ÉDITIONS PLEIN CHANT


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Août 2021
 

 

  











Mémorial du sage,
ou
Petit Dictionnaire philosophique ;

Publié par C***

Paris, Frechet, Libraire-Commissionnaire, 1807.


AVERTISSEMENT.

Cet Ouvrage est le fruit de plusieurs années de travail ; je n’ai point cherché à y mettre de la prétention. Mon unique dessein a été, en réunissant, sous le cadre d’un Dictionnaire portatif, des définitions pittoresques de mots, des aperçus philosophiques, des pensées saillantes, et quelquefois une morale ingénieuse d’offrir au public une lecture piquante, curieuse et instructive.

Je me croirai assez récompensé de mes veilles, si cet essai est accueilli avec indulgence, par ce petit nombre de personnes qui, dans le choix de leur lecture, préfèrent une bonne page à tout ce fatras de romans et de brochures éphémères, qui font l'amusement des femmes et des oisifs.

                                                                                                                        C***                                                                                                                                             

Note. — C*** est Charles-Yves Cousin d’Avallon (1767-1839), auteur d'une trentaine d'Anas, de  Recueils d'anecdotes ou de jeux de mots, tels en 1802 Vie privée, politique et littéraire de Beaumarchais, suivie d'anecdotes, bons mots, réparties, satires, épigrammes, et autres pièces propres à faire connaître le caractère et l'esprit de cet homme célèbre et singulier, en 1810 Gastronomiana ou Recueil curieux et amusant d'anecdotes, bons-mots, plaisanteries, Maximes et réflexions gastronomiques. Précédé d'une dissertation historique sur la Science de la gueule et entremêlé de Chansons et propos de tables propres à égayer la fin du repas, en 1829 Calembours sur calembours, ou Nouveau Recueil de jeux de mots, calembours, niaiseries, pointes, facéties, etc., extraits des ouvrages et des journaux, en 1835 Dictionnaire pittoresque, donnant une nouvelle définition des mots, des aperçus philosophiques et critiques. Il mourut néanmoins dans la misère, de faim et de froid.



EXTRAITS.

ADDITION. Première règle de l’Arithmétique, et presque toujours le nec plus ultra de la science de toutes les sang-sues du peuple.
AGENDA. Memento de celui qui a la mémoire courte ; témoin celui qui, allant souvent de Paris à Lyon, écrivit un jour sur son agenda : « Me souvenir de me marier en passant par Nevers. »

AFFLICTION. Thermomètre d'une cupidité effrénée, causée par l'intérêt ou la vanité.
AUTEURS. Fous qui persistent à vouloir mourir de faim, pour avoir le plaisir de désoler le public par de mauvais écrits.
BARAGOUINAGE. Art d'amuser l'esprit en imitant la bêtise.

BAT. Selle grossière que l'on met sur le dos d'un âne, et que l'on pourrait appliquer souvent, avec plus de raison, sur celui de certains hommes qui rivalisent de sottise avec ce coursier à longues oreilles.

BROCHURES.
Productions légères auxquelles leurs auteurs ont presque toujours le malheur de survivre. Elles ressemblent à ces dessins que le froid trace sur les vitres pendant l’hiver ; on souffle dessus, et tout s’écoule en une eau légère.

