PLEIN CHANT

AJOUTS

Octobre 2021





 
  







 
TROIS TABARINADES
ou

FANTAISIES  TABARINIQUES





 

TABARIN

 





  

Sous le nom de Tabarin se cachaient deux frères du temps de Henri IV, Philippe et Antoine Girard (né en 1584, mort en 1626), dont le premier se donna le nom de Philippe de Montdor, docteur médecin, et le second celui de Tabarin, censé être aux ordres de Philippe de Montdor. Antoine Girard avait épousé Vittora Bianca (Victoire Blanche) qui se produisait avec les deux frères sous le nom de Francisquine, et mourut  en 1663. Le trio, avant de s’exhiber à Paris sur le Pont Neuf, débitait des tirades scatologiques ou sexuelles au château de Blois où avait été exilée en 1617 Marie de Médicis. L'ancienne reine  ne se scandalisait aucunement des propos graveleux proférés, du genre de ceux que l’on pourra lire plus tard dans les ouvrages de Tabarin (jamais signés de son nom) ainsi  : « Pourquoi on vesse en pissant », « Pourquoy les femmes ont les fesses plus grosses que les hommes », à quoi Tabarin répondait « [parce que] l’enclume doit estre tousjours plus grosse que le marteau. » Émile Magne, dans Le plaisant abbé de Boisrobert (Mercure de France, 1909, p. 49) évoquera les deux frères Girard : « Juchés sur leurs tréteaux, ils tiennent en suspens, pour des heures de saine gaité, toute la gente parasite du château de Blois et Marie de Médicis elle-même ».
Voltaire n'aura pas la curiosité de Marie de Médicis, on l'apprend dans une lettre au marquis Francesco Albergati Capacelli dans laquelle il dit son mépris pour ceux qui
« admettent les Polichinelle et les Tabarin, et qui rejettent les Polyeucte, les Athalie, les Zaïre [par Voltaire] et les Alzire ! [idem] ».

En 1619 et jusqu’en 1625 les frères se produisirent en bateleurs au Pont-Neuf. Mieux, les lecteurs du dix-septième siècle firent la connaissance de Tabarin par la lecture lorsque parut en 1622 Inventaire universel des œuvres de Tabarin Contenant ses fantaisies, dialogues, Paradoxes, Farces, Rencontres, & Conceptions [le mélange des initiales majuscules et minuscules est ici exactement reproduit] Œuvre plaisant et récréatif où, parmy les subtilitez tabariniques, on voit l'éloquente doctrine du sieur Mondor. Ensemble les Rencontres, Coq-à-l'asne et Gaillardises du baron de Grattelard. L’Epistre dédicatoire à Monsieur de Mondor qui introduit  l’Inventaire universel… était signée A. G. (Antoine Girard).

En 1878, les amateurs de curiosités avaient à leur disposition Les Œuvres de Tabarin avec Les adventures du capitaine Rodomont La farce des bossus et autres pièces tabariniques, préface et notes par Georges D’Harmonville (Garnier frères, 1878) dont on peut, de nos jours lire une réédition. On peut lire aussi les pages 179-181 du premier volume de l’Histoire de la littérature française par Antoine Adam, universitaire et chercheur, parue aux éditions Domat-Montchrestien en 1948 où une note d'Antoine Adam  nous incite à lire ou relire Le plaisant Abbé de Boisrobert, par Émile Magne (Mercure de France, 1909) pour ses quelques pages sur Tabarin. Dans l'édition de  l'Histoire comique de Francion par Charles Sorel et présentée par Fausta Garavini (Gallimard, folio classique, 1996) on rencontre brièvement, page 508, Tabarin  : « je [Francion] ne suis pas de ces affronteurs qui courent par le pays et vous viennent ici vendre d'un onguent qui doit servir à tous maux et n'en guérit néanmoins pas un. Je vous en fournirai de plusieurs. Je suis plus savant que cet illustre Tabarin que l'on a vu paraître dans les plus belles villes de la France. »

Les trois extraits ci-dessous ont été choisis dans les deux volumes des Œuvres complètes de Tabarin Avec les rencontres, fantaisies et coq-à-l’âne facétieux du baron de Gratelard Et divers opuscules publiés séparément sous le nom ou à propos de Tabarin Le tout précédé d’une Introduction et d’une Bibliographie Tabarinique, par Gustave Aventin (Paris, P. Jannet, Libraire, 1858).

  




TROIS DIALOGUES  IMAGINÉS
par
 
TABARIN




  

Quel est l'animal le moins
glorieux.


