Éditions  PLEIN CHANT

Henry MEYER
Objets de mots, tremblez.



Frontispice, par Henry Meyer

Sur la banderole on lit :  COMMENT J'AI LIVRÉ CERTAINS DE MES ECRITS.
Derrière elle, à droite, un satyre en érection.

 


Dans ce frontispice qui viole les conventions dans la mesure où des traits du dessin débordent sur les marges de la page, on reconnaît une adaptation du Père Ubu. On croit aussi deviner le visage réel de l'auteur-dessinateur, imaginairement orné de deux fontaines sortant du front, donc du cerveau, symbolisant l'esprit en activité, et irriguant un livre écrit. Le Père Ubu était caractérisé par la gidouille ; ici, l'auteur l'est par ce livre imaginaire et réel à la fois qui unit deux formes du livre, celle, première dans le temps, du volume – littéralement, objet qui se déroule – et celle du livre avec feuilles (ou pages)  qui suivit.

Le texte, dont un extrait (p. 31) est donné ci-dessous, peut être saisi comme une application de la logique toute personnelle d'Alfred Jarry, pour qui un ensemble de représentations spatiales, verticales et horizontales, était seul capable de donner une image de l'esprit en acte. Si l'on pense à
Paul Valéry, on dira que l'esprit est ici décrit dans une seule de ses activités, l'écriture, forme suprême du langage. Unissant le Père Ubu, beaucoup, et Monsieur Teste, un peu (le livre s'ouvre sur un calligramme découpé dans une page imprimée de Monsieur Teste), Henry Meyer trace, littéralement, un chemin typographique et temporel à la fois. Lisant le livre du début à la fin, on tentera de séparer deux objets du texte en train de s'élaborer, un discours sur l'écriture, non pas abstrait mais explorant diverses représentations spatiales ou métaphoriques de l'esprit se voyant en train d'écrire, et un terreau indicible, celui des sentiments de l'esprit.

« Il écrivait peu, détestant la ligne dure et raide qu’il devait pousser devant lui et qui se brisait à  la marge, pour continuer ensuite, pareille, et se briser en fin de conte à l’histoire, sa dernière marge, et se diluer en elle, perdant jusqu’à sa rigidité têtue pour n’être plus que sa propre trace. (« Écrire, se répétait-il, comme les escargots : abandonner au soleil qu’on fuyait une trace scintillante de bave »). Lorsqu’il ne poussait pas la ligne, et c’était le plus fréquent, il devait la tirer en lançant des coups d’œil rapides par-dessus son épaule pour ne pas la perdre et voir ce qu’elle accrochait. Ainsi il ne voyait plus que le passé, fait ou en train de se faire, le chemin parcouru et déjà connu. La phrase renâcleuse et têtue ne consentait à avancer, et par à-coups encore, que lorsqu’il l’avait bien usée, bien émondée du sens, des sonorités et des rhythmes. À la fin, ce n’était plus qu’un os qu’il jetait dans l’ossuaire multiple de l’Écrit, où elle trouvait enfin son sommeil rigide. »
Le calligramme cité plus haut :


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