Louis Hobey (1892-1960),
enfant de l'Assistance publique, placé chez des
paysans pauvres du Pays de Caux, connaît des débuts
difficiles. Il devient instituteur grâce à un bon
maître d'école qui l'aide à poursuivre ses études.
Il a déjà enseigné deux années et s'est marié au
cours de l'été 1913, lorsqu'il est appelé au service
militaire en octobre de la même année – service
prolongé jusqu'au début de 1919 par la Grande
boucherie. Pacifiste, il n'y part pas la fleur au
fusil ; il en revient épuisé, ayant échappé à
la mort et aux blessures. De faible constitution, il
a d'abord été affecté aux bureaux de l'auxiliaire
puis, « récupéré », il se retrouve au
front en mai 1915 comme fantassin, connaît dès lors
par lui-même toutes les horreurs de la guerre. Près
de vingt ans plus tard, à la veille de la Seconde
guerre mondiale, qu'il voyait sans aucun doute
venir, il publiera les souvenirs de toutes ces
années inutilement gâchées par la folie dominatrice
de quelques grands industriels, de quelques
politiciens pervers, de diplomates aux ordres, le
tout soutenu par des états-majors insensés,
ordonnateurs aveugles de massacres comme on n'en
avait jamais vus. Son livre n'est pas un roman, bien
qu'il s'y soit dépeint à la troisième personne sous
un nom d'emprunt : toutes les pages y retracent
fidèlement son parcours à travers les cinq années du
conflit. Parmi les combattants tués qu'il cite,
plusieurs figurent sous leur vrai nom, tous semblent
bien réels. Quelques noms d'officiers ont été
modifiés mais sont reconnaissables grâce aux
archives. De même les lieux et les événements sont
identifiables grâce aux historiques des régiments et
aux Journaux de marche des corps de troupe. Le récit de Louis
Hobey est donc celui d'un vrai témoin de la guerre
en même temps que l'autobiographie de ses plus
noires années.
Son parcours militaire est
consigné sur sa fiche matricule : il fut
affecté aux 113e et 131e
régiments d'infanterie, connut, après entraînement,
les tranchées de l'Argonne et de la Somme, de
l'Aisne, Juvincourt, Craonne, etc., fut nommé
caporal en octobre 1916, sergent en avril 1918,
grade dont il fut cassé fin 1933, suite à un article
qu'il aurait publié contre la guerre. La fiche donne
encore ses quatre citations, mais elle est muette
sur son orientation politique, laquelle n'échappera
pas à certains de ses supérieurs, et il en souffrira
diversement. Cette fiche indique enfin qu'il est
fait prisonnier lors de la retraite désastreuse de
juillet 1918 pour ne rentrer en France qu'à la
mi-janvier 1919. Il aura alors près de 27 ans. Il
sera passé par divers camps de prisonniers. Le sort
de ceux-ci et leurs conditions de vie dans les camps
ont été généralement peu évoqués dans les livres de
guerre, c'est l'un des aspects originaux de son
témoignage d'y avoir prêté attention ; de même
qu'à la détresse des grands blessés, des
« gueules cassées », à qui il consacre des
pages bouleversantes à travers l'évocation du destin
brisé de son meilleur ami qui fut aussi son
compagnon de misère dans les tranchées.
En janvier 1919, Louis
Hobey retrouve le foyer familial et un poste
d'instituteur à Petit-Quevilly (banlieue de Rouen).
En 1932, il deviendra directeur de l'école à deux
classes de Bezancourt, près de Gournay. Entouré
d'autres militants, il applique dans son
enseignement les méthodes pédagogiques de Célestin
Freinet. Il est parallèlement trésorier du Syndicat
des Membres de l'Enseignement Laïc de
Seine-Inférieure et c'est dans la lutte syndicale,
la propagande pacifiste et antifasciste que se
dérouleront pour lui les années de
l'entre-deux-guerres. Libre-penseur, il organise
notamment des conférences avec André Lorulot,
Félicien Challaye, Maurice Dommanget, Robert Jospin,
etc. Mobilisé un court temps en 1939-1940, il se
retirera ensuite dans le midi où il vivra ses
dernières années entre le Gard et la Drôme ;
toujours actif il publiera plusieurs brochures de
tendance anarcho-syndicaliste. En 1975, dans un
mémoire sur le syndicalisme en Seine-Inférieure qui
donne une belle place à Hobey, Annie Delaunay
écrira : « Libertaire, il demeura toute sa
vie fidèle à ses conceptions syndicalistes
révolutionnaires ».
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