Alfred Guichon de
Grandpont, sa pipe et le compas
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Ces mêmes habitués savent que l’on trouve aux éditions Plein Chant plusieurs fac-similés d’ouvrages de la Bibliothèque elzévirienne, fondée par Pierre Jannet, si bien qu'ils sont amenés à ouvrir sinon tous les livres de cette Bibliothèque, que sa couverture de percaline rouge et sa typographie élégante permettent d'identifier facilement, au moins ceux qui leur tombent entre les mains, au hasard des brocantes. Édouard Fournier dirigeait une série composée de textes revus et annotés par lui-même, celle des « Variétés historiques et littéraires », qui proposait des « pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers ». Au septième tome de ces Variétés, page 287, un titre saute dans l’œil — l'œil de celui qui a lu Protée-Cigale : « Les amours du Compas et de la Règle, et ceux du Soleil et de l’Ombre, à Monseigneur le cardinal duc de Richelieu », 1637. Les amours du Compas et de la Règle annonceraient-elles (puisque amours au pluriel est devenu féminin) les amours (merveilleuses) de la Pipe et du Compas ? Pourquoi et comment ?
L’impeccable annotateur, Édouard Fournier, nous apprend
que l’on avait trouvé une copie de la pièce dédiée à
Richelieu dans les papiers de Charles Perrault. On sait
que Charles Perrault avait épousé en 1672, à
quarante-quatre ans, une jeune fille de dix-neuf ans,
Marie… Guichon, qui lui donna trois fils et peut-être une
fille, avant de mourir en 1678. Tiens ! Alfred Guichon de
Grandpont aurait-il trouvé un exemplaire de la pièce dans
les papiers de sa famille ? Mettons l’information de
côté, car il serait bon d’en savoir un peu plus sur
l’auteur de l’Histoire merveilleuse des amours d’une
pipe et d’un compas. ALFRED GUICHON DE GRANDPONT
Alfred Guichon de Grandpont, fils d’un avocat nommé
professeur de droit civil français à la Faculté de Dijon,
suivit les traces de son père, au moins pour sa
profession, puisqu’il fut lui-même, à vingt ans, avocat,
puis il change de voie. En 1827, le voilà, après avoir
passé un concours, élève d’administration de la marine,
envoyé à Brest. Il était passé de sa Bourgogne natale à la
Bretagne, et c’est en Bretagne qu’il trouva des éditeurs
pour ses publications, brèves en général. Il y avait
trouvé aussi une femme, épousée le 15 mai
1837 : Anaïs, fille d’un baron d’Empire, Paul Louis
Marie Dein (1768-1831). Tous deux vivaient au château de
Maillé (commune de Plounevez-Lochrist), à quelques
kilomètres de la mer, mais à quarante kilomètres de Brest,
où Guichon travaillait. On passe les voyages maritimes et
les séjours à l’étranger de Guichon de Grandpont, qui nous
intéresse ici uniquement en auteur. Il signait
aussi, il signait surtout, de son vrai nom, des
publications sérieuses, qu’il multiplia lorsqu’il eut pris
sa retraite en janvier 1872. Parmi ces publications, la
plupart du temps des tirés à part de communications à des
sociétés savantes provinciales, citons : - 1874 : Recherches de numismatique navale (Brest, imprimerie de J.-B. Lefournier aîné), in-8° de 24 pages. Extrait du Bulletin de la Société académique de Brest. - 1875 : Le Chemin royal de la Sainte Croix, une traduction en vers français du douzième chapitre du livre II de L'Imitation de Jésus-Christ (texte latin en prose du XVe siècle, attribué à Thomas a Kempis, rendu célèbre par la traduction de Corneille) Alfred Guichon de Grandpont, accompagnée de la traduction en vers latin par Jean-Baptiste-Charles Joseph Colson (Draguignan, Gimbert), in-16 de 31 pages. L’une des dernières publications de Guichon sera, en 1896, une Étude sur les traductions