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TROIS
TABARINADES
ou
FANTAISIES TABARINIQUES
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Sous le nom
de Tabarin se cachaient deux
frères du temps de Henri IV,
Philippe et Antoine Girard (né en
1584, mort en 1626),
dont le premier se donna le nom de
Philippe de Montdor, docteur
médecin, et le second celui de
Tabarin, censé être aux ordres de
Philippe de Montdor. Antoine
Girard avait épousé
Vittora Bianca (Victoire Blanche)
qui se produisait avec les deux
frères sous le nom de
Francisquine, et mourut
en 1663. Le trio, avant de
s’exhiber à Paris sur le Pont
Neuf, débitait des tirades scatologiques ou sexuelles
au château de Blois où avait été
exilée en 1617 Marie de Médicis. L'ancienne
reine ne
se scandalisait aucunement
des propos graveleux proférés, du
genre de ceux que l’on pourra lire
plus tard dans les ouvrages de Tabarin
(jamais signés de son nom)
ainsi : « Pourquoi
on vesse en pissant »,
« Pourquoy les femmes ont les
fesses plus grosses que les
hommes », à quoi Tabarin
répondait « [parce que]
l’enclume doit estre tousjours
plus grosse que le marteau. »
Émile Magne, dans Le plaisant
abbé de Boisrobert
(Mercure de France, 1909, p. 49)
évoquera les deux frères
Girard : « Juchés sur
leurs tréteaux, ils tiennent en
suspens, pour des heures de
saine gaité, toute la gente
parasite du château de Blois et
Marie de Médicis
elle-même ».
Voltaire n'aura
pas la curiosité
de Marie de Médicis, on
l'apprend dans une lettre
au marquis Francesco
Albergati Capacelli
dans laquelle
il dit son
mépris
pour
ceux
qui «
admettent
les
Polichinelle
et les Tabarin,
et qui
rejettent les
Polyeucte,
les Athalie,
les Zaïre
[par Voltaire]
et les Alzire
!
[idem] ».
En 1619 et
jusqu’en 1625 les frères se
produisirent en bateleurs au
Pont-Neuf. Mieux, les lecteurs du
dix-septième siècle firent la
connaissance de Tabarin par la
lecture lorsque parut en 1622 Inventaire
universel des œuvres de Tabarin
Contenant
ses
fantaisies,
dialogues,
Paradoxes, Farces,
Rencontres, & Conceptions [le mélange
des initiales
majuscules et minuscules est ici
exactement reproduit]
Œuvre plaisant et récréatif où,
parmy les subtilitez
tabariniques, on voit
l'éloquente doctrine du sieur
Mondor. Ensemble les Rencontres, Coq-à-l'asne et Gaillardises du
baron de Grattelard. L’Epistre
dédicatoire à Monsieur de Mondor
qui introduit l’Inventaire
universel…
était signée A. G. (Antoine
Girard).
En 1878, les
amateurs de curiosités avaient à
leur disposition Les Œuvres de
Tabarin avec
Les adventures du capitaine
Rodomont La farce des bossus et
autres pièces tabariniques,
préface et notes par Georges
D’Harmonville (Garnier frères,
1878) dont on peut, de nos jours
lire une réédition. On peut lire
aussi les pages 179-181 du
premier volume de l’Histoire
de la littérature française par
Antoine Adam, universitaire et
chercheur, parue aux éditions
Domat-Montchrestien en 1948 où
une note d'Antoine Adam
nous incite à lire ou relire Le
plaisant Abbé de Boisrobert, par
Émile Magne (Mercure de France,
1909) pour ses quelques pages
sur Tabarin. Dans
l'édition
de l'Histoire
comique
de Francion par
Charles Sorel et présentée
par Fausta Garavini
(Gallimard, folio
classique, 1996) on
rencontre
brièvement, page
508, Tabarin : «
je [Francion] ne suis pas de ces
affronteurs qui courent par le
pays et vous viennent ici
vendre d'un onguent qui
doit servir à tous maux et
n'en
guérit néanmoins pas un.
Je vous en fournirai de
plusieurs. Je
suis plus savant que cet
illustre Tabarin que l'on a vu
paraître dans les plus belles
villes de la France. »
Les trois
extraits ci-dessous ont été
choisis dans les deux volumes des
Œuvres complètes de Tabarin Avec les rencontres,
fantaisies et coq-à-l’âne
facétieux du baron de Gratelard
Et divers opuscules publiés
séparément sous le nom ou à
propos de Tabarin Le tout
précédé d’une Introduction et
d’une Bibliographie Tabarinique,
par Gustave Aventin (Paris, P.
Jannet, Libraire, 1858).
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TROIS DIALOGUES
IMAGINÉS
par
TABARIN
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Quel est l'animal le moins glorieux.
TABARIN. N ostre maistre, qui
est l'animal le moins glorieux des
animaux ?
LE MAISTRE.
C'est l'homme, Tabarin ; car,
bien qu'il ait le moyen de
s'extoller [s'élever] et se
glorifier par dessus toutes les
creatures, comme estant le plus
parfait et le plus excellent,
toutesfois il ne se glorifie
sinon en une seule chose,
sçavoir est, d'estre un homme.
