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J'y croyais sans y croire. On ne
l'avait jamais vu. Sur nos
têtes, là-haut, chaque jour, paraît-il, il
déambulait tranquille sur son fil
tendu. Entre ciel et silence. Caressant de son
souffle sportif le ventre des
nuages.
Des vacances entières je fouillais
dans le bleu, dans le
gris, à sa recherche. En vain. On le disait
funambule, équilibriste, mais
aucune lunette, aucun télescope de mes amis ne
pouvait se vanter de l'avoir
piégé ne serait-ce qu'une fois, rien qu'une
fois, dans les blandices de sa
loupe. Caméléon aérien, il savait ne nous
montrer qu'un cul d'étoile ou un
grand pied de nez de soleil. Etait-il homme,
femme ou oiseau ? Qu'est-ce
qu'on en savait ?
Plus l'on draguait le ciel, plus
nos yeux se gelaient.
De regard las, il m'arriva de
baisser le nez et tout ce qui
l'accompagne. C'était le coup de pouce de la
chance qui m'avait fait flancher,
car l'incroyable voulut que je bute dans la
perche elle-même de mon idole. Le
grand guidon des airs, usé seulement aux deux
endroits de la pression des
paumes, m'appartenait. Incroyable. Et mes mains
à moi épousaient parfaitement
les empreintes de l'équilibriste déchu. Car il
était tombé, n'est-ce pas ?
Il ne pouvait qu'être tombé, quelque part en
campagne, son corps là-bas, et sa
perche dans ma vie.
C'est horrible à dire, j'étais
joyeux que les nues se soient
dérobées sous ses pieds. Et puis c'est vrai, les
dieux sont faits pour choir,
sinon à quoi bon un ciel réversible ?
Ma trouvaille, la relique, je l'ai
gardée pour moi tout
seul. Et depuis, avec, en secret, je m'entraîne
au grand art funambulistique.
J'avance, pas à pas, dans mes jours, sans
précipitation, et sans aller bien
loin, il est vrai. Pour tout dire, je tourne en
rond dans mon séjour. Aucune
porte n'est assez large pour s'offrir à ma
nouvelle envergure. Je me cogne et
me recogne. Les murs s'amusent à me baiser. Je
brise des lumières. J'éventre
les images. J'épouvante le décor. Et c'est tant
pis, et c'est tant mieux. Je
suis trop loin de me sentir prêt à marcher sur
des traces sans fond.
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