TABARIN.  Nostre  maistre, qui est l'animal le moins glorieux des animaux ?
LE MAISTRE. C'est l'homme, Tabarin ; car, bien qu'il ait le moyen de s'extoller [s'élever] et se glorifier par dessus toutes les creatures, comme estant le plus parfait et le plus excellent, toutesfois il ne se glorifie sinon en une seule chose, sçavoir est, d'estre un homme. C'est sa plus grande gloire, et où il se sent relevé par dessus toutes choses ; et, bien que plusieurs des animaux ayent des particularitez qui surpassent en quelque chose ceste nature humaine, comme le lynx en la vue, les chiens en l'odorat, le cerf en la course, le lion en la force, et autres telles proprietez où la nature s'est voulu esgayer pour montrer sa puissance et declarer son industrie, si est-ce que la raison de laquelle l'homme jouit surpasse et laisse derrière soy toutes les autres considerations, et toutesfois l'homme ne se glorifie point tant que la chose requiert, ainsi se contente de ce que nature luy a donné de plus rare et de plus precieux.
TABARIN.  Vous n'y estes pas. L'animal le moins curieux d'honneur, c'est le pourceau, mon maistre, parce qu'il ayme cent fois mieux avoir un estron en sa gorge qu'un bouquet à son oreille.

(Œuvres complètes de Tabarin… Paris, P. Jannet, Libraire, 1858, tome I, pages 123-124)

 
  


  

Quel est le métier le plus honorable ?


TABARIN. Entre tous les mestiers du monde  lequel trouvez-vous qui soit le plus honorable, mon maistre ?
LE MAISTRE. C'est la peinture, Tabarin ; ce mestier ou plustost, cet art a tant de proportion avec l'honneur et la bienseance d'un homme genereux et qui veut faire profession de sçavoir quelque chose, que les princes et les grands de la cour ne tiennent à contrecœur de s'en rendre professeurs. Ceste partie orne grandement un homme et le rend en son estre parfait. Mais devant que d'acquerir la perfection de la peinture, le chemin est très difficile à tenir ; peu s'en sçavent bien desmeller. Premièrement, on doit bien sçavoir meller une couleur, donner les dimensions, les proportions et les latitudes au corps qu'on veut peindre ; puis on doit sçavoir parfaitement la perspective, les raccourcissements, relever les ombrages par des couleurs proportionnées et vives. Bref, ce mestier me semble le plus honorable, puisqu'il est honoré, respecté universellement de tout le monde, et que c'est  le seul mestier qui peut si bien tromper nos sens et imiter la nature, que bien souvent les plus experimentez y sont pris.
TABARIN
. Je ne le trouve pas pourtant le mestier le plus honorable, car il feroit tort à celuy de maistre Jehan Guillaume [J. Guillaume était bourreau]. Par ma foy, je croys, pour mon regard, que son mestier est le plus honorable de tous les mestiers : car, premierement, quand il veut travailler, il met ses beaux habits, on le mène dans un carosse à deux roues, et ce, parmy une grande afluence de peuple ; et, en signe de plus grand honneur, quand il est prest d'achever son ouvrage, chacun oste son chapeau. Voulez-vous trouver un mestier plus honorable au monde ?

(Œuvres complètes de Tabarin… Paris, P. Jannet, Libraire, 1858, tome II, pages 77-78)

  


  

Qui sont les mauvais artisans.

TABARIN. Quelles gens doit-on appeler mauvais artisans, nostre maistre ?
LE MAISTRE. Les mauvais artisans sont ceux qui ne veulent pas travailler, ainsi, au lieu de mettre à chef quelque genereuse entreprise, se vont promener, se donner du bon temps ; l'ivrognerie vient après, qui, s'estant une fois plantée dans la cervelle de telles gens, les corrompt entierement et les rend inaptes à pouvoir faire quelque chose de bon ; car leurs membres, par la force du vin qui agit au dedans, demeurent comme assoupis ; l'oisiveté les suit en dos, qui les rend nonchalans, de façon qu'ils aiment mieux estre feneants que de travailler ou de suivre leur exercice ordinaire. Voilà, à  mon advis, ceux qui sont les plus mauvais artisans, Tabarin.
TABARIN. Vostre advis n'est guère bon, nostre maistre. N'appelez-vous pas un bon ouvrage quand un homme sçait bien boire et bien manger ? Pour moy, je crois que c'est le meilleur mestier du monde. Les plus mauvais artisans sont les charpentiers et les menuisiers, parce que, quand ils ont fait une besogne, bien qu'elle soit toute neuve et qu'on leur reporte, ils ne s'en veulent jamais servir. Par exemple, si un charpentier a fait une potence, bien qu'elle n'ait servy qu'une fois, il ne la veut pas reprendre pour soy ; le mesme en est d'un menuisier quand il fait une bière : au diable si jamais on luy voit reprendre.

(Œuvres complètes de Tabarin… Paris, P. Jannet, Libraire, 1858, tome II, pages 97-98)

  


Note. Plusieurs mots, dans les trois extraits, ont été modernisés.




   



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