ÉDITIONS PLEIN CHANT

(Les AMIS DE PLEIN CHANT)

AJOUTS

Décembre 2020

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AUTRES TEMPS, AUTRES MASQUES




  



JEAN LORRAIN

Le confinement nous a imposé le port d'un masque haïssable, mais on avait connu, on connaît toujours les bien nommés bals masqués, les masques de Carnaval, bien plus attrayants, c'est le moins que l'on puisse dire.  De plus, le mot masque peut servir de métaphore dans la description d'une personne et relève en cela de la littérature. Ainsi, Jean Lorrain en fit le titre d'un ouvrage publié chez Fayard, vers 1900, dans la
collection Modern-Bibliothèque : Histoires de Masques, avec des illustrations d'après les dessins de Renefer.







Du livre on a extrait deux courts passages, page 18 et page 40.


J'étais assez énervé, grisé de bruit, de folie et aussi de liqueurs : tout à coup, au milieu des loups de satin, des faux nez, des fausses barbes et des cagoules de moines, un masque de carton imitant à s’y méprendre le visage humain, mais quel visage ! Yeux jambonnés sans cils, lèvres en bourrelets épaisses et saignantes, joues d’un rose de cicatrice et, chose hideuse, pas de nez : une tête camuse et ricaneuse, au sourire découvrant les gencives, mais surtout l’horreur de ce nez absent dans cette face rosâtre, donnant l’impression d’une tête d’écorché…
C’était si hideux et si réussi que je ne pus retenir un cri d’admiration. […] Le rose honteux de ce masque m’obsédait, si bien que n’y pouvant plus tenir : « Assez ! ôte  ton masque » criai-je à la face de carton. Et comme l’homme n’en faisait rien, d’une main horripilée, devenue hardie, je fis le geste de le démasquer.

Mes doigts touchaient de la chair… Ce fut un malaise atroce, une minute d’affreuse défaillance ; le masque n’était pas un masque, c’était le vrai visage de ce malheureux : il sortait de l’hôpital.







Depuis combien d’heures est-ce que j’errais seul au milieu de ces masques silencieux, dans ce hangar voûté comme une église […] Ils se tenaient là, muets, sans un geste, comme reculés dans le mystère sous de longues cagoules de drap d’argent, d’un argent mat au reflet mort ; […] tous ces masques étaient semblables, gainés dans la même robe verte, d’un vert blême comme soufré d’or, à grande manches noires, et tous encapuchonnés de vert sombre avec, dans le vide du capuchon, les deux trous d’yeux de leur cagoule d’argent. […]
F
ou de terreur, j’arrachai la cagoule du masque assis dans la stalle voisine : le capuchon de velours vert était vide, vide le capuchon des autres masques assis le long des murs. Tous avaient des faces d’ombre, tous étaient du néant. […]
Si moi aussi j'étais semblable à eux, si moi aussi j'avais cessé d'exister, et si sous mon masque il n'y avait rien, rien que du
néant ! Je me précipitai vers une des glaces. Un être de songe s’y dressait devant moi, encapuchonné de vert sombre, couronné de lis noirs, masqué d’argent.
Et ce masque était moi, car je reconnus mon geste dans la main qui soulevait la cagoule et, béant d’effroi, je poussai un grand cri, car il n’y avait rien sous le masque de toile argentée, rien dans l’ovale du capuchon, que le creux de l’étoffe arrondi sur le vide : j’étais mort et je…

— « Et tu as encore bu de l’éther, grondait dans mon oreille la voix de de Jakels.








REMY DE GOURMONT

Remy de Gourmont avait publié en 1923 au Mercure de France Le Livre des Masques, sous-titré Portraits symbolistes et illustré par trente masques dessinés par Félix Valloton, la page du masque dessiné jouxtant la première page du texte.  Parmi les auteurs analysés, voici Jules Laforgue pages 208 et 209) et Saint-Pol Roux (pages 229-231).


JULES LAFORGUE


Il n’y eut pas de présent pour Laforgue, sinon parmi un groupe d’amis : il mourut comme allaient naître ses Moralités légendaires, mais offertes encore au petit nombre. […] C’est de la littérature entièrement renouvelée et inattendue, et qui déconcerte et qui donne la sensation curieuse (et surtout rare) qu’on n’a jamais rien lu de pareil […]
Sur un exemplaire de l’Imitation de Notre-Dame la Lune, offert à M. Bourget (et jeté depuis parmi les vieux papiers du quai) Laforgue écrivait : « Ceci n’est qu’un intermezzo. Attendez donc encore, je vous prie, et donnez-moi jusqu’à mon prochain livre… […] mais il était de ceux qui s’attendent toujours eux-mêmes au prochain livre, des nobles insatisfaits qui ont trop à dire pour jamais croire qu’ils ont dit autre chose que des prolégomènes et des préfaces. Si son œuvre interrompue n’est qu’une préface, elle est de celles qui contrebalancent une œuvre.




SAINT-POL ROUX


L’un des plus féconds et des plus étonnants inventeur d’images et de métaphores […] on en dresserait un catalogue ou un dictionnaire :

Sage-femme de la lumière veut dire : le coq.
Lendemain de chenille en tenue de bal…… papillon.

Péché qui tette…… enfant naturel.
Quenouille vivante…… mouton.
La nageoire des charrues…… le soc.
Guêpe au dard de fouet…… la diligence.
Mamelle de cristal…… une carafe.
Le crabe des mains…… main ouverte

[…]
Cimetière qui a des ailes…… un vol de corbeaux.
Romance pour narine…… le parfum des fleurs.

[…]

Si toutes ces images, dont quelques-unes sont ingénieuses, se suivaient à la file vers les Reposoirs de la Procession où les mène le poète, la lecture d’une telle œuvre serait difficile et le sourire viendrait trop souvent tempérer l’émotion esthétique ; mais semées çà et là, elles ne font que des taches et ne brisent pas toujours l’harmonie de poèmes richement colorés, ingénieux et graves.



Ajoutons à ces portraits-masques le portrait plus qu'un masque de Jean Lorrain, à qui Remy de Gourmont a consacré sept pages dans Le IIme Livre des Masques (Mercure de France, 1924).

 


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