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Marcelle Delpastre


    Le rosier pourpre et autres nouvelles  

   

Marcelle Delpastre, née à Germont de Chamberet (Limousin) en 1925, mourut dans la ferme familiale qu'elle avait reprise en 1998, seule habitante de son hameau. Poète et prosateur, écrivant en occitan et en français, auteur de Mémoires publiés en 2004, elle a laissé de nombreux ouvrages, en particulier aux Edicions dau chamin de Sent Jaume.




Un passage onirique sinon fantastique, extrait de la nouvelle Azraël, p. 197.



  
   


Dans les jours qui suivirent je m'amusai à l'installer chez moi, il eut une chambre à côté de la mienne, je lui montrai le jardin. Je le fis asseoir près de moi sur les bancs que j'aime. Ce furent des heures très douces. Les pesants feuillages de mai bruissaient à leurs branches, une odeur délicate s'en échappait, exaltante, un peu amère. Nous restions longtemps sans rien faire et sans rien dire. Plus rien ne dérangeait la merveilleuse respiration des prés et des forêts. Quelquefois je regardais autour de moi, comme on se retourne dans le sommeil. Je croyais avoir rêvé qu'ils étaient tous partis. Mais ils se tenaient seulement à distance. J'en voyais plusieurs qui passaient près du ruisseau, à contre-jour derrière la haie. D'autres s'accrochaient du bras à l'aubépine. Quand ils s'aperçurent que je les observais, ils s'enfuirent et les plus proches me jetèrent des pierres à la hâte, sans s'arrêter. Je haussai les épaules. M'étant un peu penché de côté, je m'appuyais de la tête et du bras au tronc lisse d'un hêtre énorme dont les branches retombaient loin devant nous avec leur balancement paisible. Le soir venait ; je tournai lentement mes yeux vers Azraël. Il était assis les bras sur les genoux, les mains à moitié ouvertes, dans une pose abandonnée, avec ce charme délicat que la paresse ajoute au repos. Son visage luisait à la dernière lumière du jour comme luit vaguement un étang au loin, de l'eau calme. Je lui touchai le coude et nous rentrâmes lentement en nous arrêtant de temps en temps sous un arbre où l'air restait tiède et chaque fois parfumé d'une essence particulière, merisier mûrissant ses colliers de cerises, bouleau dont l'écorce fait songer comme la fleur aux dernières neiges, avec l'odeur sauvage de mars, pelage de louve en chaleur, lièvre débusqué…

Ainsi passèrent des jours. Au début, je pensais qu'Azraël ne resterait pas longtemps. Je n'aurais pas été surpris de trouver un matin la fenêtre ouverte et la chambre vide. En vérité je n'y aurais pas attaché beaucoup d'importance, bien que rien ne me fût agréable comme le silence retrouvé, depuis que j'avais capturé Azraël. Car j'aime par-dessus tout le silence.

Non pas cependant le silence du tombeau.

Je me rappelle la tranquillité de ces nuits que la voix des oiseaux animait légèrement, j'écoutais les feuillages, la pluie, les souffles de l'air l'un sur l'autre ; il venait des parfums d'humus plus subtils que l'arôme des fleurs, se mêlant à l'odeur des feuilles et des fleurs. J'aurais voulu sortir, dormir dehors, marcher lentement au milieu des arbres. Mais je savais qu'ils rôdaient autour de la maison.

J'allai à la fenêtre, j'écartai le rideau, la lumière éteinte.

J'en voyais deux dans l'allée, couchés sur le côté droit, la tête entre les genoux. II y en avait un dans le pêcher, si léger que les minces branches pliaient à peine sous son poids. II se retenait de la main à la plus haute, et dans la clarté douteuse de la lune à son lever, je remarquai qu'il tournait lentement la tête à droite, puis à gauche ; ce geste répété le faisait ressembler plus encore à un grand singe chauve. Chaque fois, un reflet luisait vaguement à son cou, une ombre d'eau. Des branches remuèrent dans le tilleul, malgré l'épaisseur des ramures je discernai plusieurs ombres qui se bousculèrent, glissèrent, reprirent une place. II y en avait partout dans le jardin et dans le parc ; à un mouvement qui se fit, je compris qu'un véritable troupeau se parquait sur la pente du ruisseau - les femelles sans doute, avec leurs portées. Chaque arbre était chargé jusque dans les bourgeons.

Au matin ils avaient disparu, longtemps avant la rosée. Ni le sable ne gardait la trace de leurs pas, ni l'air n'avait retenu leur odeur, qui est comparable à celle des fleurs d'acacia et des asphodèles sauvages, un peu saumâtre, et lorsqu'ils sont en nombre, écœurante comme celle des hommes.


      



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