La forêt de sapins me prend
dans ses bras, je m'y sens en sécurité et
j'entends de la musique quelque part. Elle a
quelque chose d'étrange, cette musique. Elle vient
souvent à ma rencontre quand je suis seul dans la
forêt. Elle m'apaise presque toujours, bien
qu'elle ne vienne jamais absolument jusqu'à moi et
qu'elle soit indéfinissable. Même si j'étais
compositeur, je ne pourrais jamais la rendre. Elle
n'inspire pas, elle apaise simplement et c'est
bien ainsi. On n'a pas non plus besoin de
l'écouter comme les autres musiques, elle vous
remplit quand même d'un calme très profond. Ses
accords pénètrent joliment et paisiblement dans ma
conscience et l'esquisse d'une modulation sur le
mode majeur me remplit d'une joie dénuée de toute
angoisse, d'une exaltation bien différente de
celle que je ressens dans d'autres circonstances.
Il n'y a pas une seule discordance dans tout ce
concert.
Jadis, je croyais que c'était l'atmosphère
de la forêt elle-même qui venait à ma rencontre
sous la forme de cette musique; que tous les
bruits, la montée de la sève, le parfum de la
forêt, que nous autres, les êtres humains, ne
sommes peut-être pas capables de percevoir comme
il faut, que tout cela se fondait en une harmonie
lointaine et vaporeuse dont le caractère limité de
nos facultés nous permet seulement de nous faire
une idée.
Maintenant, je crois que je sais un peu
mieux ce qu'il en est. Pour moi, en tout cas.
C’est le silence lui-même qui se fait musique. Le
calme s’insinue à l’intérieur d’une personne
habituée aux hurlements. C’est certainement pour
cette raison qu’on ne peut pas parvenir à la
sérénité en prêtant l’oreille. Le silence est
quelque chose qui existe. On ne peut pas le créer
à force d’écouter.