Texte lu dans la Gazette
anecdotique, littéraire, artistique et
bibliographique,
publiée par G. d’Heylli, 15 février 1883 (Paris,
Librairie des Bibliophiles, 1883, 8e
année, t. I, p. 61), augmenté,
ci-dessous,
d'une image empruntée à La
Grande Danse Macabre des hommes
et des femmes… (p. 46)
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Le jour de Noël a vu conduire dans une
maison de santé un littérateur qui eut aussi
son heure de fatalité voulue. Je veux parler
d'Hippolyte de Vivès. Il avait autant de
dons naturels qu'un autre et même plus qu'un
autre. Dès ses vingt ans il avait eu
l'audace de publier un livre intitulé le
Livre sans queue ni tête. Mais les
années qui suivirent 1848 étaient sourdes
à toutes les agaceries littéraires. Vivès
redoubla sans se décourager, et on vit
paraître le Scalpel, étude de
physiologie passionnelle. Ces deux
productions avaient d'autres qualités que
leur bizarrerie, mais elles firent alors
moins de bruit que l'appartement de
l'auteur : un appartement digne de
Gautier. Tout y était vitraux et tentures.
Dès l'antichambre, une tête de mort,
coiffée d'une longue perruque, dardait la
double lueur de deux veilleuses nichées
dans ses cavités oculaires. A gauche, dans
un cabinet gothique, se prélassait un
cercueil de velours noir, lamé d'argent,
qui avait effrayé le voisinage et intrigué
le commissaire de police. Dans la pièce
principale, devant un orgue harmonium
restait obstinément posté le maître du
logis. Coiffé d'une toque à plume noire,
vêtu d'une robe écarlate à manches
taillées en pointe, s'abandonnant sans
aucune préparation musicale aux seules
lois de l'inspiration, il tirait de son
instrument des accords en harmonie avec
l'étrangeté du lieu. C'était au bruit de
cette sauvage improvisation qu'on faisait
son entrée dans la chambre à coucher, plus
obscure encore que le reste du logis. Au
fond, se dressait un lit-catafalque drapé
de velours vert foncé, galonné d'argent et
de dentelles roussâtres ; égayé
cependant par un amour de bronze, qui
descendait du ciel en oscillant au bout de
sa cordelette, et semblait indiquer du
doigt un demi-globe de verre, seul
ornement de la cheminée. Sous ce globe,
s'allongeait une main de morte, embaumée
convenablement.
Cette main féminine
était destinée à conduire les visiteurs au
plus haut degré de l'émotion. Il y eut un
moment où on ne parla point d'autre chose
dans le quartier latin. Toutes les femmes
nerveuses allaient en pèlerinage rue de
Fleurus pour voir la main… Elle valut même,
dit-on, quelques folles passions au maître
du logis.
Une relique non moins
curieuse se trouvait dans la même chambre,
mais elle était généralement ignorée. Nourri
de traditions louis-quatorziennes, Vivès
savait que les souverains avaient dans la
nuit leur en-cas tout préparé, pour quelque
fringale soudaine, et, comme eux, il avait
voulu son en-cas. Il n'y touchait point,
mais il le maintenait en permanence, pour
conserver la saine tradition.
Seulement, comme il
avait de l'ordre, il faisait durer l'en-cas
huit jours, au bout desquels il en faisait
largesse à son concierge. C'était
alternativement une tranche assez mince de
bœuf ou de jambon. Notre grand bonheur était
de soulever sans bruit la cloche argentée
sous laquelle attendait ce régal et de
vérifier son état de fraîcheur ; il
avait nécessairement piteuse mine au bout de
ses huit jours. Le bœuf prenait alors des
tons verdâtres et le jambon tournait au
bleu.
Le maître du logis
s'était réservé d'autres effets pour agir
plus directement sur l'esprit des
populations. Il avait inventé un costume à
lui (feutre conique à plume noire, pantalon
collant et pourpoint sans collet,
demi-bottes à glands, dague mignonne, se
balançant en guise de breloque). Il faisait
ainsi son entrée triomphale aux bals du
Prado, de bruyante mémoire, sur
l'emplacement desquels siège aujourd'hui le
tribunal de commerce. Il y avait des huée,
mais il y avait aussi de secrètes
admirations ; six étudiants, gagnés par
l'exemple, se chaussèrent des mêmes
demi-bottes ; deux seulement poussèrent
jusqu'au castor emplumé. Puis ce bel élan
prit fin ; son inspirateur devint
bibliothécaire et renia ses premiers dieux.
La main de la morte aimée disparut avec la
tête de mort à perruque, et le cercueil,
faut-il le dire, devint boîte à charbon.
