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A MADAME *.
Le grand
Parleur & le Sot Sçavant.
Avoüez que ce bel
Esprit que vous m’aviez tant vanté, est
incommode. On vous avoit bien trompée, Madame,
de vous en avoir dit tant de merveilles.
Personne n’a jamais eu un si étrange flux de
bouche : quand on dit un mot en sa
présence, il s’imagine qu’on entreprend sur
ses droits, & qu’il n’y a au monde que lui
qui doive parler. Il a tout vû, tout
fait ; il sçait tout, & si nous l’en
croyons, il lui est arrivé plus d’avantures,
qu’aux Héros des Romans. Comme c’est un
persécuteur d’oreilles, je ne m’étonne pas
qu’il lui échappe tant de mensonges. Pendant
le tems que nous avons été ensemble, il auroit
été impossible de les compter. Sur tout en
matiére de Livres, de quoi ne se vante-t-il
point ; il a raison de dire qu’il les
dévore ; c’est ce qui l'empéche
de les digérer, & ce qui
fait que son esprit en retire si peu de
nourriture. Il cite à tous momens, & il a
dans la tête une étrange confusion
d’Histoires. Mais bon Dieu ! Madame, que
sa science est éloignée de la maniére dont il
faut sçavoir ! Et qu’il lui seroit plus
avantageux d’être un honnête ignorant, qu’un
sçavant si incommode. On a pitié de la peine
qu’il se donne à faire de méchantes allusions,
& à dire de basses équivoques. Il n’en
laisse échapper aucune. Il est continuellement
en sentinelle pour surprendre une pointe au
passage ; & lorsqu’il en vient à
bout, il rit de tout son cœur, & on le
chagrine si l’on ne rit aussi fort que lui.
Quand j’eusse eu envie de devenir
savant ; voilà, justement l’homme qu’il
me faloit pour m’en dégoûter, & me faire
aimer mon ignorance. Sa conversation m’a aussi
donné tant d’ennui, que rien depuis n’a été
capable de soulager mon chagrin. C’est,
Madame, dequoi vous assure,
Votre très-humble,
& très-obéissant Serviteur.
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A MADAME L **.
Satire d’un esprit grossier &
mélancolique.
Monsieur
N*. a
de l’esprit infiniment. Son esprit, on
l’avoüe, est subtil, mais, Madame, il
s’évapore : & quand il auroit
moins de ce qui éléve, & davantage de
ce qui fixe, il n’en vaudroit
que mieux. Toutefois, quelque éventé qu’il
soit, il est beaucoup plus agréable que le
mélancolique B***. La sotte retenuë de
celui-ci est bien moins supportable, que
l’emportement de celui-là. Le brillant est
toûjours beau, lors mêmes qu’il n’est pas
toûjours réglé. L’on peut
avoir quelquefois de l’esprit par
excès : & peut-être que d’en
avoir trop, c’est être plus près de la
folie, que de n’en avoir que peu. Pour
moi, j’aime mieux les vices qui péchent
par excès, que ceux qui péchent en defaut.
La témérité est plus noble que la
poltronnerie, & la prodigalité que
l’avarice. Quand un homme n’est pas
courageux, ni liberal de la bonne maniére,
il vaut mieux qu’il soit téméraire &
prodigue que poltron & avare. N’est-il
pas vrai, Madame, que le Comte N* qui
mange son bien avec honneur, passe pour
plus honnête homme que le Président D**
qui le conserve si vilainement ;
& le Chevalier N* qui se bat
quelquefois mal à propos, n’est il pas
mieux venu parmi les gens de qualité, que
C*** qui se laisse battre avec lâcheté. Il
en est de même de l’Esprit. Il semble plus
avantageux de l’avoir vif, quoi que mal
conduit, que pesant, & bien réglé.
Vous dites très agréablement qu’il
vaudroit autant entreprendre de fixer le
Mercure, que de vouloir arrêter la
vivacité de celui dont nous parlons. Mais,
pour cela, Madame, croyez-vous qu’il en
soit moins estimable ? Ne sçavez-vous
pas que le mouvement est naturel à notre
esprit aussi bien que la légéreté :
& que plus il possède ces deux
qualitez, plus il est ce qu’il doit être.
J’aime les emportemens & la vivacité
de L* vous avez beau dire qu’il s’éléve si
haut qu’on le perd de vûë. Les animaux qui
se portent en l’air, valent plus que ceux
qui rampent sur la terre. Parmi ceux ci
l’on trouve souvent du venin ; &
parmi les autres, il ne s’en rencontre
presque jamais. Que si cet esprit semble
un fleuve impétueux, c’est celui du N*
& il ne se déborde point, sans
engraisser les Terres de son voisinage. Ce
galant homme en effet pousse dans ses
débordemens, cent choses excellentes dont
on peut faire du profit : mais il
oblige à rire quand il s’abandonne au
torrent de sa veine poëtique. Il n’y a
point de sagesse qui vaille une si
plaisante folie, & si vous y faites
réflexion, vous serez sans doute de mon
sentiment. C’est, Madame**
Votre très-humble
& très-obéïssant Serviteur.
