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Un contemporain de Saint-Amant, le janséniste Robert Arnauld d’Andilly, publiera en 1642 une Ode à la solitude, placée à la fin d’un recueil conçu par lui mais non signé, Stances sur diverses veritez chrestiennes (Paris, Veuve Jean Camusat). Page 88 de ce recueil apologétique on avait déjà lu un dizain sur la solitude :
Chercher la solitude… Lorsque les
poètes romantiques la recherchent, c’est par le biais de
la nature, d’un lieu de la nature, qu’il soit rocher,
amas de ruines, forêt, une cascade, la mer, le désert.
Voici à titre d’exemple deux passages de Chateaubriand,
le premier venu d’Atala (1801) : « Le
désert déroulait maintenant devant nous ses solitudes
démesurées », le second pris dans les Mémoires
d’outre-tombe :
« au loin on entendait les sourds mugissements de
la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la
nuit, se prolongeaient de désert en désert, et
expiraient à travers les forêts solitaires. C’est dans
ces nuits que m’apparut une muse inconnue ; je
recueillis quelques-uns de ses accents ; je les
marquai sur mon livre, à la clarté des étoiles, comme
un musicien vulgaire écrirait les notes que lui
dicterait quelque grand maître des harmonies »
(livre VII, ch. 7). Le passage qui suit vient de Œuvres et
Correspondance inédites de J.J. Rousseau publiées par G.
Streckeisen-Moultou, Michel Lévy frères, 1861, pages
354 et 355. Il se trouve, avec de légères variations
au tome I des Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau
dans la Bibliothèque de la Pléiade, dans Art
de jouir et autres fragments, page 1173 :
Et Lamartine avait en son temps lu
Rousseau, comme le prouvent ces deux strophes de la
poésie Milly ou la terre natale (1826), recueillie dans les
Œuvres complètes de Lamartine, Paris, Gosselin et Furne,
livre troisième, deuxième Harmonie des Harmonies
poétiques et religieuses, page 292 :
Pour Arnauld d’Andilly, qui publiera en 1647 Les Vies des Saints Peres des deserts et de quelques saintes, escrites par des Peres de l’Eglise… traduites en françois par Mr Arnauld d’Andilly, la solitude humaine, habituellement comprise et vécue d’une manière négative, sauf par quelques poètes et une part des religieux de Port-Royal, est à rechercher car elle permet au chrétien de vivre avec Dieu par le biais de la méditation ou de la contemplation. Par ce culte tout intérieur, le pratiquant d’une solitude absolue devient un solitaire. Tant et si bien que furent appelés Solitaires les religieux de Port-Royal des Champs, vers 1637, vivant sous l’autorité de Saint-Cyran. Saint Cyran fut emprisonné et la plupart des solitaires furent abrités à La Ferté-Milon (le 14 juillet 1638), où il continuèrent à « vivrent isolés et en ermites, ne sortant que pour aller à la messe les jours de fête » (Sainte-Beuve, Port-Royal, Bibliothèque de la Pléiade, 1953, t. I, p. 489). Quelque dix ans plus tard, une douzaine de Solitaires vivaient à Port-Royal des Champs sur le modèle des premiers Pères de l’Église ayant vécu, eux, dans un vrai désert et l’abbaye devint « une solitude ». Citons encore le Port-Royal de Sainte-Beuve où l’on apprend qu’Antoine Singlin (1607-1664), futur pilier de Port-Royal, alla, pour se perfectionner « passer l’été de 1637 à Port-Royal des Champs, qui était une solitude ; il s’en servit comme d’une retraite, pour y consommer un renouvellement complet intérieur » (op. cit., p. 445). On change d'atmosphère mais on retrouve le mot solitude signifiant un endroit retiré dans Madame Bovary : « Emma se comparait à ces grandes dames d’autrefois (… qui) se retiraient en des solitudes pour y répandre aux pieds du Christ toutes les larmes d’un cœur que l’existence blessait. » (Deuxième partie, ch. XIII, Le Livre de poche, 1983, p. 248). Deux
solitaires chez La Fontaine On lira ci-dessous, empruntée au
premier tome des Œuvres complètes de La Fontaine, édition de Ch.
Marty-Laveaux, Bibliothèque elzévirienne, Paul Daffis,
1863, t. I, p. 190, la fable intitulée Le
Rat qui s’est retiré du monde, ironique à souhait, que
tout commentaire alourdirait, mais dont il faut
souligner le douzième vers avant la fin, Mes amis, dit le
Solitaire.
Précisons qu’un dervis ou derviche est une
espèce de moine musulman (Littré, qui cite le vers de La
Fontaine), mais que sont visés les seuls moines de
France.
