À la conciergerie d'un atelier parisien, Lucien
Bourgeois peine douze heures pour subvenir aux besoins
des siens. Homme à tout faire, coltineur et balayeur,
constamment à la brèche, rompu par l'effort excessif,
harcelé par l'état sans issue de prolétaire sans
métier, il trouve cependant le temps de lire et de
rêver – Dieu sait par quelle ténacité ! Nous l'avons vu
dans son étroit logement parmi ses livres,
accueillant, fraternel, mordant et vigoureux toujours
dans l'expression de sa pensée. Robert Garric, Jacques
Maritain, Poulaille sont parfois ses hôtes à la table
de cuisine, cette table sur laquelle, dimanche après
dimanche, au son criard du phonographe des bars
voisins, il composa l'Ascension, étonnante
autobiographie de jeunesse, dont la cinquième édition
demeure invendue chez Rieder. La revue de Barjac, Monde,
l'Humanité ont recueilli quelques nouvelles
éparses qui sont des fragments d'autobiographie
romancée. Mais aucun éditeur français n'a voulu des
cent et quelques Poèmes des faubourgs et
d'ailleurs, dont l'auteur nous a récemment
confié le manuscrit. Seule, la « Neue Bücherschau »
de Berlin, sous la plume d'un traducteur (1),
présente à l'Allemagne notre « poète du prolétariat
parisien ». Il est vrai que Jean-Richard
Bloch, Maurice Bouchor et la comtesse de Noailles ont
fait le meilleur accueil au manuscrit, mais il a fallu
que leur voix ne fût pas écoutée et que celui-ci
demeurât quatre ans dans les archives d'un éditeur à
la mode, avant de revenir à l'auteur. Les feuillets en
sont fripés et jaunis, mais la fraîcheur et la vigueur
des poèmes n'apparaissent que mieux au lecteur
impartial et sensible à la souffrance humaine. Les
vers ne sont pas sans défauts mais la cadence est
belle et l'inspiration fait songer parfois à l'âpreté
des Villes tentaculaires. Nous avons choisi
quelques poèmes parmi ceux que l'auteur nous a confiés
et ne donnons ici que ceux d'entre eux qui nous
paraissent avoir la plus grande valeur littéraire en
même temps que le cachet le plus prolétaire. Les « poèmes des
faubourgs » sont parisiens ; les poèmes
« d'ailleurs » sont nordiques, des
cités du Borinage. Le dernier thème est plus récent et
composé à notre intention. Les uns et les autres ont
l'accent d'une émotion profonde dont l'expression
virile est fortement rythmée.
Arnold Brémond.
1. Arthur Arnold.
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