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Ils étaient sortis en se
traînant sur la terre. Ils avaient gagné le boyau
étroit, usé aux coudes par le passage des corps
familiers. Maintenant, le corps était là, marqué de
la terre grise qu'avaient laissée sur lui les talons
impitoyables. Un juron bas éclata dans la fureur de
toutes les bouches. Saloperie ! Le corps
pourrissait sur la terre depuis un mois au moins, et
le fond du boyau était, à ce moment, une tombe qui
en valait bien une autre. Emporter cela ?
Pouah ! La décomposition, avancée déjà,
travaillait à plein cette masse de chair qui
commençait à fondre. Le visage et les mains
montraient comme un défi leurs couleurs perverses,
allant du gris au bleu, puis au vert, en passant
par les jaunes sales. Ce n'était pas un cadavre,
mais une pourriture immonde dont l'odeur seule
aurait fait fuir. L'horreur étreignit les cinq
pauvres bougres venus pour emporter cela.
Toucher la matière
affreuse ; soulever à plein bras la substance
nauséabonde qui souillait les capotes ; la
jeter, la verser plutôt dans la toile de tente dont
ils s'étaient munis, tandis que deux hommes,
revolver au poing regardaient, tous nerfs tendus,
vers l'avant !… Le sinistre cortège se mit en
marche.
Un gars, poing crispé sur la
crosse, marchait en tête.
Deux autres portaient, avec
quelle peine, leur trop lourd fardeau de viande
pourrie. Les deux derniers fermaient la marche.
Aller vite ? Nécessité impossible ! Moreau
l'avait dit tout à l'heure : c'est lourd, un
mort, et celui-ci était de la grande espèce. Cela ne
se laisse pas porter ! Ils n'avaient pu se
munir du bâton utile. Le premier porteur tenait la
toile de ses deux mains accrochées à son épaule. Le
mort collait au dos à chaque mouvement. Le liquide
infect qui déjà avait traversé l'étoffe mince
coulait sur la capote et la culotte. L'autre porteur
maintenait comme il pouvait la toile de tente en
avant de son corps. Ils marchaient dans la puanteur
épouvantable, retenant les hoquets dont ils ne
seraient plus bientôt maîtres. Pas de bruit
surtout : leur vie dépendait de leur silence.
L'infâme procession fit
cinquante mètres. Les hommes se relayèrent et se
collèrent tour à tour dans le dos la matière
innommable qui suintait du cadavre. Le boyau, par
à-coups, refusait le passage. Un vivant, cela épouse
les parois de terre, cela se glisse. Un mort, en
long, chose inerte et flasque, cela refuse de
passer. On eût dit que celui-là le faisait exprès,
qu'il y mettait de la mauvaise volonté. Il fallait,
à chaque instant, faire obéir la chair décomposée,
la tirer, la pousser, la soulever, la baisser. Une
crampe douloureuse crispait les bras usés qui
refusaient à leur tour le service de porter le
monstrueux et inutile fardeau.
Moreau vécut cette marche
funèbre comme un cauchemar où il usait, semblait-il,
ses dernières forces.
(…)
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