Éditions  PLEIN CHANT
Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse

Les Facécies de Poge, Florentin

Les Facécies de Poge, Florentin
Éditions Plein Chant, Bassac, 1994
Bibliothèque facétieuse, libertine & merveilleuse
Réimpression de l'édition de Léon Willem
Paris 1878.

NOTE. Les facéties, écrites en latin vers 1470, par un érudit, Poggio Bracciolini, furent adaptées en français, plutôt que traduites, par Guillaume Tardif, lecteur du roi Charles VIII, qui, de plus, ajouta des moralités de son cru.

   



CVIII.

De deux jouvencelles qui conseillèrent
à ung Prince de laver sa teste
en pissat de pucelle,


Et commence au latin :
Juvencule cum essent, etc.

Il fut aultrefois un Prince, lequel en sa force et jeunesse fut fort adonné au péché de luxure et délectoit surtout à defflorer filles, si que en viellesse mesme, que sa nature ne pouvoit plus rien faire, encores prenoit il félicité à tenir jeunes filles en son giron et les baiser, manier les tétins et leur faire plusieurs amoureux atouchemens. Il avoit en sa court plusieurs jeunes Damoyselles, à qui il passoit ainsi son temps sans faire aultre chose, car il n'eust peu, ce qui ne plaisoit pas aux joùvencelles, ains eussent mieulx aymé quelque gentil compagnon jeune qui leur eust faict aultre chose. Pource aulcunes les plus hardies délibérèrent de s'excuser et ne souffrir plus que le viel Prince les maniast. Si advint ung jour, ung jour que après disner, il vouloit faire comme il avoit acoustumé. « Adonc, » dist l'une, « Sire, nous est advis que c'est simplesse à ung vieil homme de plus vouloir approcher des jeunes filles. – Et pourquoy », dist le Prince ! « Ay-je la barbe grise; si ne tient que à cela, je la feray faire. – Nenny », dist la fille. – « Et quoy donc», dist le Prince ? « A ce que je ay la teste pelée par devant. – Sainct Jehan, voire », dist la fille. « Et vrayement », dist il, « belle dame, s'il me devoit couster mille escus, si la feray-je revenir qu'elle aura des cheveulx ». Alors envoya aux Médecins partout, mais n'en pouvoit trouver qui luy peussent faire. Par tant se railloyent les filles et disoient de luy en derrière : « Nous luy avons bien baillé à bouter. – Mais qui me croira», dist l'une, « nous le tromperons encores mieulx, et luy donnerons à entendre que, s'il veult laver sa teste deux ou trois foys de pissat de pucelle, les cheveulx y reviendront. – Certainement », dirent toutes les aultres, « c'est bien advisé ; soit faict. » Ainsi, la première foys que le Prince retourna jouer avecques elles, l'une luy dist : « Or çà, Monseigneur, vous avez beaucoup prins de peine pour trouver Médecin qui vous face revenir les cheveulx à la teste ; mais sachez que jamais ne reviendront si vous ne lavez vostre teste en pissat de pucelle. – Et comment », dist le Prince ? Vostre conseil n'est pas vray ; je le vous monstreray par expérience. » Lors il tira de sa brayette un grant chouart, et leur monstre en disant : Tenez quel compaignon velà, qui a la teste pelée ; il l'a lavée au pissat de plus de cent pucelles que je ay despucelées et est allé quérir leur pissat jusques à la propre source d'ont il vient, mais il ne eut jamais poil en teste, et pour tant vostre conseil ne est pas bon ad ce cas. » Ainsi furent les jeunes filles confondues et ne sceurent plus que dire.
En ceste Facécie est monstré que tous conseilz ne sont pas à croire, car il en est dont on voit par  expérience que le contraire est vray.

(Page 292.)



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