ÉDITIONS PLEIN CHANT

AJOUTS

Juin 2022

Poissarderie








POISSARDIANA,

ou

CA
TECHISME DES HALLES ;

OUVRAGE

Utile à la Jeunesse qui veut passer
joyeusement le CARNAVAL.


A   P A R I S,
Rue de Carême Prenant  N° 34.
L'an II du retour de MARDI-GRAS.





poissard



Voilà Poissardiana, ou Catéchisme des halles. Sur la première page de gauche du livre reproduite ci-dessus, on voit une illustration signée Benoist Sculp (Antoine B. sculpteur, 1632-1717)  avec une légende en langage poissard : Parlez donc, monsieur l’dézhanché Cesty pour nous ficher la goaill [pour se moquer de nous] qu’vous nous fisquez [fixez] comme çà. Ce livre de 144 pages format 7,5 x 13 cm fut publié dans Mélanges, suivi par Pironiana, ana d'Alexis Piron, dû à Cousin d'Avallon (1809). On connaît au moins deux autres Poissardiana, ainsi Le Poissardiana, ou les Amours de Royal-Vilain et de Mamzelle Javotte la déhanchée, dédié à Mgr [Monseigneur] le Mardi-Gras, par M. de Fortengueule qui serait le pseudonyme d'André-Charles Cailleau, né en 1731, mort en 1798  (A la Grenouillère, 1756), et Poissardiana ou Recueil d'entretiens poissards et bouffons (Au gros caillou, imprimerie de P. Le Blanc), sans date, 48 pages. Le titre est forgé sur un modèle fort utilisé depuis 1574, celui des ana, dont le plus célèbre est peut-être le Ménagiana de 1693, 430 pages, posthume, consacré à Gilles Ménage (1613-1692) qui contient, dit l’Avertissement, « les bons mots, les pensées judicieuses et morales, et les observations curieuses
recueillies de feu M. Ménage ». À côté du Ménagiana on eut, entre autres, Fontainiana ou Recueil d’Anedotes, bons mots, naïvetés, traits ingénus de Jean de La Fontaine (par Cousin d’Avalon, 1801), Furetiriana (1696, Antoine Furetière, 1619-1688).

Avec Poissardiana,  au lieu d’un nom d’auteur on a un genre littéraire, le genre poissard, pratiqué à l’écrit par nombre d'écrivains,  le plus célèbre étant Jean-Joseph Vadé (1720-1757) dont on peut lire avec plaisir le premier tome des Œuvres de M. Vadé ou Recueil des opéras-comiques et parodies qu'il a donnés depuis quelques années (La Haye, 1771) contenant La Pipe cassée, Quatre bouquets poissards, Lettres de la grenouillère, La Fileuse, Le Poirier, Le Bouquet du roi, Le Suffisant.

La dédicace du livre, longue de cinq pages, signée Poissardini, reprend cette influence revendiquée d’autant plus fortement qu’elle est en langage poissard, et adressée à des personnages poissards. « Dédicace à Messieurs de La Gueurnouyère [entendre : Grenouillère, allusion à Lettres de la Grenouillère suivies de Quatre bouquets poissards, par Vadé], et Mesdames de la Halle de Paris ». La préface rend hommage à Vadé, et dans une note se fait ironique pour le défendre contre ses détracteurs : « Le C. [lire : Citoyen] La Harpe, dans son Cours de Littérature, dit que le genre poissard n’est pas  supportable. La preuve en est que les ouvrages de Vadé, de l’Écluse et de plusieurs autres, sont dans les mains de tout le monde ».

La préface de Poissardiana ou Catéchisme des halles précise, page XIV,  les intentions de l’auteur ou des auteurs du Poissardiana :

« En donnant au public le Poissardiana, nous [nous de politesse ? nous pluriel ?] avons eu en vue de rassembler les anecdotes poissardes éparses dans toutes ces brochures qui ne doivent vivre qu’un jour, de mettre sous les yeux du lecteur les traits saillans, les peintures originales d’une classe du peuple, dont les mœurs et le langage sont si différens des autres, et qui, par cela seul, doivent piquer la curiosité, et faire passer une heure de tems agréable.

