Éditions PLEIN CHANT
Apostilles




 

 








  Amour  

   
   En 1785 parut Correspondance d'Eulalie ou Tableau du libertinage à Paris, rassemblant des lettres de courtisanes, sans doute apocryphes quoi qu'en dise dans l'édition de  la Bibliothèque des curieux (1911) B.V., soit Bagneux de Villeneuve, derrière qui se cachait Raoul Vèze. Dans ces lettres, les demoiselles échangeaient des contes en vers, des épigrammes, des paroles de chansons, et Mlle Julie, dans une lettre datée du 30 janvier 1783, donne à lire entre autres pièces en vers un conte, Le mauvais imprimeur.


    Le mauvais imprimeur.

          Nicodème, fils d'imprimeur,
          Et Suzon, fille de libraire,
          S'éprirent d'une folle ardeur,

          Sans pourtant songer à mal faire.
          Amour fit un jour au duo

   Essayer du baiser la volupté suprême,
   Si que la passion du pauvre Nicodème

   D'in-seize qu'elle était devint in-folio.
         Leurs quatre lèvres toutes neuves

   Du premier choc trouvèrent le plaisir ;
Tant est vrai qu'on fait bien quand on cède au désir,

Tant est vrai qu'en baisant n'est pas besoin d'épreuves.
        Or Nicodème aussitôt s'en alla.
          « Ah ! dit la fille du libraire,

          « Le sot imprimeur que voilà !
          « Peut-il attraper la manière

          « D'un baiser comme celui-là
          « Et n'en tirer qu'un exemplaire ? »




  Perruque  


   Édouard Fournier, au chapitre « L’Almanach des adresses de Paris sous Louis XIV » de son Paris démoli (1855),  donne le nom et l'adresse de celui qui avait l'honneur de s'occuper de la coiffure de Louis XIV : il s'appelait Binet et logeait rue des Petits-Champs.


« Le premier de tous les entrepreneurs en cheveux était l’illustre M. Binet (…) Certes, ce devait être là un homme de conséquence. L’artiste qui fabriquait la perruque royale ! cette perruque in-folio qui fut la véritable couronne de Louis XIV, cette perruque sans laquelle on ne l’avait jamais vu, qu’il mettait lui-même derrière  les rideaux de son lit, afin d’apparaître déjà radieux aux courtisans du petit lever, le soleil ne se levant pas sans ses rayons !! »

Note - Le rédacteur de l'article Rigaud (Hyacinthe) dans le Dictionnaire de la conversation et de la lecture (Paris, Belin-Mandar, 1838, t. XLVII), trouvait suprêmement ridicule « de voir dans la galerie de Versailles Louis XIV vêtu à la romaine et coiffé d’une perruque in-folio. On donnait ce nom aux plus belles comme aux plus considérables. Elles étaient si volumineuses que les boucles qui en descendaient couvraient les épaules, tandis que le toupet s’élevait d’environ un pied. »



  Bibliothèque  


   L'auteur des Sotises (sic) du tems, ou Mémoires pour servir à l’histoire générale & particulière du genre humain. Ouvrage critique et moral, badin et sérieux, amusant et instructif, contenant les Sotises qui se font journellement dans le Monde, ainsi que les Nouveautés Curieuses & amusantes, qui y paroissent (1754) nous conte l'historiette d'un financier richissime. M. Brissard, donc, s’était fait construire un hôtel particulier : il manquait la bibliothèque, non que le propriétaire désirât lire, non, la vanité le poussait. Il eut donc sa bibliothèque, en achetant des livres à la toise. Mais…


… un jour, dans cette bibliothèque, « un des assistants, ayant tiré de dessus une Tablette un Gros & vieux Plutarque, en deux volumes in Folio, traduit par le prédecesseur d’Amiot, & ayant jetté les yeux dessus, dit au Sieur Brissard, qu’il avoit ce Livre chez lui, magnifiquement relié, en dix volumes in 12 ; encore ne contenoit-il qu’une partie des Ouvrages de cet Auteur Grec, c’est-à-dire, ses hommes illustres. A ces mots le Financier, croyant faire profiter sa Bibliotheque, envoya promtement chercher un Relieur, au quel il donna son vieux Plutarque in Folio, avec ordre de le relier en trente volumes in 12. Le Relieur eut besoin de tout son serieux, pour ne pas eclater de rire au nez du Sieur Brissard, en entendant cette risible proposition. Ce qu’il y eut encore de plus Comique, c’est qu’il eut toutes les peines du monde à lui faire comprendre que ce qu’il lui demandoit étoit la chose du monde la plus ridicule, & la plus impraticable. »










ILLUSTRATION
L'illustration du titre est extraite de Monographie de la presse parisienne, par Balzac, dans La Grande Ville. Nouveau tableau de Paris (Paris, Marescq, 1844, p. 162). Celle de la fin vient de Voyage où il vous plaira, texte de Musset et P.J. Stahl (Hetzel), vignettes par Tony Johannot (Paris, Marescq et Cie, 1856), p. 6.

TEXTE
Correspondance d'Eulalie ou Tableau du libertinage de Paris. Avec la vie de plusieurs filles célèbres de ce siècle (Paris, Bibliothèque des Curieux, collection Le Coffret du Bibliophile, 1911, 2 vol.), t. II, p. 32.

Édouard Fournier, Paris démoli
(Paris, Auguste Aubry, 1855), p. 46, puis p. 47.


Les Sotises du tems
…  (La Haye, 1754), t. II, p. 91.


PLEIN CHANT
On trouvera de nombreuses anecdotes sur les livres, vus de leur côté matériel, dans Typographes & Gens de lettres, par Décembre Alonnier, édition de Martin du Bourg (Bassac, Plein Chant, 2002).



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