Le même volume contient (p. 380) une autre fable
intéressante pour nous, Le Juge arbitre,
l'Hospitalier, et le Solitaire, fable de La Fontaine
publiée pour la première fois dans le Recueil
de vers choisis du
Père Bouhours (1693), puis recueillie dans Fables
choisies. Par Mr
De la Fontaine, Paris, Claude Barbin, 1694, dernière
fable (XXIX) du recueil, page 222. Le juge symbolise
la magistrature, l’hospitalier l’exercice de la
médecine et le solitaire
la sagesse. Tous trois cherchent la bonne manière de vivre sur la
terre, mais l’expérience déçoit les magistrats et les
avocats, les médecins également, tandis qu’un
solitaire vivant dans un désert recréé donne la bonne
solution : la clé de la bonne vie, autrement dit la sagesse, est en
chacun de nous : Connais-toi toi-même, telle fut
la devise de Socrate.
Le Solitaire du vicomte d’Arlincourt Oublions les Solitaires du dix-septième siècle pour passer à un personnage de roman né en 1821 sous la plume du vicomte d’Arlincourt (Charles-Victor Prévost d’A., 1788-1856) : Le Solitaire, Paris, chez Le Normant, Mme Veuve Renard, Dentu [et] Delaunay libraires, Nepveu, 1821, imprimerie de Le Normant, rue de Seine, 395 pages. Ce fut un succès. Le vicomte, pour sa plus grande joie devint l’homme à la mode, et les éditions du livre se succédaient. En 1822, L.T. Gilbert publia Le Nouveau Solitaire. Imitation Burlesque du Solitaire de M. le Vicomte d'Arlincourt (Paris, Peytieux libraire, 268 pages in-12, dont l’Avis au lecteur s’ouvre avec cette remarque : « Il est peu d’amateurs de Romans qui n’aient pas lu le Solitaire de M. le vicomte d’Arlincourt. L’apparition d’une sixième édition de ce roman m’a donné l’idée d’en faire une imitation burlesque. » Le Solitaire fit naître des romances, des pièces de théâtre, parmi lesquelles on compte Le Solitaire, ou l'Exilé du Mont Sauvage, mélodrame en trois actes, à grand spectacle, tiré du roman de M. le Vicomte d'Arlincourt, par Edmond Crosnier et Amable de Saint-Hilaire, Paris, Quoy, 1821, représenté Porte St Martin le 12 juillet 1821, Le Solitaire, opéra comique en 3 actes et en prose, imité du roman de M. le vicomte Darlincourt, paroles de Mr Planard, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de l'Opéra Comique le 17 août 1822. La préface de l’éditeur pour L’Étrangère (1825) par le vicomte d’Arlincourt, inspirée sinon écrite par le vicomte, enfonce le clou du génie manifesté par l’auteur : « En vain les détracteurs de M. le vicomte d’Arlincourt s’obstinent à le poursuivre de leurs clameurs insensées ; ses ouvrages, recherchés par toute l’Europe, ajoutent chaque jour à sa renommée […] Quant le fameux Solitaire parut […] les journaux retentirent d’éloges ; ils admirèrent surtout la pureté du style, l’élégance des phrases, la force des caractères, la grâce des images, et la vigueur des pensées. » On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Il est vrai que les deux premières éditions furent épuisées en six semaines et que les traductions se multiplièrent : en allemand (1821), anglais (1821), hollandais (1821), italien (1821), danois (1823), espagnol (1823), polonais (1823), suédois (1823), portugais (1824), russe (1824). Une troisième édition corrigée parut en 1821 en deux volumes in-12, un format plus populaire, au lieu d’un seul, in-octavo, comme l’édition originale. Parmi les corrections, on note quelques inversions supprimées, car les petits journaux s’étaient élevés, avec talent, contre leur trop d’abondance. Quelques exemples, pris dans la première édition : « de toutes les séductions de l’amour la belle héritière fut environnée » (p. 8), « puissent jamais de nos vallons écartés, n’approcher les princes de la terre » (p. 40) « On ne peut rien penser, rien deviner, rien prévoir, lorsque dans la nuit des événements à venir peut s’enfoncer le Solitaire » (p. 115), « de ses longs cheveux les boucles éparses flottent en désordre sur son front et sur ses épaules » (p. 137), « d’Herstall expirant la raison pouvait être aliénée » (p. 153), « jamais au mont Sauvage d’aucun crime le Solitaire ne s’est souillé » (p. 154), « Sur la cime lointaine des montagnes errent toutes ses pensées, se transporte toute son existence » (p. 191), « De son manteau semé d’étoiles la nuit couvroit les célestes voûtes » (p. 217), « de piques et de soldats les rochers se hérissent » (p. 255), « plusieurs fois à l’oreille d’Élodie a sifflé la flèche meurtrière » (p. 256), « Pourquoi du chef rebelle le front audacieux, orné d’un panache vainqueur, a-t-il soudain fléchi ?