BUREAU. Lieu d’où partent souvent des arrêts sans justice, des décisions sans connaissance, des résolutions sans humanité, et des promesses sans bonne foi.
CABARET. Lieu où l’on vend la folie en bouteilles.
CAPITALISTES. Monstres de fortune qui, sans posséder un pouce de terre, ont en mains toutes les valeurs fictives d’un État, à l’aide desquelles ils peuvent paralyser en vingt-quatre heures toutes les opérations du commerce et de l’industrie.
CHRONIQUE. Si elle disait tout, il ne resterait de tranquillité qu’aux sots, et d’espoir qu’aux scélérats.
DESTIN. Divinité sévère dont le temple est inaccessible.
DIRE. Un philosophe doit dire la vérité, un politique le mensonge, un ambassadeur l’équivoque, et un grand roi ce qu’il pense.
ÉCHAFAUD. Théâtre des seules tragédies où l’homme soit représenté au naturel.
ÉCRIVAINS. On peut les comparer aux numéros de la loterie ; sur quatre-vingt-dix, pas cinq de bons ; on ne voit plus sortir que des extraits, fort peu d’ambes, et très rarement un terne.
ÉGOÏSTE. Homme qui mettrait le feu à une maison pour faire cuire un œuf.
ÉPITRE DÉDICATOIRE. Fade adulation souvent prostituée par la faim à l’orgueil, à la bassesse et  à l’ignorance.
FAIRE. Une partie de la vie se passe à faire le mal, une autre partie à ne rien faire, et la totalité à faire autre chose que ce que l’on doit faire.
INDIFFÉRENCE. Qualité assez équivoque ; souvent elle n’est pas moins un effet de la stupidité que de la force de l’esprit.
INDIVIDU. Objet qui mérite autant d’égards et de justice que l’espèce entière qu’il représente.
LARMES. Eau trop souvent mal employée, car elle ne remédie à rien.
LIBELLISTE. Homme qui échange son honneur contre un morceau de pain et des coups de bâton.
LIVRE. Dépôt général des erreurs et des folies humaines, où parmi un grand nombre de paradoxes on rencontre quelques vérités.
MISÈRE. État où les refus ne sont pas ce qu’on peut éprouver de plus humiliant, et où l’on est quelquefois forcé de s’exposer à une reconnaissance plus horrible que le besoin.
NOUVELLISTE. Homme qui voudrait anticiper sur les événements, pour avoir la jouissance inappréciable d’en parler le premier à tort et à travers.
ON. Roi puissant, qui tient sans interruption ses assises en France ; c’est là qu’il trouve toujours à recruter cette milice qui fait sa force, l’immense légion des imitateurs et des gobe-mouches.
RECUEIL de bons mots. Il en est de ces recueils comme des tours de gibecière ; ils n’inspirent que l’intérêt du moment ; celui qui les lit, sait quelque gré à l’auteur de charmer un instant ses ennuis ; mais sa reconnaissance s’évapore au dernier feuillet du livre.
RIEN. Illustre inconnu assez difficile à définir ; il est incommensurable, indivisible, indéfini ; il est le commencement, le progrès et la conclusion de toutes nos vanités ; il est tout, et n’est rien.
SCIENCE. Sceptre en de certaines mains et marotte en d’autres.
SOPHISTE. Grand et subtil diseur de riens. Individu qui a pris à tâche de détruire la raison par le raisonnement.
TITRE (D’UN LIVRE.) Charlatanisme des mirmidons de la littérature, qui, épuisant dans le titre de leurs ouvrages tout l’esprit qu’ils devraient mettre dans leurs écrits, font banqueroute du reste.
VERSIFICATEUR. Espèce de fou qui use son temps à compter des mots et des syllabes.
VISITES. Faire des visites, c’est chercher à s’ennuyer ou se désennuyer au dépens d’autrui.
ZOÏLE. Pédant gonflé de grec et de latin, qui a le malheur de ne trouver rien de bon dans Voltaire. Limaçon qui jette sa bave sur la rose, sans pouvoir la flétrir.

 Notes.
 
"Écrivains".

Ambe est un mot venu de l'italien, qui lui-même venait du latin ambo (tous deux).
Un terne est, dans une loterie, la combinaison de trois numéros qui doivent sortir ensemble au même tirage pour donner droit à un gain particulier.
"Recueil de bons mots".
L'expression "tours de gibecière" signifie tours de passe-passe, de prestidigitation.





Un article critique
par M. Vigée,

paru dans
le Mercure de France, journal historique, politique et littéraire
tome 30, décembre 1807.
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Le Mémorial du sage a déçu l'auteur de l'article : « Je serais tenté de croire que c’est en lisant la Rochefoucault que M. C*** a senti son imagination s’échauffer, et qu’il s’est écrié : Et moi aussi je puis faire un livre ? Ce livre a paru, je viens de le lire, et, je dois l’avouer, avec plus de peine que de plaisir. […] ». Affliction et Baragouinage lui déplaisent fort : « Affliction. Thermomètre d’une cupidité effrénée, causée par l’intérêt  ou la vanité. » C’est là l’affliction ? je ne m’en doutais pas. ». Il cite Baragouinage, et s'adresse doctement à l'auteur du Mémorial : « Deux choses à faire ici : d’abord substituer le mot baragouin qui est français au mot baragouinage qui ne l’est pas, puis mettre une note au bas de la page pour expliquer comment un langage imparfait et corrompu est un art d’amuser l’esprit en imitant la bêtise. Le mot bât est jugé inadéquat : « Bât. Selle grossière que l’on met sur le dos d’un âne et que l’on pourrait appliquer souvent avec plus de raison sur celui de certains hommes qui rivalisent de sottise avec ce coursier à longues oreilles. […] sentence emburelucoquée d’aulcun bargouïnage d’erreur ou de hæresie […]. Est-ce-là de la philosophie, de la bonne plaisanterie et du bon goût. Je le demande à M. C***. »


Notes.
"La Rochefoucault". L'édition originale des Maximes de La Rochefoucauld parut en 1665, datée de 1664.
"Baragouinage". Le mot est bien français, mais était vieux déjà au temps de Vigée. On le trouve chez Rabelais, Tiers livre, chapitre XXII : […] sentence emburelucoquée d’aulcun baragouïnage d’erreur ou ou de hæresie […].




  
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