PLEIN CHANT
Imprimeur-éditeur de la petite librairie du XIXe siècle


La Goguette & les Goguettiers

par
Eugène Imbert


Accompagnée  de textes par Nicolas Brazier, Nerval, Louis-Agathe Berthaud, etc.

Collection "Gens singuliers"

Bassac, Plein Chant

2013

2 volumes
Prix : 39 €
ISBN 978-2-85452-280-8



PRÉAMBULE


Ce livre n'est pas un ouvrage d'historien ; c'est un recueil de documents sur quelques aspects de l'histoire de la chanson et des chansonniers en France entre 1730 et 1880. Dans l'esprit de cette collection, qui est de redonner la parole à des oubliés et dédaignés, des excentriques, des marginaux, principalement dans le domaine de l'histoire littéraire, il s'agit aujourd'hui de laisser raconter les différents passages de l'expression chansonnière, à travers la période donnée, par ceux qui les ont vécus. Ces passages s'effectuant entre différents groupes sociaux, l'intérêt de ce rassemblement est tout autant sociologique que littéraire et c'est tout à la fois à une étude de mœurs par les textes et à une galerie de figures disparues et de portraits souvent pittoresques que lectrices et lecteurs vont être conviés.

Dans les années trente du XVIIIe siècle se forme une société chantante, le Caveau, qui aura un bel avenir puisqu'elle durera, selon différentes formules, plus de deux siècles. […]
Parallèlement, sous la Restauration, des réunions chantantes populaires se forment dans des arrière-salles de cabarets ou dans des guinguettes qui prennent aussi le nom de goguettes. Celles-ci ne sont pas structurées comme leurs devancières, mais elles doivent bientôt se conformer à des règlements de police qui les soumettent à déclaration et limitent le nombre de leurs participants. Composées principalement d'ouvriers, elles apparaissent aux autorités comme des foyers de désordre et de propagande bonapartiste ou républicaine, et les chansons qui s'y entonnent sont perçues comme des chants séditieux. Elles sont alors profondément infiltrées par les agents de l'ordre et la chanson n'est pas libre de s'y exprimer pleinement. Comme dans les réunions bourgeoises la thématique s'y oriente vers le couplet bachique, la gaudriole ou la paisible romance, du moins en façade, car ici et là résonnent parfois des chants plus énergiques et la Révolution de 1830 verra éclore toute une cohorte de chansonniers nouveaux qui braveront les interdits et produiront, entre autres, des chants démocratiques ou patriotiques (à la gloire de la grande Révolution), mouvement dont la Révolution de 1848 verra l'apogée — et le Second Empire le déclin, par l'organisation de la répression dans tous les domaines qui lui sont hostiles, la chanson n'y échappant pas. […]
À l'origine les réunions se passaient entre chansonniers partageant leurs créations et le plaisir de chanter. Au fil du temps, surtout dans les goguettes populaires de la monarchie de Juillet, apparaîtront : le public, les instruments d'accompagnement (piano, guitare) et l'interprétation par des artistes quasiment professionnels d'œuvres plus anciennes ou devenues classiques, dont les auteurs ont parfois disparu ou ont acquis une popularité telle que leurs compositions pourront ainsi s'envoler de goguette en goguette, voire de rue en rue par des chanteurs s'accompagnant à la guitare, au violon, à l'orgue de Barbarie, et colportant par la même occasion de modestes cahiers de chansons et complaintes à destination de leur public. L’apparition des interprètes compromettra la vieille goguette et ses pratiques musicales, provoquant l'ouverture et le développement des cafés chantants, puis des cafés-concerts, préfigurations de nos music-halls et de l'institution du show-biz avec ses vedettes obsédées de spectaculaire, ses trusts et ses coulisses. Les survivants purs et durs de la goguette, conscients de la dépossession qui en résultait n'apprécieront pas ces évolutions dans lesquelles ils verront venir, sinon la mort de la chanson, du moins l'effacement de la conception artisanale qu'ils en avaient et la montée du mépris envers le public par l'étalage d'une vulgarité industrielle flattant le goût général de celui-ci pour le laisser-aller et la flagornerie. […]
Ce mouvement des goguettes ouvrières et des chanteurs des rues a été la branche poétique et chantante de la bohème artistique et littéraire du XIXe siècle, tout comme ceux du Caveau et des cafés-concerts ont été, quoique différemment, au cœur de la société des plaisirs et du spectacle. Leurs protagonistes sont aujourd'hui en majorité totalement oubliés. […]
Plein Chant