en vers de l'Imitation de Jésus-Christ (54 pages in-8°). - En 1845, Guichon, alors sous-commissaire de la marine de 1re classe, avait publié dans les Annales maritimes et coloniales (avril et mai 1845) : Dissertation de Grotius sur la liberté des mers ; traduite du latin, avec une préface et des notes. Le texte latin de la dissertation, Mare liberum, par Hugo de Groot, dit Grotius, demandant pour la Hollande la libre circulation sur les mers, c’est-à-dire l’exercice du commerce maritime, était paru en 1609 et avait déjà été traduit en français (par Antoine de Courtin, 1703), mais Guichon tenait à proposer sa propre traduction, par sentiment de proximité bibliophilique — il possédait un exemplaire de cette dissertation ayant appartenu à un avocat de Dijon, Claude-Barthélemy Morisot (1592-1661), qui écrivait en latin avec la même aisance qu’en français (comme Guichon !) et fut l’ami en France de Grotius — mais aussi par scrupule de latiniste homme de lettres, car il jugeait la traduction d’Antoine de Courtin peu littéraire et parfois inexacte. En 1882, Guichon traduit la version latine (1625) d’un texte écrit en portugais par Seraphim de Freitas, destiné à réfuter le Mare liberum de Grotius, ce qui donnait : Freitas contre Grotius sur la question de la liberté des mers. Justification de la domination portugaise en Asie (Paris, XII-346 pages in-12). - En 1887,
Guichon publie une compilation latine en 54 pages in-8°,
tiré à part d’une publication dans le Bulletin de la
société académique de Brest : Ovidius
nauticus,
amples citations, avec explications sommaires des
passages de tous les poèmes d'Ovide qui ont rapport à la
marine (Brest,
imprimerie de l'Océan). Par un commentaire qui
accompagnait cette compilation, Guichon délimitait son
territoire de recherche intellectuelle, définissant
implicitement la nature de toutes ses publications
érudites : « Je me résignais sans trop de
peine à cette perspective d'un travail sans utilité
pratique ou sérieusement historique, pourvu qu'il me
procurât nombre de ces jouissances que les ignorants de
mon espèce cherchent encore aujourd'hui dans le sujet
d'un poème, fût-il frivole, dans sa composition, dans
ses fictions, dans le style, les allusions, les mille
détails dont se soucient fort peu les savants et les
hommes d'action. » - En 1889, la Société académique de Brest avait proposé un sujet de concours sur une « exclamation de Pascal sur la peinture (on sait que Pascal avait choqué en écrivant : « Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux »), et le 30 décembre 1891, le Bulletin de la société publiait la réponse de Guichon, que l’on pouvait trouver en librairie : Examen d'une exclamation de Pascal sur la peinture, sujet d'un concours proposé par l'Académie des beaux-arts en octobre 1889 (Brest, imprimerie de A. Dumont, 1891, in-8°, 32 pages). - On relève,
en 1893, un écrit étranger au latin, étranger à la
littérature classique, étranger encore à la pensée
catholique — tous thèmes familiers de Guichon — mais lié à
la maison bretonne de Keroualin à La Forest-Landerneau,
entre Brest et Landerneau, où notre auteur vécut à partir
de 1868 ; il unissait, à son habitude, plusieurs
styles ou genres littéraires, demandant de façon
rhétorique qu’il lui fût permis « d’agrémenter les
arides détails par la poésie et les beaux-arts ». Ce
qui dans le Bulletin de la société académique de Brest (tome XVIII,
1892-1893, pp. 9-40), s’intitulait Notice sur
la commune de La Forest-Landerneau, devint une brochure de 48
pages in-8° : Notice sur la commune de
la Forest, arrondissement de Brest, suivie du Poème de
