Éditions PLEIN CHANT

A p o s t i l l e s

  16 janvier 2016
On peut consulter le catalogue de l'éditeur-libraire
de PLEIN CHANT, proposant des livres nouveaux et des livres anciens :





Les vendeurs de livres anciens à Paris

à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe.




DEUX ÉTRANGER
S
amis des livres firent le même genre de voyage à Paris, incluant la visite des bibliothèques publiques et la fréquentation des ventes de livres anciens, en librairies, ou dans la rue. Le premier, Martin Lister (vers 1638-1712), un médecin anglais, protestant, lettré mais point bibliophile, venu à Paris pour accompagner le comte de Portland en ambassade auprès de Louis XIV, lors des négociations qui aboutirent à la paix de Ryswick (1697). Il conta son voyage dans A Journey to Paris in the year 1698, by Dr. Martin Lister, London, J. Tonson, 1699, et ce réel et précieux document fut rendu public par la Société des Bibliophiles François (François, et non Français, les bibliophiles tenaient à cet archaïsme) qui publia, par les soins d’Ernest de Sermizelles, du baron Pichon, de Paulin Paris et de Clément de Ris, Voyage de Lister à Paris en M DC XCVIII, traduit pour la première fois, publié et annoté par la Société des Bibliophiles François, Paris, pour la Société des Bibliophiles, 1873. Les éditeurs ajoutèrent au texte de Martin Lister un copieux avertissement d’Ernest de Sermizelles, des extraits d'ouvrages de John Evelyn (1620-1706), précédés d’une petite biographie, et d’une iconographie de cet écrivain passionné de gravure, de peinture, de numismatique, de bibliophilie, eux-mêmes suivis d’une note par Paulin Paris portant sur quelques pages consacrées par John Ewelyn aux monuments de Paris : « Les Choses les plus remarquables de Paris » (voir plus loin). Suivait la traduction en français de la préface de l’édition anglaise du Voyage de Lister à Paris (1823), An Account of Paris, at the close of the seventeenth century, relating to the buildings of that city, its libraries, gardens, natural and artificial curiosities, the manners and customs of the people… New revised, with copious biographical, historical and literary illustrations and anecdotes, and a Sketch of the life of the author, by George Henning (London, Black, Young and Young), 1823 (Compte rendu sur Paris, à la fin du dix-septième siècle, décrivant les édifices de cette ville, ses bibliothèques, jardins, curiosités naturelles et artistiques, les mœurs et les coutumes des habitants… remanié, avec d’abondantes illustrations et anecdotes biographiques, historiques et littéraires, et un essai sur la vie de l’auteur, par George Henning (Londres, 1823). Après la préface en français venaient la traduction de l’essai biographique et le texte de Martin Lister : « Voyage à Paris en 1698 », eux-mêmes suivis d’un premier « Supplément à Lister » constitué d’extraits d’Evelyn puisés dans son Journal, et d’un second Supplément, donnant « Les Choses les plus remarquables de Paris », annoncées dans la note de Paulin Paris. À vrai dire, la publication des Bibliophiles François est si confuse que les auteurs ont renoncé à faire une table des matières pour la remplacer par une table alphabétique de vingt-huit pages sur deux colonnes.

MARTIN LISTER a trouvé le temps de rendre visite à Paris aux propriétaires de cabinets privés, il a acheté les œuvres du Père Pezron, un bernardin mort en 1706, qui cherchera à montrer plus tard, dans Antiquités de la nation & de la langue des Celtes (1703), que huit cents mots grecs étaient du pur celtique. Notre médecin a exploré sous la direction de conservateurs ou de bibliothécaires les grandes bibliothèques parisiennes. Mis en appétit, il aimerait acheter d’autres livres que ceux du Père Pezron, il va rue Saint-Jacques à une vente de livres


« où il y avoit quarante ou cinquante personnes, abbés ou moines pour la plupart. On traînoit et on lanternoit la vente autant que chez nous, & c’étoit fort cher. L’Hispania illustrata, d’André Schott, édition de Francfort, de vingt livres, sa mise à prix, monta petit à petit à trente-six, prix auquel elle fut adjugée. Le livre qu’on mit sur la table immédiatement après, fut un catalogue de livres françois par Lacroix du Maine, un petit in-folio couvert de vieux parchemin, huit livres ! Quand je vis cela, je les laissai s’arranger entre eux comme il leur plut » (Voyage de Lister à Paris, 1873, ch. V, p. 126-127).


