Éditions  PLEIN CHANT
Collection Voix d'en bas



Lucien Bourgeois
Poèmes des faubourgs et d'ailleurs

Collection Voix d'en bas


 Page 16
       

LES FUMÉES


Le déroulement des fumées
Monotonement lent, pareil,
Monte doucement vers le ciel
De la forêt des cheminées.

Ainsi que de luisants espoirs
Elles passent dessus la ville
Répandant l'âcre senteur vile
De leurs longs serpents gris et noirs.

Sombres panaches d'incendie,
Mieux encore traînes de deuil
Qui s'en vont mourir loin des seuils
Où l'enfer rouge s'irradie.

L'enfer, je le dis sans détours ;
D'où viennent leurs longues traînées ?
Des mille et une cheminées
Montant partout telles des tours.





« Un poète inédit du prolétariat français »
LUCIEN BOURGEOIS


par Arnold Brémond.

Revue du christianisme social, mai-juin 1930


À la conciergerie d'un atelier parisien, Lucien Bourgeois peine douze heures pour subvenir aux besoins des siens. Homme à tout faire, coltineur et balayeur, constamment à la brèche, rompu par l'effort excessif, harcelé par l'état sans issue de prolétaire sans métier, il trouve cependant le temps de lire et de rêver – Dieu sait par quelle
ténacité ! Nous l'avons vu dans son étroit logement parmi ses livres, accueillant, fraternel, mordant et vigoureux toujours dans l'expression de sa pensée. Robert Garric, Jacques Maritain, Poulaille sont parfois ses hôtes à la table de cuisine, cette table sur laquelle, dimanche après dimanche, au son criard du phonographe des bars voisins, il composa l'Ascension, étonnante autobiographie de jeunesse, dont la cinquième édition demeure invendue chez Rieder. La revue de Barjac, Monde, l'Humanité ont recueilli quelques nouvelles éparses qui sont des fragments d'autobiographie romancée. Mais aucun éditeur français n'a voulu des cent et quelques Poèmes des faubourgs et d'ailleurs, dont l'auteur nous a récemment confié le manuscrit. Seule, la « Neue Bücherschau » de Berlin, sous la plume d'un traducteur (1), présente à l'Allemagne notre « poète du prolétariat parisien ». Il est vrai que Jean-Richard Bloch, Maurice Bouchor et la comtesse de Noailles ont fait le meilleur accueil au manuscrit, mais il a fallu que leur voix ne fût pas écoutée et que celui-ci demeurât quatre ans dans les archives d'un éditeur à la mode, avant de revenir à l'auteur. Les feuillets en sont fripés et jaunis, mais la fraîcheur et la vigueur des poèmes n'apparaissent que mieux au lecteur impartial et sensible à la souffrance humaine. Les vers ne sont pas sans défauts mais la cadence est belle et l'inspiration fait songer parfois à l'âpreté des Villes tentaculaires. Nous avons choisi quelques poèmes parmi ceux que l'auteur nous a confiés et ne donnons ici que ceux d'entre eux qui nous paraissent avoir la plus grande valeur littéraire en même temps que le cachet le plus prolétaire. Les « poèmes des faubourgs » sont parisiens ; les poèmes « d'ailleurs » sont nordiques, des cités du Borinage. Le dernier thème est plus récent et composé à notre intention. Les uns et les autres ont l'accent d'une émotion profonde dont l'expression virile est fortement rythmée.

Arnold Brémond.

1. Arthur Arnold.

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