Aux Sources de la Mer
dans Poe est
paru
sous la rubrique Shéol & EdeN, où Shéol, un
terme hébreu pour désigner le séjour des morts est
à lire : chez Ohl, tandis que EdeN
(Eden), selon la Bible le paradis terrestre où
vivaient Adam et Ève avant le péché originel,
renvoie à l’E(cole) de N(ulle part), fondée par Pierre
Ziegelmeyer, le directeur de la collection
« La tête reposée » chez Plein Chant.
L’ouvrage, de format oblong, à l’italienne, 544 pages chiffrées,
épaisseur 3 cm, imprimé
à Bassac (Charente) par Plein Chant, tiré à
cent-dix exemplaires réservés aux amis de Michel
Ohl, date du mois
d’avril 2017.
Dans Aux Sources de la Mer
dans Poe,
l’auteur se montre un être double, scribe et
liseur à la fois. Scribe, il calligraphie son
texte de manière esthétique, avec des variations
vers la fin (on aimerait connaître la date des
cahiers) tandis que liseur attentif et boulimique
des livres d’autrui, il se les approprie, tout en
se faisant le commentateur subtil de ses propres
livres, autant de ceux dont il avait rêvé mais qui
existent sous la seule forme d’un titre, que de
ceux qui furent imprimés et distribués au public
par les voies normales.
Normal, ce mot ne convient
guère à Michel Ohl, qui d’ailleurs l’aurait pris
pour une injure. Tout se passe, dans Aux Sources
de La Mer dans Poe, comme s’il se battait
contre un adversaire invisible, avec des armes
dérisoires et détournées, produisant un manuscrit
qu’il préfère laisser tel au lieu de s’appliquer à
lui faire emprunter la voie naturelle de
l’édition. C'est que l'ouvrage manuscrit
est
un testament littéraire anticipé par lequel Michel
Ohl, revenant sur La Mer dans Poe, paru en 1994 aux éditions
Opales / Pleine Page, se fait
l’historien de ses propres œuvres écrites, pour
entrer avec plus de certitude dans la postérité et donner
des documents – un mot qu'il aurait
détesté – à ses exégètes à venir.
La Mer dans Poe, ce titre absurde et
provocant vient de la haine éprouvée par Michel
Ohl pour les théories de la littérature qui
faisaient écrire à des essayistes renommés des
études sur un thème précis chez des écrivains
consacrés, – on pense à des auteurs qu’il ne cite
pas, Georges Poulet (Études sur le temps
humain),
Jean-Pierre Richard (Littérature et
sensation, L’Univers
imaginaire de Mallarmé). Il cherche le
mot mer dans les œuvres
complètes d’Edgar Poe, mais ajoute « qu’à
force de lire Poe je me faisais chier un tant soit
peu », et voilà la mer-de revenue.
Peut-être pourrait-on dire que
par le biais de ce journal intime qui ne veut pas
s’avouer tel, Michel Ohl cherche à meubler le
silence auquel il s’est astreint, puisqu’il assure
avoir renoncé, en 1996,
à écrire.
Dans Aux Sources, il parle, il parle
avec sa plume, il écrit comme on parle afin de
tuer la littérature, et il met au jour un
manuscrit superbement calligraphié, comme écrit
par un élève modèle qu’il raille autant que les
théoriciens de la littérature, autant également
que les psychanalystes qui demandent à leurs
patients un langage fait d’associations libres et
pour lesquels il trouve, inversant les rôles, le
jeu de mots EPIE LES PSY (p. 57).
Des bons élèves appliqués et dociles, il se moque
en parsemant les marges des hauts de page
d’annotations dont les plus nombreuses sont celles
d’une maîtresse d’école qui lui reproche de
remplacer les ratures par des parenthèses (p. 56), mais qui sait aussi
le féliciter : « Jolie page ! Bon
petit élève ! » (p. 301). Le scribe sort de son
rôle passif pour commenter ses œuvres, mais il a
lu tant de livres que les siens et ceux d’autrui
se mêlent, auxquels s'ajoute, dit-il, un journal
tenu par sa mère, il prolonge
ses lectures effectives par des rêveries sur ces
lectures qu’il intègre tant bien que mal aux
commentaires sur ses propres écrits. Surtout, il
joue avec le langage, accumulant les jeux de mots,
et cultivant un style oral apparemment débraillé,
en réalité très recherché.
d
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À force de jouer au chat et à
la souris avec les mots, Michel Ohl parvient à
transformer ce qui s’annonçait, et parfois était un
peu trop longtemps, une interminable logorrhée, en
une véritable autobiographie que nul spécialiste de
biographies n’aurait pu faire si vivante et précise,
mêlée à une analyse minutieuse de ses propres
livres. Chercherait-on à donner le vrai sens de Aux
Sources de la Mer dans Poe, on se risquerait à
dire que Michel Ohl, écrivant ce livre tissé de
rêves nocturnes ou éveillés, a voulu accoucher de
lui-même. Socrate, disait-on, accouchait par le
dialogue ses disciples, Michel Ohl aurait cherché
à se faire naître sous la forme d’un créateur
adulte – par le biais d’un monologue écrit de sa
main de chair, comme pour affirmer la suprématie
du corps sur l’esprit. Le paradoxe, et même
l’impossibilité logique – qui cependant
prétendrait que les réactions devant la mort sont
logiques ? – réside en ce que le créateur à
naître se trouve avoir, dans la réalité, déjà
écrit de nombreux livres, tous ceux qui sont
commentés dans Aux Sources…, il existe donc déjà,
ou il a existé, mais en tant qu’homme charnel,
donc mortel. Les livres, eux, ne meurent pas, tout
au moins à la manière des êtres humains et ils
feront mieux, espère Michel Ohl, que lui survivre,
ils lui permettront de continuer à vivre à travers
ses livres que le manuscrit Aux Sources
de la Mer dans Poe aura mieux
fait connaître.
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