PLEIN CHANT

L'Atelier furtif






RONRONNEMENT

D'ÉGOÏSTE COMPLAINTE


Rien désormais, plus rien jamais
Ne touchera mon cœur
Et ma main maintenant cernée de cicatrices
Ne saura plus s'ouvrir ou se fermer
Pour l'aumône de peu ni pour l'outil d'usage,
Indifférente à toute joie, à tout malheur.

Je vivrai seul bien enclos, volontairement reclus
Enfermé entre murs rénovés
Ceints de grilles de fer, hermétiques,
Portes munies d'espars de fer.
Je serai celui auprès de qui
Ne vient personne en visite,

Celui qui ne reçoit ni ne donne
Ni bien ni malfortune, ni souris ni grimace.
On oubliera jusqu'à mes traces
Laissées un temps sur les étroits chemins
Où s'affairaient mes impatiences
Vers l'insecte ou le bourgeon.

J'ai perdu jusqu'au souvenir d'enfance
De la main tendue pour l'entraide donnée
Si facile à des adultes en souffrance.
Je n'ouvrirai plus guère que pour le temps
Très court nécessaire au passage
Des mercenaires de la table et de l'âtre.

Je sais qu'il pousse ailleurs
Des gens que l'on dit de ma race ;
Ils viendront un jour pour prolonger ma trace
Et pour un temps vivront ici
Comme je finis ma vie, sans hargne,
Sans regret, sans audace et sans espérance.






Fernand TOURRET, Trajets de Terre,
L'œuvre poétique présentée par Yves Lévy et Gilbert Tourret.
 page 156.
Collection l'Atelier furtif, 2019.
 « Je le vois chercher à retrouver le geste éternel de l’ouvrier exactement comme il procède dans la recherche du mot. Cet emploi parallèle du mot technique et du mot ordinaire ou savant les replace dans notre vocabulaire. L’usage qu’il en fait le met hors de la littérature intellectualisante, sans pour autant le rattacher à la littérature prolétarienne. »
(Gilbert Tourret, page 172)




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