le Dimanche,
Et dont pour le jeu le goût panche :
Disant que les Comédiens
Qui dans l’État sont de vrais riens,
Ayant, malgré leur ignorance
Qu’égale leur vaine arrogance,
Été reçus dans ce grand Corps
Qui du langage a les trésors,
Décide des belles pensées,
Et juge les têtes sensées
Au tribunal du grand, du beau,
Et produit toujours du nouveau ;
Il est juste qu’il ait sa place
Sur ce respectable Parnasse,
Attendu que, comme Farceur,
Il peut prétendre au même honneur.
Offre pour ce Polichinelle,
Qui veut en tout prouver son zéle
Au Corps Académicien,
Les bonnes places dans le sien,
Promet de le faire bien rire,
Et même parfois de l’instruire ;
Les brodequins et les sabots
Ayant pour ce des droits égaux.
Messeigneurs de l’Académie,
Plaçant dans votre Académie
Polichinelle et ses Acteurs,
Vous deviendrez ses protecteurs
Avec vous il deviendra souple,
Vous & lui ne ferez qu’un couple,
Au lieu que ces Héros Faquins,
Du parterre vils baladins,
Qui font corps dans votre assemblée,
Prétendroient l’emporter d’emblée,
Et se croyant les Rois qu’ils font
Sur vous avant peu primeront.
Quelle honte pour la Noblesse
D’admettre à son rang la bassesse !
Quelle honte pour des Prélats,
D’avoir avec eux des pieds-plats
Qu’eux-mêmes ils excommunient,
Et que les Fidèles renient
Comme inobservateurs des Loix,
Dont l’Église soutient les droits,
Et qui pleins de l’esprit des autres,
Enverront vos avis aux piautres,
Et décideront hardiment
Comme l’Auteur le plus sçavant !
Mais pour le Sieur Polichinelle
Il sera toujours plein de zéle,
Et, comme inférieur à tout,
Au bon sens soumettra son goût,
Loin d’imiter tel personnage
Qui, comme certain Geay peu sage,
Prit les plumes de plusieurs Paons
Voulant briller à leurs dépens :
Polichinelle, sans prétendre
Au rang que chez vous veulent prendre
Les Comédiens suffisans,
Ne demande que les bas blancs,
Se reconnaissant pour externe
Dans ce Corps que tout Paris berne,
Depuis qu’il a pris pour égaux
Les Dufresnes & les Quinaults,
Qui sur une simple selette
L’œil baissé, la bouche muette,
Devant vous devroient être mis,
Comme devant Juges commis
Pour corriger leur ignorance
Et réprimer leur insolence.
Ce consideré, sans tarder
Il vous plaise de l’installer,
Ou de renvoyer ses Confreres
Qui, peu propres à vos mystères,
Deshonoreront votre emploi
Que protège un auguste Roi.
Ce faisant, vous ferez justice,
Vous empêcherez qu’on agisse,
En faisant courir des Brevets
Qui pour vous exprès seroient faits
Sans faute, & ce dans la huitaine,
À compter de cette semaine.


Mémoires pour servir à l’Histoire de la Calotte,
première édition, cinquième partie,
Aux États calotins, de l’Imprimerie calotine, 1754, page 141.

  


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