On s’est longtemps demandé qui était le seigneur de
Cholières, connu pour avoir publié, entre autres, les
Neuf Matinées du seigneur de Cholières (1585), qui sera
interdit, puis les Après-Disnées du
seigneur de Cholières (1587), l’un et l’autre
réimprimés par Plein Chant en 1993, d’après
l’édition de la Librairie des Bibliophiles (Paris,
1879, Damase Jouaust Imprimeur), une édition
bouleversée par la disparition de celui qui
l’avait préparée, Édouard Tricotel, mort en 1877.
Le livre parut néanmoins, en deux tomes, le
premier intitulé Les Matinées, le second
Les Après-Dinées, tous deux sous le
titre général Œuvres du seigneur de
Cholières. Le
texte était complété par des notes, un index et un
glossaire dus à Damase Jouaust, et préfacé par
Paul Lacroix, qui avait donné en 1863 une édition
plus ou moins clandestine des Neuf
Matinées et de
La guerre des masles contre les femelles, suivie par les Meslanges
poétiques chez
Jules Gay (Bruxelles, Imprimerie de A. Mertens et
fils).
Faisons un saut dans le
temps : en 1913, Pierre Louÿs, rendu célèbre
par Aphrodite (Mercure de France,
1896), puis deux ans plus tard, La
Femme et le Pantin, mais bibliophile et
chercheur plus que romancier, fonda avec un ami
bibliothécaire à l’Arsenal, Louis Loviot
(1885-1918), une Revue des livres
anciens. Documents d'histoire littéraire, de
bibliographie & de bibliophilie (Paris, Fontemoing
& Cie), à laquelle
collaborait
un troisième bibliophile – et bibliographe –
Frédéric Lachèvre.
La
parution de ce trimestriel chaotique, sera fort
irrégulière, en partie à cause de la guerre, et
cessera après le premier numéro de janvier 1917,
mais la publication ne pouvait qu’intéresser,
placée sous le patronage de La Monnoye,
Mercier de Saint-Léger, Charles Nodier, le marquis
du Roure, Emmanuel Viollet-le-Duc, Anatole de
Montaiglon.
Le premier des fascicules
parus avait l’avantage, pour les lecteurs du
rabelaisien auteur des Neuf Matinées, des Après-Disnées, de La Guerre
des masles contre les femelles… avec des
Meslanges poétiques, de La Forêt
nuptiale, de
donner (pp. 37-49) un article de Louis Loviot sur
« Le mystérieux Seigneur de Cholières ».
Cet article, bien connu maintenant, exploité par
plusieurs historiens de la littérature,
donnait le nom de l’homme-mystère : Jean
Dagonneau, parfois écrit Dagoneau, ou D’Agonneau.
Paul Lacroix, dans sa
préface pour l’édition Tricotel-Damase Jouaust,
reprise par Plein Chant, avait préparé la route à
Louis Loviot. En 1759, le Moreri donnait pour nom
d’auteur : Nicolas Cholières, avocat au
Parlement de Grenoble. Paul Lacroix, de son côté,
avait remarqué un sonnet liminaire que l’auteur
des Matinées, le revendiquant pour
sien, avait signé « A. Diane ou Ange ».
Une anagramme, certes, mais qui pour lui restait
une énigme. Cette anagramme, Louis Loviot la
déchiffra. Il avait lu au troisième livre des
Touches
du Seigneur Tabourot (1585) un
sonnet écrit en hommage à l'auteur, Sur
les Touches et Contre-touches du Seigneur Tabourot, signé I.D.S. de
Cholières, ce qu’il traduisit par I.D. (les
initiales du nom et du prénom) Seigneur de
Cholières. L’initiale I renvoyait à Jean, restait
D. Or, il avait existé un poète du seizième
siècle, dont le nom, Dagonneau, permettait de
traduire l’anagramme.
Ce nom, Louis Loviot
disait l’avoir trouvé dans la table des noms du
premier volume d’une Bibliographie de Frédéric
Lachèvre, il s’agissait de la Bibliographie
des recueils collectifs de poésies publiés de 1597
à 1700 (Paris,
Henri Leclerc, 1901).
On apprendra dans la suite
de l’article que Jean Dagonneau était le dernier des
quatre fils d’un commerçant en vin de Mâcon, qu’il
avait commencé par appartenir à la religion
réformée, qu’il devint avocat de la cour à Paris,
qu’il s’était marié – mal marié, comme Socrate – en
1568. Ayant abjuré le protestantisme, il se fit
chartreux (1593), devint prieur de la Chartreuse de
Notre-Dame du Mont-Dieu, près de Sedan, puis après
1599, prieur d’Abbeville, et il mourut en 1623, retombé en
enfance, disait-on.
L’article de 1913 sera
complété par une courte notice parue dans le
troisième fascicule de 1916 (p. 313), toujours
écrite par Louis Loviot, qui avait découvert un
manuscrit de la bibliothèque de Reims intitulé La
Rose des nymphes illustres par Jean Dagoneau,
masconnois.
Or, dans les Après-Disnées, il avait noté que
d’une part l’auteur se dénommait lui-même
« Monsieur de ceans », que, d’autre part
on lisait dans l’Après-Disnée III, « De
la puissance maritale » (édition Librairie
des Bibliophiles, reprise par Plein Chant, t. II,
p. 117), où il était traité de la question de
savoir si un mari peut battre et châtier sa
femme : « Dans la Rose des
Nymphes illustres que vous nous avez
communiqué, Monsieur de ceans… » (édition
Librairie des Bibliophiles, reprise par Plein
Chant, t. II, p. 117). C.Q.F.D.
F I N
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