Victor Serge
Pour un brasier dans un désert
Bassac, Plein Chant, 1998
Collection Type-Type
(Pages 106 et 107) |
À la mémoire de Marcel
Martinet.
À l'ombre des nopals cruels l'œil de la mule luisait doucement Pareil au silence de l'amant La selle était cloutée d'argent. L'homme ressemblait à l'aigle noir Et pourtant il avait un sourire chantant Il était beau comme les anges sans peur et peut-être sans joie Sans autre joie que le battement du sang dans les veines tendues Il dit Fiancée je t'attends. Ô douce vie ô doux effroi pastèque mûre fraîche lèvres mordues Vibration calme de la terre Les nuits inquiètes se sont perdues sous mille étoiles inconnues Quand l'enfant brune s'est dévêtue. Les pierres brisent les reins les mains les mains du ciel meurtrissent les seins La nuit pleine de présages changeants grésillait comme d'un embrasement Ô fraîcheur minérale Mouvements que l'on devine des serpents La sève même des lianes unit les membres Cette chaleur convulsante vient des entrailles de la terre. Ô violence délectable Nul meurtre n'est meilleur Seigneur ! Ô soumission déchirement La mort n'est pas meilleure Seigneur ! Lune magique Lune mère éclaire-les de ton plein chant ! Ils gravirent la cime de vieilles laves chair à chair sur la même selle Le pas de la mule balançait le monde les étoiles leur sang leur silence Sombrement apaisé Le harnachement orné d'argent tintait liquide murmure stellaire Il y avait des odeurs de résine dans l'air L'escorte des hauts cactus-chandeliers noirs et lactés Les cernait d'immobilité La même foudre les foudroya à l'endroit où l'on voit une croix (Ou bien ce fut le plomb des gens de la paroisse de San-Juan - à cause du partage des eaux d'un ruisseau) |