Éditions  PLEIN CHANT
Collection Gens singuliers

Théophile Gautier : Les Grotesques

Théophile Gautier
Les Grotesques
(1993, réimprimé d'après la seconde édition,
Michel Lévy, 1853).
Réimprimé en 2012, augmenté d'une postface par Paule Adamy,
Jongleries, damasquineries, et puis après ?, pp. 387-414.


Quelques phrases percutantes relevées dans Les Grotesques

M. Théophile Gautier a un sentiment très vif
d’une certaine espèce de poésie  pittoresque et matérielle (…)
Il a de la plume, un vocabulaire
très raffiné et très recherché,
qui ressemble à une palette apprêtée
 curieusement et chargée d’une infinité de couleurs.

(Sainte-Beuve, critique des Grotesques,
Desessart, 1844,
Revue de Paris, 31 octobre 1844, p. 308.)


De l'art de la formule, chez Théophile Gautier, nul ne peut douter, surtout s'il vient de lire la préface de Mademoiselle de Maupin. Vers 1820-1840 jaillissaient en abondance des romans frénétiques, nommés par Théophile Gautier, dans cette préface, des romans-charogne, un
« genre de roman très agréable et dont les petites-maîtresses nerveuses et les cuisinières blasées faisaient une très grande consommation. Les feuilletonistes sont bien vite arrivés à l'odeur comme des corbeaux à la curée (…) Mais quoi qu'ils disent ou qu'ils fissent, le siècle était à la charogne, et le charnier lui plaisait mieux que le boudoir ; le lecteur ne se prenait qu'à un hameçon amorcé d'un petit cadavre déjà bleuissant. »
Deux ou trois formules par ligne. Dans Les Grotesques, Gautier a modelé, écrit-il, une dizaine de médaillons littéraires, choisissant « au hasard de la lecture, quelques types qui nous ont paru amusants ou singuliers » (on reconnaît là le nom de la collection de Plein Chant). Sans répéter ici les jugements et les commentaires de Gautier, on donne quelques formules, une par chapitre, destinées à s'incruster dans la mémoire du lecteur.



 

« jamais les arbres verts n’ont essayé d’être bleus. »
(Préface, p. II.)

« Dans les poètes du second ordre vous retrouverez tout ce que les aristocrates de l’art ont dédaigné de mettre en œuvre : le grotesque, le fantasque, le trivial, l’ignoble, la saillie hasardeuse, le mot forgé, le proverbe populaire, la métaphore hydropique (…) »
(« François Villon », p. 16.)

Scalion de Virbluneau - « Moi, hyène littéraire, qui m’en vais déterrant des cadavres de poëtes, je l’ai flairé et deviné à l’odeur putride qu’il exhalait sous une triple couche de bouquins insignifiants (…) il était réellement enfoui entre un Tableau de l’Amour conjugal, du docteur Venette, et une Malvina, de madame Cottin, qu’à peine lui voyait-on le bout du nez. »
(« Scalion de Virbluneau », p. 54.)

Théophile de Viau « aimait la bonne chère, il en convient lui-même ; mais ce n’est pas une raison pour bannir un homme du royaume, et encore moins pour le brûler vif. » 
(« Théophile de Viau », p. 86.)

Pierre de Saint-Louis « ne pouvait que très-peu travailler à son poëme, ce qui le contrariait fort. Il mit cinq ans à l’achever et parachever, et ce ne fut pas sans peine qu’il le guinda à cette hauteur de ridicule souverain et inaccessible où nous le voyons. »
(« Pierre de Saint-Louis », p. 142.)

On affecte, écrit Gautier, de regarder la musique comme la poésie même. Or « La musique fait de l’effet sur les animaux ; il y  a des chiens de chasse dilettanti qui ont des spasmes en entendant toucher de l’orgue expressif, et des caniches qui suivent les chanteurs ambulants en hurlant de la manière la plus harmonieuse et la plus intelligente. Lisez-leur les plus magnifiques vers du monde, ils y seront peu sensibles. »
(« Saint-Amant », p. 163.)

« Cyrano s’étant trouvé au siège de Mousson y reçut un coup de mousquet au travers du corps, et plus tard, au siège d’Arras, en 1640, un coup d’épée en la gorge ; il avait alors vingt ans ; c’est commencer de bonne heure et bien des braves militaires servent toute leur vie sans avoir cette bonne fortune d’être aussi honorablement blessé. »
(« Cyrano de Bergerac », p. 199.)

Guillaume Colletet (et derrière le poète du XVIIe siècle : Théophile Gautier !) - « (…) ce glorieux métier de poëte qu’il fit par la suite à la satisfaction de ses nombreux amis et même d’une certaine portion du public. »
(« Guillaume Colletet », p. 212.)

« C’est un fait généralement reconnu, que les parents, quels qu’ils soient, bourgeois ou nobles, de robe ou d’épée, sont tous atteints à un degré très-prononcé d’une maladie étrange que l’on pourrait nommer la poésophobie, ou horreur enragée des vers. »
(« Chapelain », p. 241.)

À propos de La Comédie des comédiens de Scudéry - « C’est une idée qui vous vient difficilement qu’un croquemort soit enterré ou qu’un bourreau soit pendu, et pour la même raison il paraît étrange qu’un comédien se joue lui-même, lui qui a l’habitude de jouer les  autres. »
(« Georges de Scudéry », p. 312.)

Scarron - « s’il souffrait de toutes les tortures de Job, il n’en fut du moins jamais réduit à s’asseoir sur un fumier et à racler ses plaies avec un tesson. Son fumier était un très bon fauteuil parfaitement rembourré (…) »
(« Paul Scarron », p. 366.)




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