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Plein Chant vous propose une
visite à la Bibliothèque des Curieux, connue par le
biais de ses deux collections les mieux fournies : Les Maîtres
de l'Amour, Le Coffret du Bibliophile.
Si Apollinaire et Raoul Vèze,
alias Jean Hervez, nourrissaient tous
deux « Les
Maîtres de l’Amour » et « Le
Coffret du Bibliophile »,
ils créèrent et alimentèrent
d'autres
collections ou séries.
Jean Hervez dirigea « Le Baiser ».
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Un examen
des lieux permet de noter combien Apollinaire et
Raoul Vèze, les deux piliers de la maison, ont mis
à contribution les livres édités par Isidore
Liseux (1835-1894), donnant à lire des textes rares établis et
commentés par Alcide Bonneau. L'imitation est
allée jusqu'à se traduire matériellement, puisque
les livres du « Coffret
du Bibliophile » reproduisaient le format et
l'aspect de ceux de la Petite Bibliothèque
Elzévirienne d'Isidore Liseux : à gauche, « Le Coffret du Bibliophile », à
droite, Isidore Liseux, avec La Conférence
entre Luther et le Diable, 1875.
Ci-dessous, les trois livres de
la collection d'Apollinaire, « L’Histoire
Romanesque ». Le
premier d'entre eux, La Rome
des Borgia, fut
l'œuvre de René Dalize, bien plus que
celle d'Apollinaire. Aux deux autres,
Apollinaire travailla davantage, tout en
mettant plusieurs de ses amis à
contribution. La vignette ronde de La
Rome des Borgia reproduit le détail
d'un portrait présumé de Lucrèce Borgia
(Sainte Catherine, par le Pinturiccio). La
Fin de Babylone est illustrée par la
reproduction d'une orgie peinte assez
indistincte, mais peut-être le flou était-il
délibéré ;
la vignette des Trois Don Juan donne à
voir un détail de La Maya nue de
Goya.
Après la mort
d'Apollinaire, Fernand Fleuret et Louis Perceau
animèrent plusieurs collections de la Bibliothèque des Curieux, signant de
leur nom ou de pseudonymes variés : le chevalier
de Percefleur, Dr Ludovico
Hernandez.
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1. Hors collection, mais
semblable aux livres des « Maîtres de
l’Amour ».
2. Le Cheveu, présenté par le chevalier de
Percefleur.
3. Édition
de FERNAND
FLEVRET & LOVIS PERCEAV.
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L'histoire de la Bibliothèque des Curieux ne
s'arrête pas là car ses propriétaires, Georges et
Robert Briffaut, se mirent, pour mieux répondre au
nom de leur maison d'édition, à publier des livres
clandestins au format de ceux du « Coffret
du Bibliophile ».
Par exemple :
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Thérèse
philosophe
La Haye (A la Sphère) 1748-1910
Les Aphrodites,
par Andrea de Nerciat (3 vol.) A
Lampsaque 1793-1909
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Dans Un court séjour…, on rencontre à côté de Georges
et Robert Briffaut des éditeurs tels que
Pierre Fort, qui publia L'Amour en visites
d'Alfred Jarry :
Ou encore Paul Fort, qui
jouait au chat et à la souris avec les
censeurs, vendant ses productions osées par
correspondance, après les avoir fait
connaître par des catalogues placés à la fin
de livres édités par lui ; Henri Daragon qui
faisait jouer à sa revue, Paris-Galant,
le rôle d'un catalogue. Ci-dessous, la
couverture et le dos.
On se promène du côté de
l'érudition appliquée aux ouvrages
érotiques, aussi bien les canoniques,
devenus respectables avec le temps, que les
éphémères, jetés aussitôt que lus, dont les
plus intrigants restent les livres de
flagellation.
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Illustration
de Del Giglio pour
Le Pensionnat du fouet,
par Aimé Van Rod, 1909.
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Le livre invite les lecteurs
à se poser diverses questions. L'érudition
incitant à une lecture intensive et
généralisée, pourquoi ne pas faire accéder
les catalogues de livres au statut de livre, puisqu'ils donnent
sinon des fleurs, au moins leur parfum ?
Les livres érotiques ont
longtemps mûri dans l'ombre de la
clandestinité. Les cachettes, les
incertitudes sur auteurs et éditeurs,
inciteraient-elles certains érudits,
Pascal Pia, par exemple, à la pratique de la supercherie ? Ou à celle du pastiche, comme Fernand
Fleuret ?
L'érudition met en plein jour
des manuscrits inconnus, enfouis souvent
dans les bibliothèques publiques parce
que, publiés, ils eussent créé le
scandale. Elle sert d'alibi à la
republication de ce qui ne choquait pas au
début du XVIIe
siècle, mais fut ensuite jugé contraire
aux bonnes mœurs et à la morale publique,
ainsi des
recueils de pièces en vers, emplis
d'une sexualité indiscrète.
Ces réapparitions dues à des érudits tels
que Van Bever, Frédéric Lachèvre, Fernand
Fleuret seul ou en compagnie de Louis
Perceau, créent une forme de lecture
particulière, différente de celle des
imprimés ordinaires dans la mesure où elle
nous invite à jouer avec le temps, celui
du présent vécu comme aboli par le temps
présent d'une lecture reconstituant un
passé.
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