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JEAN LORRAIN
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Le confinement nous a imposé le port d'un
masque haïssable, mais on avait
connu, on connaît toujours les bien nommés
bals masqués, les masques de Carnaval, bien
plus attrayants, c'est le moins que
l'on puisse dire. De
plus, le mot masque
peut servir de métaphore dans la
description d'une personne et relève
en cela de la
littérature. Ainsi,
Jean Lorrain en fit le titre d'un ouvrage
publié chez Fayard, vers 1900, dans la collection Modern-Bibliothèque :
Histoires de Masques,
avec des illustrations d'après les dessins
de Renefer.
Du livre on a extrait deux courts passages,
page 18 et page 40.
J'étais assez énervé,
grisé de bruit, de folie et
aussi de liqueurs : tout à coup,
au milieu des loups de satin,
des faux nez, des fausses barbes
et des cagoules de moines, un
masque de carton imitant à s’y
méprendre le visage humain, mais
quel visage ! Yeux
jambonnés sans cils, lèvres en
bourrelets épaisses et
saignantes, joues d’un rose de
cicatrice et, chose hideuse, pas
de nez : une tête camuse et
ricaneuse, au sourire découvrant
les gencives, mais surtout
l’horreur de ce nez absent dans
cette face rosâtre, donnant
l’impression d’une tête
d’écorché…
C’était si hideux et si réussi
que je ne pus retenir un cri
d’admiration. […] Le rose
honteux de ce masque m’obsédait,
si bien que n’y pouvant plus
tenir : « Assez !
ôte ton
masque » criai-je à la face
de carton. Et comme l’homme n’en
faisait rien, d’une main
horripilée, devenue hardie, je
fis le geste de le démasquer.
Mes doigts touchaient de la
chair… Ce fut un malaise atroce,
une minute d’affreuse
défaillance ; le masque
n’était pas un masque, c’était
le vrai visage de ce
malheureux : il sortait de
l’hôpital.
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Depuis
combien d’heures est-ce que
j’errais seul au milieu de ces
masques silencieux, dans ce
hangar voûté comme une église
[…] Ils se tenaient là, muets,
sans un geste, comme reculés
dans le mystère sous de
longues cagoules de drap
d’argent, d’un argent mat au
reflet mort ; […] tous
ces masques étaient
semblables, gainés dans la
même robe verte, d’un vert
blême comme soufré d’or, à
grande manches noires, et tous
encapuchonnés de vert sombre
avec, dans le vide du
capuchon, les deux trous
d’yeux de leur cagoule
d’argent. […]
Fou de
terreur, j’arrachai la cagoule
du masque assis dans la stalle
voisine : le capuchon de
velours vert était vide, vide
le capuchon des autres masques
assis le long des murs. Tous
avaient des faces d’ombre,
tous étaient du néant. […]
Si moi aussi j'étais semblable
à eux, si moi aussi j'avais
cessé d'exister, et si sous
mon masque il n'y avait rien,
rien que du néant ! Je me
précipitai vers une des
glaces. Un être de songe s’y
dressait devant moi,
encapuchonné de vert sombre,
couronné de lis noirs, masqué
d’argent.
Et ce masque était moi, car je
reconnus mon geste dans la
main qui soulevait la cagoule
et, béant d’effroi, je poussai
un grand cri, car il n’y avait
rien sous le masque de toile
argentée, rien dans l’ovale du
capuchon, que le creux de
l’étoffe arrondi sur le
vide : j’étais mort et
je…
—
« Et tu as encore bu de
l’éther, grondait dans mon
oreille la voix de de
Jakels.
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REMY
DE GOURMONT
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Remy de Gourmont avait
publié en 1923 au Mercure de France Le
Livre des Masques, sous-titré Portraits
symbolistes et illustré par trente
masques dessinés par Félix Valloton, la
page du masque dessiné jouxtant la
première page du texte. Parmi les
auteurs analysés, voici Jules
Laforgue pages 208 et 209)
et Saint-Pol Roux (pages 229-231).
JULES LAFORGUE
Il n’y eut pas
de présent pour Laforgue,
sinon parmi un groupe
d’amis : il mourut
comme allaient naître ses Moralités
légendaires, mais
offertes encore au petit
nombre. […] C’est de la
littérature entièrement
renouvelée et inattendue, et
qui déconcerte et qui donne
la sensation curieuse (et
surtout rare) qu’on n’a
jamais rien lu de pareil […]
Sur un
exemplaire de l’Imitation
de Notre-Dame la Lune,
offert à M. Bourget (et
jeté depuis parmi les
vieux papiers du quai)
Laforgue écrivait :
« Ceci n’est qu’un intermezzo.
Attendez donc encore, je
vous prie, et donnez-moi
jusqu’à mon prochain
livre… […] mais
il était de ceux qui
s’attendent toujours
eux-mêmes au prochain
livre, des nobles
insatisfaits qui ont trop
à dire pour jamais croire
qu’ils ont dit autre chose
que des prolégomènes et
des préfaces. Si son œuvre
interrompue n’est qu’une
préface, elle est de
celles qui contrebalancent
une œuvre.
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SAINT-POL ROUX
L’un des
plus féconds et des plus
étonnants inventeur
d’images et de
métaphores […] on en
dresserait un catalogue
ou un dictionnaire :
Sage-femme
de la lumière veut
dire :
le coq.
Lendemain de chenille en
tenue de bal…… papillon.
Péché qui tette……
enfant naturel.
Quenouille vivante……
mouton.
La nageoire des
charrues…… le soc.
Guêpe au dard de
fouet…… la diligence.
Mamelle de cristal……
une carafe.
Le crabe des mains……
main ouverte
[…]
Cimetière qui a
des ailes…… un vol de
corbeaux.
Romance pour narine……
le parfum des fleurs.
[…]
Si toutes
ces images, dont
quelques-unes sont
ingénieuses, se
suivaient à la file vers
les Reposoirs de la
Procession
où les mène le poète,
la lecture d’une telle
œuvre serait difficile
et le sourire
viendrait trop souvent
tempérer l’émotion
esthétique ; mais
semées çà et là, elles
ne font que des taches
et ne brisent pas
toujours l’harmonie de
poèmes richement
colorés, ingénieux et
graves.
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Ajoutons
à ces portraits-masques le portrait plus
qu'un masque de Jean Lorrain, à qui Remy
de Gourmont a consacré sept pages dans Le
IIme Livre
des Masques (Mercure de France,
1924).
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