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Contre un liseur de Romans.
A Moi,
Monsieur, parler Roman ; hé !
Dites-moi, je vous supplie, Polexandre
& Alcidiane, sont-ce des Villes que
Gassion aille assiéger ? En vérité,
jusqu’ici j’avois crû être à Paris,
demeurant au Marais du Temple, & je
vous avois crû un Soldat volontaire dans
nos Troupes de Flandres, quelquefois mis
en faction par un Caporal, mais puisque
vous m’assurez que je ne suis plus
moi-même, ni vous celui-là, je suis
obligé chrêtiennement de le
croire ? Enfin, Monsieur, vous
commandez des Armées, oh ! Rendons
graces à la Fortune qui s’est
réconciliée avec la Vertu, certes je ne
m’étonne plus de ce que cherchant tous
les Samedis votre nom dans les Gazettes,
je ne pouvois l’y rencontrer. Vous êtes
à la tête d’une Armée, dans un climat,
dont Renaudot n’a point de connoissance.
Mais en votre conscience, mon cher
Monsieur, dites-moi, est ce
agir en bon François d’abandonner ainsi
votre Patrie, & d’affoiblir par
l’éloignement de votre personne le parti
de notre Souverain ? Vous feriez,
ce me semble, beaucoup plus pour votre
gloire, d’augmenter sur la Mer d’Italie
notre Flote de la vôtre, que d’aspirer à
la conquête d’un Païs qu’un Dieu n’a pas
encore créé. Vous m’en demandez la
route ; par ma foi, je ne la sçai
point, & toutefois je pense que vous
devez changer celle que vous avez prise,
car ce n’est pas le plus court, pour
arriver aux Canaries de passer par les
petites Maisons. Je m’en vais donc pour
la prospérité & le bon succès de
votre voyage faire des vœux & porter
une chandelle à Saint Mathurin, & le
prier que je puisse vous voir sain
quelque jour, afin que vous puissiez
connoître sainement que tout ce que je
vous mande dans cette Lettre n’aboutit
qu’à vous témoigner combien je suis,
MONSIEUR,
Votre affectionné
Serviteur.
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Notes
Ces trois lettres se
lisent au premier tome de Pierre
Richelet, Les plus belles lettres
françoises sur toutes sortes de sujets, tirées des
meilleurs Auteurs, avec des Notes,
Quatrième édition, La Haye, chez
Guillaume de Voys, 1708,
respectivement page 517, page 519 et
page 515. Richelet, connu pour son
dictionnaire, avait désiré faire une
anthologie personnelle de lettres
écrites par d’autres. Les deux
premières furent extraites de Amitiez,
Amours et Amourettes, par Mr. Le
Pays (Amsterdam,
chez Pierre de Coup, 1724) mais plus
ou moins récrites par Richelet.
La troisième, Contre
un liseur de romans,
est de Cyrano de
Bergerac. Précisons que Mr Le Pays
était René Le Pays, sieur Duplessis
Villeneuve (1636-1690), né à Nantes ou
à Fougères et apprécié de son vivant
pour son esprit enjoué.
Cette
lettre, on peut la lire dans l’édition
par Paul Lacroix (le Bibliophile Jacob)
des Œuvres comiques, galantes et
littéraires de Cyrano de Bergerac (Paris,
Adolphe Delahays, 1858), lettre XVII,
rééditée aux éditions Galic (Paris,
1962), dans la Collection de « la
Renaissance des lettres. » Elle
demande quelques précisions. Polexandre, tout comme
Alcidiane, est un
roman de Marin Le Roy de Gomberville
(1600-1674) dont il parut plusieurs
éditions. L’Exil de
Polexandre. Première
partie fut publié en 1629,
suivra en 1632 une édition augmentée
d’une deuxième partie, et la série se
terminera en 1637 avec une édition en
cinq volumes, ou cinq parties,
illustrée par Abraham Bosse. Alcidiane
parut pour la première fois en
1651, sous le titre La jeune
Alcidiane.
Gassion
est Jean de Gassion (1609-1647), homme
de guerre dans l'âme, devenu maréchal en
1643 après avoir contribué à la victoire
de Rocroi. Dans un autre genre, les
« petites Maisons », fut le
nom officiel d’un hôpital réservé à ceux
que l'on appelait, à tort ou à raison, « les
fous ».
On a isolé cette lettre, parce qu'à
l'inverse des deux précédentes, qui
relèvent de l'étude de mœurs et d'une
critique moraliste devenue banale, elle
donne une idée de la littérature que
l'on sent réelle sans pouvoir la
concevoir nettement car elle unit deux
contraires, la réalité réaliste,
si l'on peut dire, et la réalité imaginaire.
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