saint Ténénan par Gabriel Milin (Brest, 1893). Gabriel Milin,
commis au port de guerre de Brest mais surtout breton
bretonnant, ami et contemporain de Guichon de Grandpont
(né en 1822, il mourut en 1895), était déjà présent par
sa traduction du poème de saint Ténénan dans la notice
du Bulletin de
Brest qui ne l’annonçait pas dans le titre, mais le
donnait, texte et traduction, à la suite de
la notice documentaire de Guichon sous ce titre : Buez
sant Tenenan. La vie de Saint Ténénan mise en vers
bretons d’après Albert le Grand. « D’après Albert le
Grand », car on trouvait cette vie dans La Vie,
gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne
armorique (1637),
par Albert le Grand, dont un bibliothécaire de Rennes
sous la Restauration, Daniel-Louis Miorcec de Kerdanet,
avait donné une édition, revue par Graveran, évêque de
Quimper, deux
cents ans plus tard : Les Vies des
saints de la Bretagne armorique. Pourquoi ce saint en
particulier ? Parce qu’une église, reconstruite en
1887, lui était consacrée à La Forest. Et Gabriel Milin
publiait, la même année 1893, séparément, ce
poème : Buez sant Tenenan (la Vie de saint Ténénan),
mise en vers bretons, d'après Albert le Grand (Brest,
imprimerie de A. Dumont, 1893, in-8°, 16 p.). En envoyant, une fois sorti de la vie active, des communications à la Société académique de Brest, Guichon de Grandpont ne faisait que persévérer dans un chemin emprunté dès sa jeunesse, dans sa province natale : il avait en effet appartenu dans sa jeunesse, à Dijon, du temps qu'il était Jeune-France, à la Société d’Études (1821-1832) qui, divisée en quatre sections, philosophie, histoire, littérature et législation, rassemblait des jeunes royalistes libéraux. Il a pu y rencontrer Lacordaire, l’un de ses fondateurs ; ou encore Aloysius Bertrand (camarade de collège de Lacordaire), simple adhérent en novembre 1826, vice-président le 23 mai 1827 et gérant, l’année suivante, mais pendant un mois seulement, d’un journal éphémère de la Société, Le Provincial, qui lui donnait, mais pour très peu de temps, l’occasion de publier vers et prose. La bibliographie intégrale du catholique et cultivé commissaire de marine Guichon de Grandpont laisse perplexe par son hétérogénéité. On l’a vu familier de l’Imitation de Jésus-Christ — dans la version originale en latin. Poète à vingt ans, en cela dans l’ordre des choses de son époque, il fit publier en 1828 16 pages in-16 de poésies : La Muse des mers, ode, suivie de trois jeux floraux intitulés : la Primevère, le Rosier des quatre saisons, la Fleur d'amandier. On passe sur l’œuvre de jeunesse, mais Guichon persévéra toute sa vie. Au tome XXI du Bulletin de la Société de Brest (1895-1896, pp. 114-128), on peut lire un poème didactique, présenté sans succès à un concours de l’Académie en 1880, La poésie de la science. On passe encore ; mais plus loin (p. 245 et suiv.), Guichon de Grandpont donne un choix de poésies moins gourmées, d’où l’on extrait cette poésie guillerette et désabusée à la fois : Verba et voces (Mots et paroles. Le titre est emprunté à Horace, Épîtres, I, 1, vers 34, Sunt verba et voces quibus hunc lenire dolorem, Possis…, Il y a des mots et des paroles avec lesquels tu pourrais adoucir ta souffrance). - À table, - Le sable Tels sont Les sots
Latiniste, Guichon, et maniant le latin aussi bien
que le français, pouvait unir à sa connaissance du
latin son amour de la poésie et sa connaissance de la
marine. On aura ainsi, en 124 pages in-8° (Brest,
1853) : Gloriae navales, odae, cum praefatione,
notis, isographia et quorumdam numismatum descriptione,
auctore A. Guichon de Grandpont (Odes maritimes, avec une