Puis, le logis
infernal de la rue de Fleurus fut à son tour
abandonné pour un petit hôtel presque
régulier que Vivès se fit élever près du
Panthéon (10, rue Berthollet). Il en avait
réglé lui-même l'ordonnance, et il se
plaisait à y recevoir ses amis, car c'était
le meilleur et le plus loyal des hommes.
Par un souvenir des
caprices d'autrefois, il avait orné toute sa
demeure de décorations murales qui lui
donnaient un aspect tout particulier. Ainsi
il avait peint un bon millier de nymphes,
naïades ou hamadryades sur les murs et le
plafond de la grande chambre à coucher qui
lui servait de salon, La spéculation moderne
restera sans doute insensible à ce
déploiement séducteur et fera tomber l'Éden
de la rue Berthollet. Que la Gazette
anecdotique en conserve du
moins le souvenir.
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Qui était cet Hippolyte de
Vivès ? De lui, on ne sait rien de plus que ce
qu’en disait la Gazette anecdotique. Pour que l’on puisse
juger sur pièces, voici le début du Livre
sans queue ni tête, paru en deux volumes chez
les libraires-éditeurs-commissionnaires Allouard
et Kaeppelin, 12, rue de
Seine-Saint-Germain, à Paris. On a orné le
texte d'une illustration (détail) non signée,
trouvée dans Le Diable à Paris (1845),
une édition datée de 1868, due à J. Hetzel, et
illustrant le Prologue.
MÉMOIRES
D'UN MORCEAU DE PAPIER.
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Du
papier. – Ce qu’on en fait.
Des ambassadeurs
d’amour.
Des fleurs.
Des invitations à dîner.
Des manches à gigot.
Des livres.
Des cocotes.
Des journaux.
Des papillotes.
Des affiches.
Des attrape-nigauds.
Des élections.
Des courtes-pailles.
Des cartels.
Des papiers mâchés.
Des portraits.
Des caricatures.
Des sacs à barbe.
Des diplômes.
Des suppléments au mouchoir de
l'écolier.
Des cartes.
Des jeux innocents.
Des faux en écriture.
Des billets de banque.
Des billets doux.
Des circulaires.
Des choses innommées.
Des lettres.
Des tricornes.
Des carottes.
Des loteries.
Des bourres.
Des almanachs.
Des allumettes.
Des histoires.
Des comptes.
Des feuilletons.
Des chemises à côtelettes.
Des décors.
Des brevets.
Des cigarettes.
Ce que je vais en faire, ô lecteur,
après vous en avoir toutefois
demandé la permission.
Mais je ne dis pas tout.
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Boum
! Boum !
Le
papier, citoyens ou messieurs, messieurs
ou citoyens, le papier c'est une immense
histoire ; c'est un fait gigantesque.
Honneur à l'inventeur du papier ! Le
papier, Messieurs, Mesdames, guérit toute
espèce de maux ; c’est une panacée
universelle, un spécifique unique.
Achetez-moi du papier ; n’écoutez pas
les trompeurs qui viennent vous dire que
le papier enfante des maladies ; ceux
qui disent du mal du papier sont des
charlatans. En effet, quoi de plus sain
pour l'estomac de l'honorable société, que
la pâte faite avec de vieux chiffons de
madapolam et de torchons ? Si vous
toussez, mâchez du papier ; et si
vous avez faim, beurrez soigneusement du
papier et faites des côtelettes ; si
vous voulez fumer (remède souverain contre
les pesanteurs d'estomac), prenez du
papier et allumez votre pipe en ayant soin
de la coiffer d'un bonnet de papier. Le
papier, le papier. Je vous dirais bien qui
a inventé le papier ; mais, outre que
cela n'intéresse nullement ni vous ni moi,
je vous avouerai que je n'en sais rien.
J'aime bien le rostbeaf, et peu
m'importe l'âge, le nom, les titres et
qualités du malheureux bœuf qui m'a
fourni ce succulent déjeuner. Je sais
bien qu'il y a des gens qui disent que
le papier a été… non, je me trompe, que
cet onguent à l'esprit que l'on appelle
écriture et que l'on étend sur le papier
a été inventé par les Phéniciens. A
cela, je répondrai à ces Messieurs
qu'ils n'en savent rien du tout. Mais,
vous, citoyens, n'attendez pas de moi un
cours sur la linguistique
ou sur les hiéroglyphes. Non Messieurs,
Mesdames, sans étaler tant de science, je
vous dirai, et vous me croirez, Messieurs,
Mesdames, je vous dirai que le papier est
le cocher de notre esprit (…).
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