À la ville de Paris.
Vignette d'une compagnie de libraires.


LE SECOND VOYAGEUR, Georg(e) Wallin (1686-1760), un vrai bibliophile cette fois, auteur suédois ayant écrit en latin (il fut évêque puis archevêque de Göteborg)  Lutetia Parisiorum erudita (La Lutèce érudite des Parisiens) sui temporis, hoc est, annorum hujus seculi XXI et XXII. Auctore G. W. S., Norimbergæ (Nuremberg), MDCCXXII, où il relatait un voyage à Paris en 1721. À l’inverse de Martin Lister, il chantait les louanges des vendeurs de livres – que l’on appelait bibliopoles – rencontrés au cours de son périple parisien :


« À ceux qui veulent à la fois satisfaire leur goût & ménager leurs finances, j’indiquerai une méthode aisée : il faut pour cela s’introduire dans la familiarité de deux ou trois des principaux libraires. Vous entrerez sans peine dans une liaison avec eux ; car, à l’exemple de tous leurs compatriotes, ils sont surtout avec les étrangers d’un abord facile. Achetez-leur un ou deux ouvrages ; tout leur magasin est bientôt à votre disposition. Vous pouvez ensuite le fréquenter aussi souvent qu’il vous plaira ; parcourir tous les livres que vous voudrez : tous sont sous votre main, propres & bien reliés. Vous aurez, pour vous en servir, une table bien éclairée à côté de vous. Si c’est en hiver : un bon feu. Personne ne fera de bruit autour de vous ; personne pour vous surveiller. Vous serez seul dans le magasin, qui vous sera livré comme si les maîtres vous avoient connu dès l’enfance. Les livres qu’ils n’auront pas, ils enverront, si vous le désirez, leurs domestiques les chercher ailleurs. Quant aux leurs, si vous voulez les lire chez vous, ils vous les confieront. Parmi les libraires à qui je suis redevable de ces bons offices, je citerai pour son extrême politesse M. Florentin Delaulne, qui, de son côté, je crois, n’aura pas eu à se plaindre de mon peu de soin. »

Le passage est cité dans l’Avertissement de Voyage de Lister à Paris en 1698, p. VI. Dans la version originale en latin de Lutetia, il se trouve au huitième chapitre, pp. 151-152.


AJOUTONS QUE Léopold Derôme, bibliophile, bibliographe, bibliothécaire à la Sorbonne, donnait dans Le Luxe des livres (Paris, Édouard Rouveyre, 1879), page 51, la traduction en français d’un passage de Lutetia Parisiorum erudita (ch. VIII, p. 149), qui précédait celui qu’avait donné Ernest de Sermizelles dans son Avertissement de 1873. Derôme : « On lit dans le Lutetia Parisiorum erudita, la relation d'un voyage fait à Paris en 1721 par un Suédois du nom de Georges Wallin. » Voici une partie de cette relation, entremêlée de quelques interventions de Léopold Derôme :


« Pour ce qui est des libraires, que j'appellerai minorum gentium [minores gentes, classe intermédiaire entre les patriciens, leurs supérieurs, et les plébéiens, les inférieurs] — on appelait ainsi à Rome les familles patriciennes dont l'origine ne remontait pas jusqu'à celle de la république, — c'est-à-dire ceux qui vendent des livres tant vieux que modernes, sous des auvents, sur tous les quais de la Seine et dans toutes les places et carrefours publics, je n'en parle pas et leur nombre ne peut être évalué. Je ne dis rien non plus des amateurs libraires — privatos bibliopolas [vendeurs de livres privés] — qui font le commerce non en public, mais chez eux, — ce sont ceux qui portent maintenant le nom de marchands de livres anciens. — Lorsque j'arrivai à Paris, il y avait encore une quatrième espèce de libraires assez plaisants et qui ne manquaient jamais d'acheteurs. Sur des planches, sur des tables placées dans la rue, étaient étalés des livres de toute espèce, et le marchand invitait à haute voix les passants à les acheter. J'ai encore dans les oreilles ces mots que j'ai entendu répéter souvent : Bon marché ! quatre sols, cinq sols la pièce ! Allons, vite, toute sorte de livres curieux ! — Ces mots sont écrits en français dans l'original. — J'étais stupéfait qu'on pût vendre à si vil prix des livres souvent très rares et très bien conditionnés. »


 

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