D'une servante qui trouva
grande difficulté entre couché et poussé
Pages 122 et 123. |
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Comme c'est mon ordinaire de loger au logis
où j'ay de coustume, je loge donc à un où il y avoit
une belle servante et bien apprise. Si tost que je
fus entré, l'on me fait monter à la chambre, l'on
m'apporte mon soupper suivant ma qualité. Après
avoir souppé j'appelle la servante, qu'elle
m'apporte des linceux, me tire mes bottes et
décrotte mes esperons, ce qui fut aussi tost fait.
En accommodant mon lict, je m'accoste de la
servante, m'approchant du lict qu'elle
faisoit : je la baise, elle ne dit mot ;
je recommence à la rebaiser en lui disant :
M'amie, voudriez-vous bien loger mon
Verboquet ? Elle, qui entendoit à demy mot, me
dit : Comment ! monsieur, pour qui me
prenez-vous ? Je suis fille de bien. Je
l'entends ainsi, lui dis-je ; car si vous
estiez autre, je ne voudrois de vous, quand vous me
donneriez cent pistoles ! Luy ayant tenu
plusieurs autres propos, je luy dis : M'amie, comme
l’on dit en Normandie, il ne faut point tant de
beurre à faire un carteron. Voilà ma bourse, prenez
ce que vous voudrez, et couchez-vous là. Elle met
sa main dedans ma bourse, disant : Monsieur, je
ne me coucheray point ; mais poussez-moy, je me
laisseray tomber. Quand je vis qu'il n'y avoit qu'à
pousser, je n'y manque point, et aussitost se laisse
tomber. Je mets donc mon Verboquet à son repos,
comme l'on fait le roüet de pistolet, quand il a
tiré son coup. Quand elle fut levée, je lui
demande : Dites-moy, mamie, quelle difficulté
trouvez-vous entre coucher et pousser ? Elle me
dit : Monsieur, ceux qui se couchent, il y va
de leur volonté ; partant le peché en est plus
grand qu'à ceux que l'on pousse, car c'est comme une
chose forcée. Je luy dis : Adieu, mamie ;
quand je reviendray je vous repousseray. A vostre
commandement, me dit-elle. Ce fut bien la pitié.
Quand je fus sorty du logis, je regarde à ma bourse,
je trouve qu'elle avoit esté bien poussée, car il
n'y avoit que deux quarts d'escu ; qui fut
cause qu'il fallut mieux pousser mon cheval que je
n'avois fait la servante.
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