[…] le vendredi, je ne m'attarde pas, et
rentre vivement, avide de connaître la suite du
« Masque de fer ».
C'est un
roman historique. Il paraît deux livraisons à un sou
par semaine. De grandes affiches coloriées
l'annoncent dans les rues. On y voit, au milieu
d'une chambre en désordre, un seigneur en pourpoint
rouge en terrasser un autre en pourpoint bleu et
s'apprêter à l'embrocher sous les yeux épouvantés
d'une femme à demi dressée dans son li ; et en
haut, dans un médaillon, un homme accoudé à
l'embrasure d'un créneau, la tête enfermée dans une
sorte de casque de scaphandrier.
Le Masque
de Fer !
Ce roman me
transporte d'enthousiasme. […]
Tout y
est !… coups d'estoc et de taille et rapts
nocturnes, guets-apens et poisons, oubliettes et
souterrains, évasions et chevauchées folles,
pourpoints et panaches, vengeances, héroïsmes,
amours !…
Mais il y a
surtout deux aventuriers impayables qui font mes
délices : Faribole, un ancien maître d'armes,
qui dit toujours « Troun de
l'air ! », et Mistouflet, un ancien moine,
qui dit toujours « Doux Jésus ! ».
Faribole est maigre comme un coucou et Mistouflet
gras comme un… moine. À cause de cela il met dans
des rages comiques le bouillant méridional qui est
toujours à le traiter de goinfre et de fainéant.
Ma
jubilation en est profonde.
[…]
Je ne puis
garder pour moi les prouesses de Faribole et de
Mistouflet, et les narre à mes camarades.
C'est
toujours dans l'angle favorable de la rue Clisson et
du passage de la Belle-Moissonneuse que je fais mes
récits.
Ma
réputation de conteur s'est étendue et,
indépendamment de mes intimes, Muller, Brocard,
Gillequin, Ricaille, je suis entouré de presque tous
les gamins des environs.
Il est vrai
que, si le « Masque de Fer » est en soi
une œuvre passionnante, je sais encore la faire
valoir par une interprétation incomparable, car rien
n'égale pour en tracer les épisodes, la verve de mon
débit, si ce n'est la science de ma mimique.
Le feu
sacré m'anime ; je tiens mes multiples rôles
avec une égale maîtrise et apporte à les jouer aussi
bien la fougue et l'audace d'un Frédérick Lemaître
que l'entrain endiablé d'un Mélingue !
Aux
endroits qui ne me paraissent pas à mon gré
suffisants d'intérêt, j'amplifie ; je brode et
exagère les autres pour corser l'effet.