préface, des notes, un recueil de fac-similés et la
description de quelques pièces de monnaie). Les
fac-similés reproduisaient 214 signatures autographes de
marins français, du XVIIe au
XIXe siècle. Son expérience de poète et de latiniste pouvait mener Guichon très loin, par exemple à publier, en 1887 (il était en retraite…), La Paciécide, épopée en douze livres, traduction d’un poème écrit en latin par un jésuite portugais, le Père Barthélemy (Bartholomeo) Pereira, paru en 1640. L’histoire de La Paciécide nous donne une image parfaite de ce qui plaisait à Guichon de Grandpont et qu’il se plaisait à faire connaître. Ferdinand Denis (1798-1890), parti à vingt et un ans pour le Brésil, se passionna pour le pays. Rentré en France, devenu conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il accumula des documents sur ce qui était devenu sa spécialité. Ayant mis la main sur un exemplaire du poème de Bartholomeo Pereira, à la gloire d’un autre jésuite portugais brûlé vif au Japon en 1626, Franciscus Paciecus (François Pacheco) : Paciecidos libri duodecim, decantatur clarissimus P. Franciscus Paciecus… (218 pages in-8°), il demanda à Guichon de traduire cet improbable ouvrage en 6.400 hexamètres et ce chercheur « que l’on ne rencontre pas dans les sentiers battus » (lisait-on dans le Bulletin de la Société académique de Brest), mit à jour La Paciécide, épopée en douze livres en l'honneur du... P. François Pacheco,... provincial de la Société de Jésus au Japon... lentement brûlé vif en 1626... par le P. Barthélemy Pereira,... Traduction par A. Guichon de Grandpont (Paris, E. Leroux, 1887, 456 pages in-8°), texte latin et traduction en face.
Les quelques ouvrages cités ci-dessus, faible partie de la
production d’Alfred Guichon de Grandpont ne donneraient
pas une juste idée de son territoire intellectuel, si l’on
omettait de mentionner au moins l’une de ses publications
d’érudit fouineur et pointilleux : Notice sur des jetons
français à emblèmes maritimes (Brest, 1862), 20
pages in-8°, parue auparavant dans le Bulletin de la
Société académique de Brest. GUICHON DE GRANDPONT et CHARLES PERRAULT
Alfred Guichon de Grandpont, dont on vient de voir qu’il
envoyait maints articles de tous genres au Bulletin de
la Société académique de Brest y avait publié (2e
série. Tome 14. 1888-1889, pp. 61-81) un article daté de
Brest, 4 février 1889 : Charles
Perrault, mon arrière grand-oncle et ses Contes de fées, et cela en prévision du prix
d’éloquence que décernerait en 1890 l’Académie Française
au meilleur discours sur les contes de Perrault. Avant
d’analyser les contes celui que Guichon de Grandpont
appelle gentiment « oncle Charles ». Charles
Perrault, donc, avait épousé, le 1er
mai 1672, Marie Guichon, fille de Samuel Guichon,
écuyer, devenu en 1656 seigneur de Rozières ou Rosières
(près de Troyes), frère de Claude Guichon de Grandpont,
l’arrière-grand-père d’Alfred de G. et familier de
Pierre Perrault, le receveur général, frère de Charles
P. Pierre Perrault et Samuel Guichon, tous deux
financiers (Samuel G. était receveur général et payeur
des rentes de la ville de Paris), tout deux habitant le
quartier du Marais, ne pouvaient pas ne pas se
fréquenter, et c’est ainsi que Charles Perrault fit la
connaissance de Samuel Guichon, dont il épousa, comme on
l’a dit, la fille, âgée de dix-neuf ans — lui-même ayant
quarante-quatre ans. Charles Perrault et Marie eurent au
moins trois fils : Charles, né en 1675, un
autre en 1676 et Pierre en 1678, année de la mort de
Marie. Dans cet article, nulle allusion à la poésie en
alexandrins, Les amours du Compas et de la
Règle, et pour une