C'est sa plus grande gloire, et
où il se sent relevé par dessus
toutes choses ; et, bien que
plusieurs des animaux ayent des
particularitez qui surpassent en
quelque chose ceste nature
humaine, comme le lynx en la
vue, les chiens en l'odorat, le
cerf en la course, le lion en la
force, et autres telles
proprietez où la nature s'est
voulu esgayer pour montrer sa
puissance et declarer son
industrie, si
est-ce que la raison de laquelle
l'homme jouit surpasse et laisse
derrière soy toutes les autres
considerations, et toutesfois
l'homme ne se glorifie point
tant que la chose requiert,
ainsi se contente de ce que
nature luy a donné de plus rare
et de plus precieux.
TABARIN.
Vous n'y estes pas. L'animal le
moins curieux d'honneur, c'est
le pourceau, mon maistre, parce
qu'il ayme cent fois mieux avoir
un estron en sa gorge qu'un
bouquet à son oreille.
(Œuvres complètes de
Tabarin… Paris, P.
Jannet, Libraire, 1858, tome
I, pages 123-124)
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Quel est le métier le plus
honorable ?
TABARIN. Entre
tous les mestiers du monde
lequel trouvez-vous qui soit le plus
honorable, mon maistre ?
LE MAISTRE. C'est
la peinture, Tabarin ; ce mestier ou
plustost, cet art a tant de
proportion avec l'honneur et la
bienseance d'un homme genereux et
qui veut faire profession de sçavoir
quelque chose, que les princes et
les grands de la cour ne tiennent à
contrecœur de s'en rendre
professeurs. Ceste partie orne
grandement un homme et le rend en
son estre parfait. Mais devant que
d'acquerir la perfection de la
peinture, le chemin est très
difficile à tenir ; peu s'en sçavent
bien desmeller. Premièrement, on
doit bien sçavoir meller une
couleur, donner les dimensions, les
proportions et les latitudes au
corps qu'on veut peindre ; puis on
doit sçavoir parfaitement la
perspective, les raccourcissements,
relever les ombrages par des
couleurs proportionnées et vives.
Bref, ce mestier me semble le plus
honorable, puisqu'il est honoré,
respecté universellement de tout le
monde, et que c'est le seul
mestier qui peut si bien tromper nos
sens et imiter la nature, que bien
souvent les plus experimentez y sont
pris.
TABARIN.
Je ne le trouve pas pourtant le
mestier le plus honorable, car il
feroit tort à celuy de maistre Jehan
Guillaume [J. Guillaume était
bourreau]. Par ma foy, je croys,
pour mon regard, que son mestier est
le plus honorable de tous les
mestiers : car, premierement, quand
il veut travailler, il met ses beaux
habits, on le mène dans un carosse à
deux roues, et ce, parmy une grande
afluence de peuple ; et, en signe de
plus grand honneur, quand il est
prest d'achever son ouvrage, chacun
oste son chapeau. Voulez-vous
trouver un mestier plus honorable au
monde ?
(Œuvres
complètes de Tabarin… Paris,
P. Jannet, Libraire, 1858, tome
II, pages 77-78)
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Qui sont les mauvais
artisans.
TABARIN.
Quelles
gens doit-on appeler mauvais
artisans, nostre maistre ?
LE MAISTRE. Les
mauvais artisans sont ceux qui ne
veulent pas travailler, ainsi, au
lieu de mettre à chef quelque
genereuse entreprise, se vont
promener, se donner du bon temps ;
l'ivrognerie vient après, qui,
s'estant une fois plantée dans la
cervelle de telles gens, les
corrompt entierement et les rend
inaptes à pouvoir faire quelque
chose de bon ; car leurs membres,
par la force du vin qui agit au
dedans, demeurent comme assoupis ;
l'oisiveté les suit en dos, qui
les rend nonchalans, de façon
qu'ils aiment mieux estre feneants
que de travailler ou de suivre
leur exercice ordinaire. Voilà,
à mon advis, ceux qui sont
les plus mauvais artisans,
Tabarin.
TABARIN. Vostre advis n'est
guère bon, nostre maistre.
N'appelez-vous pas un bon
ouvrage quand un homme sçait
bien boire et bien manger ? Pour
moy, je crois que c'est le
meilleur mestier du monde. Les
plus mauvais artisans sont les
charpentiers et les menuisiers,
parce que, quand ils ont fait
une besogne, bien qu'elle soit
toute neuve et qu'on leur
reporte, ils ne s'en veulent
jamais servir. Par exemple, si
un charpentier a fait une
potence, bien qu'elle n'ait
servy qu'une fois, il ne la veut
pas reprendre pour soy ; le
mesme en est d'un menuisier
quand il fait une bière : au
diable si jamais on luy voit
reprendre.
(Œuvres complètes de
Tabarin… Paris, P. Jannet,
Libraire, 1858, tome II, pages
97-98)
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Note. Plusieurs mots,
dans les trois
extraits, ont été modernisés.
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