… […] De l’arc du fantôme sanglant est parti le trait de la mort » (p. 259), « de son libérateur elle s’éloigne effrayée » (p. 265), « d’étonnement saisi, le noble guerrier garde le silence » (p. 360). De ces inversions, Balzac se moqua… Dans la deuxième partie de Illusions perdues, il décrit les bureaux du petit journal où il dit avoir vu, épinglés au mur « neuf dessins différents faits en charge et à la plume sur Le Solitaire, livre qu'un succès inouï recommandait alors à l'Europe et qui devait fatiguer les journalistes. — Le Solitaire en province, paraissant, les femmes étonne. — Dans un château, le Solitaire, lu. — Effet du Solitaire sur les domestiques animaux. — Chez les sauvages, le Solitaire expliqué, le plus succès brillant obtient. — Le Solitaire traduit en chinois et présenté, par l'auteur, de Pékin à l'empereur. — Par le Mont-Sauvage [désigne le Solitaire, qui habite au Mont-Sauvage], Élodie violée. Cette caricature sembla très impudique à Lucien, mais elle le fit rire.— Par les journaux, le Solitaire sous un dais promené processionnellement. — Le Solitaire, faisant éclater une presse, les Ours blesse. — Lu à l'envers, étonne le Solitaire les académiciens par des supérieures beautés. » Sainte-Beuve aura à la lecture du vicomte la même hostilité que Balzac et il rejettera L’Étrangère comme Balzac avait rejeté Le Solitaire. L’Étrangère, un roman historique à la manière de Walter Scott, basé sur la répudiation manquée de sa femme par le roi Philippe-Auguste en 1184, lui donna littéralement des hauts-le-cœur. Dans un article du 15 janvier 1825, repris au tome I des Premiers Lundis : « il a tout gardé dans sa manière, hors les inversions qu’il a courageusement supprimées ; il s’est condamné à être moins bizarre, de peur de paraître raisonnable : certes, M. D’Arlincourt n’est pas heureux, même quand il se corrige. Mais tout cela n’est que ridicule. » Walter Scott était plus que célèbre, mais « je m’abstiendrai de tout rapprochement entre Walter Scott et M. d’Arlincourt ; une comparaison entre ces deux hommes serait une dérision et presque une profanation. » Conclusion de Sainte-Beuve : « Non, il n’est pas permi d’avancer que plus d’un jeune homme lira ce livre avec fruit : insensé, il le lira avec transport ; et sage, avec dégoût. » Bibliographie chronologique mais sélective de titres où apparaît le mot "solitaire" - Les visions admirables de Guillaume Le Solitaire, hermite du Mont Bassine, qui vivoit durant le grand Schisme de l'Eglise. Contenant un bref discours des grandes et espouvantables Revelations de ce qui doit arriver de nostre temps et surtout en la France. Trouvées en un vieil Manuscrit dans la Bibliotheque de l'Abbaye de Tricole en Gemodan, 1620, 16 pages - Le Solitaire en sa solitude, par le sieur Duplessis Guipperreux Paris, 1642, in-4°, 8 pages en vers - Le Solitaire, nouvelle, par M.D.M. (Madame Bruneau de la Rabatellière, marquise de Merville), Paris, Claude Barbin, 1677, 2 volumes in-12 - Le Solitaire philosophe, ou Mémoires de M. le marquis de Mirmon, par Mr L.M.D. [le marquis d’Argens, 1704-1771], Amsterdam, Westein et Smith, 1736 - Les Rêveries du promeneur solitaire, par Jean-Jacques Rousseau, rédigé entre 1776 et 1778, paru posthume, tome IX des Œuvres posthumes de Jean-Jacques Rousseau, Genève, 1781-1783 - Émile et Sophie, ou les solitaires (inachevé), par J.J. Rousseau, édition critique par Frédéric S. Eigeldinger, Paris, Honoré Champion, 2007 - Le Solitaire de la Roche noire, mélodrame en 3 actes... par R.-C. Guilbert-Pixérécourt..., représenté à Paris, Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 14 mai 1806. Musique de M. A[lexandre] Piccinni, Paris, Barba, 1806, in-8°, 61 pages - Libres méditations d'un solitaire inconnu, sur le détachement du monde, et sur d'autres objets de la morale religieuse ; publiées par M. de Senancour, Paris, P. Mongie aîné, Cerioux, 1819, 432 pages. - Le Solitaire agenais à tous les amis du peuple, Agen, 1848 - Le Solitaire de la tour d’Avance, s.n.a., Paris, E. Dentu, 1863. La dédicace est signée "Joseph", prénom de l’auteur, le vicomte du Gout d’Albret - Le Solitaire Mathon, histoire du XVIIIe siècle, par É[douard] Clavel, Castres [1865], 56 pages - Le Solitaire, roman, par Marc Blancpain, Paris, Flammarion, 1945 - Le Solitaire, roman, par Marcel Martinet (1), Paris, Éditions Corrêa et Cie, 1946 - Le Solitaire de la lune, par François de Curel, Paris, Les Bibliophiles fantaisistes, 1909, 52 pages in-4 F I N
Note 1. On pourra consulter, en complément, sur Marcel Martinet, la revue Plein Chant, du temps qu'elle se qualifiait "cahiers poétiques, littéraires et champêtres", Printemps 1975, nouvelle série, n°26, et la Correspondance croisée de Marcel Martinet & de Ludovic Massé, édition établie par Maurice Roelens, Collection VOIX D'EN BAS. |
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