excellente raison : l’auteur n’en était pas Charles
Perrault. Édouard Fournier qui le précise dans une note
de sa publication de la pièce dans les Variétés
littéraires et historiques, n’en donne pas l’auteur. Il
s’agit de Jean Desmarets de Saint-Sorlin. La pièce de 10
(1) pages in-4°, d’abord imprimée sans nom d’auteur en
1637 (Paris, Jean Camusat), fut reprise dans les Œuvres poétiques du sieur
Desmarets,
conseiller du Roy et controlleur général de
l'Extraordinaire des guerres (Paris, 1641), un recueil
factice de l’éditeur de Desmarets, Henry Le Gras. Les
Amours du compas et de la règle se trouvent dans la partie Autres
œuvres poëtiques,
pp. 7-12, entre le « Discours de la poësie » à
Mgr le cardinal duc de Richelieu et un sonnet « Sur
la prise d’Arras » au même. Exit Charles Perrault, mais reste
la pièce de Desmarets Saint-Sorlin dont on pense qu’elle
fut le point de départ de l’Histoire
merveilleuse des amours d'une pipe et d'un compas, par G. d'Henppag (Brest,
imprimerie de J.-B. Lefournier aîné, 1852) parue en 4
pages in-4° sur deux colonnes, illustrées. Deux couples Chez Desmarets de Saint-Sorlin et chez Alfred Guichon, le compas et la règle, d’un côté, la pipe et le compas de l’autre, sont des personnages, homme et femme, dont le genre sexuel reproduit, sans surprise, le genre grammatical, mais la manière de construire l’histoire de ces amours diffère chez l’un et l’autre auteur, ne serait-ce que parce que Desmarets s’exprime en alexandrins classiques, de plus destinés à Richelieu — à qui, disons-le tout net, il servit plusieurs fois de nègre — et Guichon en prose. Voici Desmarets. Le compas remarque la règle : Droitte,
d'un grave port, pleine de majesté, La règle le prend de haut, puis se laisse fléchir : « Quoy
! dit‑elle en riant, je serois la conqueste La poésie se termine avec des allusions érotiques mais de bon ton : Le compas
aussi tost sur un pied se dressa,
Nous sommes là en terrain connu : celui de
l’allégorie. Guichon de Grandpont sera bien plus
fantaisiste (au sens où la fantaisie est le fantastique).
Il fume sa pipe, il perd l'épinglette qui lui sert de
cure-pipe, une femme ravissante sort de sa pipe, mais
l'amoureux de la belle n'est pas vraiment lui-même, ce
sera un compas, qui finira sa vie de célibataire en
s'unissant à la pipe, assimilée à la femme aimée.
Guichon, avec ses personnages composés d'objets se
comportant en êtres humains et se multipliant comme à
plaisir, apparaissant, disparaissant en dehors de toute
logique, construit un monde semblable à celui des contes
fantastiques d’Hoffmann, et sans rien de commun avec la
poésie pour ainsi dire transparente et désincarnée de
Desmarets de Saint-Sorlin.
Le conte de Guichon est si bien conçu à la manière
d'Hoffmannn qu'il se termine par une pseudo citation du
Pot d’or (de
nos jours traduit de
manière moins rustique, Le Vase d'or) : « Il faut avoir
l’esprit poétiquement enfantin pour être aimé de la
couleuvre verte-dorée », une phrase qui sera
répétée dans Protée-Cigale, sous forme d’illustration,
à la fin de l’avant-dernier chapitre.
Guichon cite de mémoire ou paraphrase Hoffmann, car si,
dans la Huitième Veillée du Pot d’or (Contes
de E.-T.-A. Hoffmann, traduction nouvelle par Théodore Toussenel,
Paris, Pougin, 1838, t. I, p. 399), l'auteur emploie
l’expression « esprit poétiquement enfantin »
pour désigner une « humeur bizarre et
malicieuse », la suite : « pour être aimé
de la couleuvre verte-dorée » n’apparaît pas à cet
endroit, si la couleuvre verte-dorée, ou serpent(e)
vert(e) est présente en de nombreuses places,
puisqu' il s’agit de Serpentine, qui aguiche le héros et
en est aimée follement.