On trouvera dans ce recueil beaucoup de traits poissards qui ne se rencontrent ni dans Vadé ni l’Ecluse [Louis Lécluze de Thilloy à Corbeilles-en-Gâtinais, qualifié par Voltaire d’« excellent dentiste qui, dans sa jeunesse, a été acteur de l’Opéra-Comique » (lettre du 16 janvier 1761), mais ayant aussi écrit Le Déjeuné de La Rapée ou Discours des Halles et des ports]. On n’a rien négligé pour en faire un petit ouvrage complet en ce genre, qui pourra faire suite aux œuvres de ces deux auteurs. »

 

D’où vient ce mot, poissard ? Ouvrons le Littré : « le sens propre de poissard est fripon, vaurien, voleur dont les doigts se collent aux objets comme de la poix. » Ce n’est pas le sens pris par la littérature poissarde, et le recueil cité plus haut, Poissardiana ou Recueil d'entretiens poissards et bouffons, petit livre in-12, de 48 pages, sans date, nous éclaire avec le sous-titre : Poissardiana ou Recueil d'entretiens poissards et bouffons d'après les propos facétieux qui se tiennent aux Halles et sur les ports, entremêlé de chansons grivoises, de vaudevilles. On peut également consulter Charles Nisard, auteur d’une Étude sur le langage populaire ou patois de Paris et de sa banlieue (Paris, A. Franck, 1872) qui n’appréciait guère sinon le livre entier, au moins sa dédicace. Le livre, écrit-il page 418, « est dédié à messieurs de la Gueurnouyère et à mesdames de la Halle, par l'auteur, qui signe sa Dédicace Poissardini. Notez que cette Dédicace n'est pas en poissard, mais en mauvais français : on ne gagne rien à démentir son nom, ni à déroger à sa noblesse. » Plus loin, le C. [Citoyen] Laharpe est dénoncé avec humeur pour avoir dit, dans son Cours de littérature, que le genre poissard n'était pas supportable. « La preuve en est », dit ironiquement son critique, « que les ouvrages de Vadé, de Lécluse  et de plusieurs autres sont dans les mains de tout le monde. Le citoyen Poissardini n'abuse-t-il pas un peu de cette expression élastique, tout le monde, et ce tout le monde-là ne serait-il pas autre que celui qui est fait comme sa propre famille ? »


TROIS EXTRAITS
de
POISSARDIANA, ou CATÉCHISME DES HALLES





Page 41.

(Sans titre)

Un fareau, en pleine ivresse, s’en retournant par les halles, rencontre Goton la grosse poissarde. Il s’approche pour lui parler, et, préalablement, lui lâche dans la bouche un hoquet de vin mal cuvé. Cette insulte alluma la bile de Gothon, qui commença à lui défiler son chapelet d’injures.


GOTON.

Hu donc, poant ! bouc! crapaud ! juda ! fumier d'chval ! poisson sans ouïes ! langue faite à torcher les c… !


LE FAREAU.

Mais toi, qu’est-c’ que t’es ? Eun’ r’ vendeuse après décès, eun’ messagère d’amourettes, eun’ rouleuse à trois sous, eun’vieille tête plein’ de poux : ce sont tes dix doigts qui t’sarvont d’peigne.

 

GOTON.

Va, j’nons pas la galle ; et si je me gratte, c’est qu’ je le veux ben, entends-tu ? Belle quill’ de chien, fais place à monsieu d’l’équipage. Adieu, bouquin ! adieu cocu ! adieu langue à fich’ à mon derrière ! bonsoir, courage d’égrevisse ! figur’couleur de jus de riglisse ! couteau sans lam’ ! morceau d’gibet ! etc.


Page 130.

APOSTROPHE.

