Autoportrait (extrait), p. 91 |
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J'ai été partout l'étranger dont la voix est comme une ancre Qui a séjourné longtemps dans l'eau et qui remonte Couverte d'algues et de coquillages inconnus ici. Je ne crains pas de paraître présomptueux, Car, ou bien dans cent ans nul ne lira ce poème Et alors on n'aura pas l'occasion de m'accuser de présomption, Ou bien un lecteur au moins, quelque part, dans une bibliothèque Ou dans un grenier parmi de vieilles choses, tombera Ne fût-ce que par hasard sur ce petit livre. Ne sera-t-il pas content alors d'en connaître l'auteur ? Quelques détails insignifiants en apparence : la couleur De son teint. On le prenait souvent pour un métis ou un créole. Ses mains longues et sensibles, sa joie de vivre Que ni patrons haineux, ni pauvreté, ni solitudes N'ont su briser. Car j'ai connu bien sûr La dure loi du travail. J'ai partagé le sort Des multitudes affamées : j'ai été L'étudiant dans la mansarde, le manœuvre, le secrétaire Qui supporte la colère du maître, le domestique, Le journaliste sans emploi courant les rédactions. Mais au sommet des montagnes j'ai été l'égal des fortunés […] |