Guichon de Grandpont, s’il a repris le titre et le thème
de la poésie de Desmarets Saint-Sorlin, s’est
inspiré d’Hoffmann bien plus que du poète du XVIIe
siècle. Cette proximité éclate lorsque le lecteur
apprend que le héros du Pot d’or, Anselme, chargé par
l'Archiviste de transcrire un parchemin
hiéroglyphique, en déchiffre le titre : Des
noces du (sic) salamandre et de la couleuvre verte. L’élément masculin du couple
de Desmarets Saint-Sorlin (le compas) est devenu un
salamandre, ou Salamandre, un génie, le féminin une
couleuvre vert d’or, et derrière le compas et la pipe de
Guichon, il faut voir, en filigrane, ces deux animaux
fantastiques. Notre auteur, pourtant, ne se limite pas à
Hoffmann , il cite aussi des plaisanteries familières à
un étudiant en mathématiques — Guichon avait préparé le
concours de l’École Polytechnique. Au lecteur sont ainsi
proposées des formules qui amusaient les potaches :
« De quel degré sera l’équation du cheveu ? —
C’est du premier degré, n’ayant qu’une racine. Cahiers
de l’École Polytechnique ». Puis vient une autre
équation,
L’Histoire merveilleuse des amours… s’achève avec un poème
macaronique (elle avait commencé par une épigraphe en
latin, signée G. d’Henppag, à la gloire du tabac) sur
l’Épinglette (spinachia), cause involontaire des
amours du Compas et de la Pipe, mais Guichon sut
n’abuser ni d’un fantastique à la Hoffmann, ni de la
formulation de plaisanteries pour initiés, scientifiques
ou hommes de lettres, puisque ses deux héros, la pipe et
le compas finirent par s’appeler, comme de bons
bourgeois, Piponne et Compasset (ils seront cités, de
nouveau, dans Protée-Cigale,
p. 32). Guichon nous fait retomber dans la vie ordinaire
par une note autobiographique : il a fixé le compas
qui remplaçait l'épinglette à sa pipe bien-aimée par une chaîne dorée — la
chaîne conjugale, dite, malgré tout, « jolie », mais ce rappel de réalités
prosaïques sert de tremplin et de caution à l'imagination, qui
ne peut plus être confondue avec le délire. Guichon de Grandpont, avec
ses recherches mêlant futilité et ingéniosité, prenant
ses distances avec un savoir commun et avec ses propres
connaissances, fut-il donc un pataphysicien avant
l’heure ? Ou un érudit se ménageant des plages de
repos, des parenthèses où il redevient le Jeune-France
qu'il fut dans sa jeunesse, mais comme il n'en existera
plus jamais ?
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Articles consultés pour la brève biographie d’A.
Guichon de Grandpont A.
Guichon de Grandpont : Charles Perrault mon
arrière grand-oncle et ses Contes de fées, dans le Bulletin de la Société
académique de Brest, 2e
série. Tome XIV. 1888-1889 (Brest,
Imprimerie Société L’Océan), pp. 61-81. (Nécrologie
de Guichon de Grandpont) dans les Mémoires de
l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon. 4e
série. Tome VIII-IX. Années 1901-1902
(Dijon, Nourry, Libraire-Éditeur, 1903). Séance du
mercredi 12 décembre 1900, pp. XI-XIV.
Hippolyte Corbes : En
parcourant les Mémoires d’un administrateur de la marine
au siècle dernier (Alfred Guichon de Grandpont), dans
les Annales
de Bretagne et des pays de l’Ouest. Tome
81, n° 1, 1974, pp. 167-208.
ILLUSTRATION
Les illustrations reproduites sont celles de
l'Histoire
merveilleuse…, sauf la gravure de la
citation d'Hoffmann, qui appartient à Protée-Cigale
(ch.
V, p. 63). La dernière image,
représentant la pipe et le compas, se trouve dans l'Histoire des amours…,
p. 13, mais aussi dans Protée-Cigale, p. 32.
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