 

Regarde donc, ma commère, c’te figure à Picpus qui veut imposer silence à mes paroles ! Par les mamelles de mon cul, voilà un bel échappé des galères, pour vouloir remontrer les gens ! beau moingniau, pour se f… des airs de qualité ! Il a les joues rebondies comme les fesses d’un singe, et les dents afilées comme les rasoirs d’un chaudronnier : comme un champignon, il est devenu, en une nuit, marquis de fleure à mon cul ! Plaisant faquin, pour vouloir nous en conter ! Vilain sac à chien ! coquin ! voleur ! vicomte de la friperie ! y mérit’rait qu’on lui colle l’ame z’au ventre, et qu’on lui ôte la vie pour le reste de ses jours, tant qu’y vivra. Pisse verglas dans la canicule ! etc.



              Page 140.

ANECDOTE.

 

Y a tras jours, j’passions par dans la rue Mouffetard, à seul’fin d’aller voir mes deux t’enfans qui y travayons, l’ ptit dans la corde, et ma grande dans l’coton. V’là mon p’tit qui m’dit : Bon joux, papa ; viens m’embrassé : au moins tu n’es pas sou z’aujord’hui ; non, qu’ jly fis ; mais i’ y a t’encore du tems jusqu’on s’couche. Comme j’ly parlions, v’là-t-y pas que j’voyis passé z’un marignier d’oùs’que j’passons liau. J’cognons sus l’carreau d’vit’e : y se r’torne, et j’ly d’mand’ s’y veut v’nir boire z’un coup. Ça va, qu’y m’dit ; aussi ben l’bedeau d’Saint-Médard est-i’là qui m’attend cheux Lavigne, tout z’en face d’la rue l’Oursine : viens nous pomp’rons. Quand nous nous fûtes z’à table, nous bûtes comm’ des trous, et chantâtes comme dés corbeaux. V’là ma femm’ qui y vient m’trouvé : alle avait l’visage tout z’en colère, d’ m’ voir là. Pour la r’mett’ dans son tranquille, j’ly chantit :

 

AIR : Quand tu battras la retraite.

 

Bonjour, tendre oignon d’mon ame,

Chèr’ mat’lotte de mon cœur ;

Viens-t’en m’licher, ma p’tit’ femme ;

Viens te gaver d’ mon ardeur.

Quoi ! tu m’boud’ ? pens’ tu qu’ ma flamme

Soit stella juss’ d’un gausseur ?

Viens, Margot ; faut que je m’pâme

Yaujourdhui sur ton heuneur.

 

Tu ress’ en plan comm’ eun’ meule,

Putôt que d’rir’ z’un p'tit brin :

J’ tentens marmoter tout’ seule,

Yà caus’ que je sis dans l’train.

Quiens, t’as tort : car, d’eun’ bégueule,

Je n’font pas pu d’cas qu’d’un chien ;

Et j’te casserions la gueule,

Aussi vrai que j’ somm’ chréquien.

 

Laiss’-toi magnier, j’te l’quemande ;

J’dois t’être sur toi vainqueur.

Yallons, gibier d’conteurbande,

Coul’ ta main z’au bas d’mon cœur :

C’est z’en agaçant la viande

Qu’amour s’met en belle himeur :

Poussons ly donc not’offrande ;

Ça nous port’ra p’ têt’ bonheur.

 

Oh ! la chienn’, comme à m’patouille !

A veut m’tuer z’à coups d’main.

Ma Margot, de la gargouille ;

L’s enfans vont s’perd’ dans l’chemin.

Nom d’un trou, v’là qu’ça m’chatouille,

Je me meurs sur ton gueux d’sein !…

Mais, au guiabe ; j’m’embarbouille.

Tournons-nous l’cul jusqu’à d’main.

 

 

Tout s’aussitôt qu’jeus finit, v’là qu’Jean-Louis, qu’avait z’un l’hoquet d’mille guiabe, s’mit à faire z’un r’nard qu’était comm’ un’ fusée d’la fêt’ du peurmier vendremiaire. L’cabarquier y aim’ ben qu’on soif cheux lui, mais y n’veut pas qu’on zy dégueull : y nous renvoya teurtous ; et moi j’men r’tornis sus liau.



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