Éditions PLEIN CHANT

 

Un séjour à la

BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX

de 1908 à 1922

suivi de

Le ménage à trois
de LIVRE, ÉRUDITION et AMOUR


par

Paule Adamy

 



La conclusion du livre


La question de savoir dans quelles proportions se mélangent le libertinage de l'esprit et celui des mœurs se pose à l’historien des lettres dès lors qu'il raisonne en historien des mentalités, et se soumet donc à la temporalité, découpant la durée en périodes précises, se succédant, l'une abolissant la précédente. Or, juxtaposer des livres en prose, publiés au début du XXe siècle sous forme de livres traditionnels – les livres de la Bibliothèque des Curieux – et des pièces en vers du début du XVIIe siècle, appartenant à des recueils le plus souvent confectionnés de bric et de broc par des libraires – les recueils satyriques – demande une autre attitude, celle d'un jongleur, et qui ne jongle pas toujours avec les mêmes objets. Il faut jongler avec les genres littéraires, car, dirait Monsieur de La Palice, la prose n'est pas la poésie. Un lecteur choqué de lire des mots crus dans des pièces en vers, ne sera pas choqué de les rencontrer dans des textes en prose. Est-ce à dire qu'un prosateur peut tout se permette ? Non, si l'on en juge par la collection « Les Maîtres de l'Amour ». L'obscénité a ses degrés ainsi que la vertu. À partir de quand devient-elle insupportable ? Mais arrive une question perverse : n'est-ce pas, précisément, ce caractère insupportable, que cherche le lecteur, en plus de la commune jouissance physique, qu'elle soit excitation momentanée ou accumulation d'images inscrites dans la mémoire ? Un texte en prose raconte une histoire, et les mots crus prennent leur place tout naturellement dans ce temps linéaire, une fois oubliées les interdictions sociales issues d'un désir de politesse permettant une vie en commun sans heurts. La poésie se place, au contraire, d'emblée hors du temps de la narration, dans la mesure où le poète joue avec les mots, disposés en vertu d'une certaine harmonie, chacun d'eux choisi de manière à paraître nécessaire, toute idée de narration temporelle abolie. L'obscénité, si elle consiste à désigner les mots de la sexualité, donne à choisir : ou employer les mots crus tels qu'ils existent dans une langue non châtiée ou, au contraire, leur ajouter des métaphores, non pour les euphémiser mais pour simplement les développer, accroître leur durée d'existence et donner au lecteur l'occasion de jouir d'eux plus longtemps et mieux. Jongler ainsi avec la prose et la poésie implique de jongler avec les époques temporelles, de lire des poésies satyriques écrites au XVIIe siècle comme si elles étaient contemporaines, au risque de commettre des contre-sens au regard de la stricte histoire littéraire. On ne verra plus la crudité des mots sous l'aspect d'une naïveté issue d'une littérature médiévale, ou d'épanchements de rimeurs de cabarets, mais comme un passeport pour entrer dans un univers imaginaire, source d'une réelle jouissance.

En prime, l'épigramme que vous ne lirez pas dans Un séjour…, prise dans Le Cabinet satyrique, édition de Fernand Fleuret et Louis Perceau, Paris, Librairie du bon vieux temps, 1924, t. II, p.
380 :





Accueil | Un séjour à la Bibliothèque des Curieux… chez Plein Chant