Éditions PLEIN CHANT

APOSTILLES

24 juillet 2016
Sur les goguettes, voir

La goguette & les goguettiers
par
Eugène IMBERT
(et d'autres auteurs)
Glossaire-Index par Jean-Michel Bourgeois

2 tomes à pagination suivie
Bassac
Plein Chant
2013



Deux chansons de Jules Jouy


Le chansonnier protestataire, Jules Jouy, né et mort à Paris (1855-1897), ayant animé plusieurs goguettes, chanté un temps au Chat Noir, publié des chansons dans divers journaux dont Le Cri du Peuple de Vallès, rassembla ses chansons écrites au gré de l’événement durant l’année 1887 sous le titre Les Chansons de l’année, en vente chez Bourbier et Lamoureux, Paris, 11, rue du Croissant, 1888. De ce recueil, on a extrait deux chansons, d’une certaine manière encore actuelles, puisque l’une d’elles traite de la malbouffe – un mot qui n’existait pas encore ! – et l’autre des chiffonniers – qui, de nos jours, ont de quoi faire devant la surabondance des déchets qui envahissent les rues, mais dont l’activité est interprétée de manière politique et revendicatrice par Jules Jouy.







  

À mon ami Pierre DELCOURT

CE QU’ON MANGE À PARIS (1)

(Réflexions d’un crève-la-faim)

1. Ce qu’on mange à Paris, par Pierre Delcourt. Un volume, à la Librairie Illustrée, 7, rue du Croissant.


Sur ce qu'on boulotte à Paris
Quelqu'un vient d' publier un livre.
À l'en croir', nous somm's tous pourris
Par la mangeaille qu'on nous livre.
Pour ma part, j' m'en moqu' tout à fait ;
Jeûnant, les deux tiers de l'année,
J' vous d'mande un peu qu'est-c' que ça m' fait
Qu' la nourritur' soy' falsifiée.

C'est surtout sur ce qu'on n' mang' pas
Que mon attention se porte.
Pendant qu' les autr's prenn'nt leur repas,
En jeûnant, j’ les r'gard' de la porte.
J'aval'rais bien, ça c'est un fait,
Un peu d' leur viand', mêm' putréfiée.
J' vous d'mande un peu qu'est-c' que ça m' fait
Qu’ la nourritur' soy' falsifiée.

Comm' les ch'mis's Claud', je n' « bouff' jamais »,
Ainsi qu' dit la fameuse affiche.
Les sal'tés qu'on fourr' dans les mets,
Vous comprenez ce que j' m'en fiche.
J' suis pas chargé, comm' le préfet,
D' la santé d' tous, à moi confiée.
J' vous d'mande un peu qu'est-c' que ça m' fait
Qu' la nourritur' soy' falsifiée.

Je m'en moqu', puisque j'ai pas d' pain,
Qu'on mett' du plâtr' dans la farine.
J' m'en bats l'œil, puisque j'ai pas d' vin,
Qu'on y mêl' campêche et [fuchsine].

Je m'en fich', puisque j' bois pas d' lait,
Que c'te liqueur d'eau soy' noyée.
J' vous d'mande un peu qu'est-c' que ça m' fait
Qu' la nourritur' soy' falsifiée.

De ce jeûn' par trop prolongé,
Je témoign' par ma mauvais' mine.
Mais, quoique maigre, j'suis mangé
Petit à p'tit par la vermine.
Ils s' pay'nt, dans un'bonheur parfait,
Ma pauvre carcasse escofiée.
J' vous d'mande un peu qué qu' ça leur fait
Qu' la nourritur' soy' falsifiée.


7 septembre 1887.


Note ajoutée par nous, en 2016 : « les  ch'mis's Claud' » renvoient aux chemises Claude frères, 100, faubourg Saint-Denis, censées avoir été coupées de manière à ne jamais « bouffer », c’est-à-dire, comme le disait la réclame, ne remonter jamais « lors même qu’on lève les bras ».

 


  

À mon ami Victor DALLE
 

LA LÉGENDE
DU CHIFFONNIER


Air du Juif-Errant


Promenant sa lanterne,

Sa hotte et son crochet ;

Piquant, dans la nuit terne,

L'ordure et le déchet ;

Le Temps erre, à pas lents,

Depuis mille et mille ans.


Auprès du patriarche

Et suivant tous ses pas,

Le Progrès lui dit : « Marche !

Et ne t'arrête pas !

Fouille, vieux chiffonnier,

Pour remplir ton panier !
 

Va, sans cesse ; ramasse,

Sans peur et sans dégoût,

Ce que, sur terre, amasse

D'objets bons pour l'égout

Ta putréfaction,

Civilisation !


Vois ; cette pourriture,

C'est la Société.

Regarde, cette ordure,

C'est la Propriété.

Là, cette infection,

C'est la Religion.


Approche ta lanterne ;

Ce que tu vois briller

Ici, c'est la Caserne ;

Là-bas, c'est l'Atelier :

Ici, viande à canon ;

Là-bas, viande à patron.


Quel métal flambe et crie,

Heurté par ton crochet ?…

Vois, c'est la Monarchie ;…

Enlève ce hochet !

Prince, roi, pape ou czar,

Pique, pique au hasard !


À la hotte ! à la hotte !

Tous, en un tour de main…

Mais que vois-je, qui flotte,

Là-bas, sur le chemin ?

Pour mieux voir ce lambeau

Amène ton flambeau…


Éclaire ; fouille, fouille !…

Là, pique !… Qu'est-ce enfin ?

Halte ! c'est la dépouille

D'un pauvre, mort de faim !

Cette loque d'azur,

C'est le drapeau futur ! »


4 mars 1887.

 






Accueil | Apostilles Archives 2016