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Nous allons au parc
Montsouris jeter des pierres à la truite
qui dort au fond de l’eau limpide, sour
son lit de graviers ; au Jardin des
Plantes, voir le boa derrière son
carreau, engourdi dans sa couverture,
les singes qui ont des derrières comme
des tomates, se chercher les poux et les
manger, faire des obscénités ou croquer
des noisettes, suspendus par la queue,
les crocodiles qui paraissent en tôle
repoussée, le vautour qui ferme sa
paupière sur une cocarde tricolore,
l'hippopotame qui a l'air de suer du
sang ; les ours qui se dandinent
sur leur derrière d'une façon énervante…
Nous mettons des cailloux dans la
trompe de l'éléphant.
Nous contemplons les lions
ébouriffés et mélancoliques, les hyènes
fétides et boiteuses et je fixe dans les
yeux la panthère qui baille pour
l'hypnotiser, comme dans L'Homme aux
yeux d'Acier de Louis
Noir, car, à présent, je lis
énormément : j'ai déjà dévoré Les
Mystères de Paris, La Dame de
Montsoreau, Les Trois Mousquetaires,
Le Bossu, que m'a
prêtés madame Pélissier, notre
voisine, la blanchisseuse.
Nous ne manquons pas d'assister
au repas de l'otarie, qui sort toute
vernie de l'eau, pour happer au vol,
d'une simple inflexion de cou, les
harengs qui passent dans l'air comme des
lames d'argent. Et pour finir, nous
emparant du Labyrinthe jusqu'à la
Lanterne, nous en dévalons les allées en
poussant des cris aigus et nous nous
laissons tomber, essoufflés, sur le banc
de pierre, à l'ombre du grand cèdre où
rêva l'âme douloureuse de Michelet.
(A. Brepson, Un
Gosse,
pages 135-136)
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L’île des Singes […]
devient pour moi l’île des Ravageurs, le
petit pont de la Bièvre, celui du château de
Caylus, et, quand j'aurai lu les
Misérables, je changerai,
plus haut, la ruelle des Reculettes en
cul-de-sac Genrot, et j'y ferai se profiler
à la lueur fumeuse des quinquets la stature
colossale de Javert, sur la piste de Jean
Valjean… Ou bien, je dirai que, là-bas, sur
le solitaire boulevard d'Italie, ce jardin
sauvage rempli de merles et de papillons,
clos d'une grille aux barreaux tordus, à
travers lesquels on aperçoit, au fond, un
pavillon délabré, est le jardin de la rue
Plumet ; et j'y verrai très bien là,
par un soir d'été, dans l'encoignure de la
haute porte vermoulue, Éponine tenir en
échec Babet, Gueulemer, Claquesous,
Thénardier et Montparnasse, pendant que dans
le jardin baigné de lune, et sous un ciel
constellé, Cosette et Marius
s'adorent !
Mais ces personnages
imaginaires ne vont plus aussi me
suffire : il va me les falloir en chair
et en os. Alors j'irai au théâtre.
(A. Brepson, Un Gosse,
pages 143-144)
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