Éditions PLEIN CHANT

APOSTILLES

  26 mai 2017






Michel OHL tel qu'en lui-même enfin


Aux Sources de la Mer dans Poe est paru sous la rubrique Shéol & EdeN, où Shéol, un terme hébreu pour désigner le séjour des morts est à lire : chez Ohl, tandis que EdeN (Eden), selon la Bible le paradis terrestre où vivaient Adam et Ève avant le péché originel, renvoie à l’E(cole) de N(ulle part), fondée par Pierre Ziegelmeyer, le directeur de la collection « La tête reposée » chez Plein Chant. L’ouvrage, de format oblong, à l’italienne, 544 pages chiffrées, épaisseur 3 cm, imprimé à Bassac (Charente) par Plein Chant, tiré à cent-dix exemplaires réservés aux amis de Michel Ohl, date du mois d’avril 2017.

Dans Aux Sources de la Mer dans Poe, l’auteur se montre un être double, scribe et liseur à la fois. Scribe, il calligraphie son texte de manière esthétique, avec des variations vers la fin (on aimerait connaître la date des cahiers) tandis que liseur attentif et boulimique des livres d’autrui, il se les approprie, tout en se faisant le commentateur subtil de ses propres livres, autant de ceux dont il avait rêvé mais qui existent sous la seule forme d’un titre, que de ceux qui furent imprimés et distribués au public par les voies normales.

Normal, ce mot ne convient guère à Michel Ohl, qui d’ailleurs l’aurait pris pour une injure. Tout se passe, dans Aux Sources de La Mer dans Poe, comme s’il se battait contre un adversaire invisible, avec des armes dérisoires et détournées, produisant un manuscrit qu’il préfère laisser tel au lieu de s’appliquer à lui faire emprunter la voie naturelle de l’édition.  C'est que l'ouvrage manuscrit est un testament littéraire anticipé par lequel Michel Ohl, revenant sur La Mer dans Poe, paru en 1994 aux éditions Opales / Pleine Page, se fait l’historien de ses propres œuvres écrites, pour entrer avec plus de certitude dans la postérité et donner des documents – un mot qu'il aurait détesté – à ses exégètes à venir. La Mer dans Poe, ce titre absurde et provocant vient de la haine éprouvée par Michel Ohl pour les théories de la littérature qui faisaient écrire à des essayistes renommés des études sur un thème précis chez des écrivains consacrés, – on pense à des auteurs qu’il ne cite pas, Georges Poulet (Études sur le temps humain), Jean-Pierre Richard (Littérature et sensation, L’Univers imaginaire de Mallarmé). Il cherche le mot mer dans les œuvres complètes d’Edgar Poe, mais ajoute « qu’à force de lire Poe je me faisais chier un tant soit peu », et voilà la mer-de revenue.

Peut-être pourrait-on dire que par le biais de ce journal intime qui ne veut pas s’avouer tel, Michel Ohl cherche à meubler le silence auquel il s’est astreint, puisqu’il assure avoir renoncé, en 1996, à écrire. Dans Aux Sources, il parle, il parle avec sa plume, il écrit comme on parle afin de tuer la littérature, et il met au jour un manuscrit superbement calligraphié, comme écrit par un élève modèle qu’il raille autant que les théoriciens de la littérature, autant également que les psychanalystes qui demandent à leurs patients un langage fait d’associations libres et pour lesquels il trouve, inversant les rôles, le jeu de mots EPIE LES PSY (p. 57). Des bons élèves appliqués et dociles, il se moque en parsemant les marges des hauts de page d’annotations dont les plus nombreuses sont celles d’une maîtresse d’école qui lui reproche de remplacer les ratures par des parenthèses (p. 56), mais qui sait aussi le féliciter : « Jolie page ! Bon petit élève ! » (p. 301). Le scribe sort de son rôle passif pour commenter ses œuvres, mais il a lu tant de livres que les siens et ceux d’autrui se mêlent, auxquels s'ajoute, dit-il, un journal tenu par sa mère, il prolonge ses lectures effectives par des rêveries sur ces lectures qu’il intègre tant bien que mal aux commentaires sur ses propres écrits. Surtout, il joue avec le langage, accumulant les jeux de mots, et cultivant un style oral apparemment débraillé, en réalité très recherché.


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À force de jouer au chat et à la souris avec les mots, Michel Ohl parvient à transformer ce qui s’annonçait, et parfois était un peu trop longtemps, une interminable logorrhée, en une véritable autobiographie que nul spécialiste de biographies n’aurait pu faire si vivante et précise, mêlée à une analyse minutieuse de ses propres livres. Chercherait-on à donner le vrai sens de Aux Sources de la Mer dans Poe, on se risquerait à dire que Michel Ohl, écrivant ce livre tissé de rêves nocturnes ou éveillés, a voulu accoucher de lui-même. Socrate, disait-on, accouchait par le dialogue ses disciples, Michel Ohl aurait cherché à se faire naître sous la forme d’un créateur adulte – par le biais d’un monologue écrit de sa main de chair, comme pour affirmer la suprématie du corps sur l’esprit. Le paradoxe, et même l’impossibilité logique – qui cependant prétendrait que les réactions devant la mort sont logiques ? – réside en ce que le créateur à naître se trouve avoir, dans la réalité, déjà écrit de nombreux livres, tous ceux qui sont commentés dans Aux Sources…, il existe donc déjà, ou il a existé, mais en tant qu’homme charnel, donc mortel. Les livres, eux, ne meurent pas, tout au moins à la manière des êtres humains et ils feront mieux, espère Michel Ohl, que lui survivre, ils lui permettront de continuer à vivre à travers ses livres que le manuscrit Aux Sources de la Mer dans Poe aura  mieux fait connaître.




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