Éditions  PLEIN CHANT
Collection Voix d'en bas

Panaït ISTRATI
Le vagabond du monde

Textes recueillis, présentés & annotés
par Daniel Lérault

1991


Aux éditions Plein Chant


Notes et reportages d'un vagabond du monde
(extrait, p. 246-247)



Détail d'une photographie prise en 1907.


   

Se réalisent-ils jamais les vieux rêves ?

Quand, en parlant ou en écrivant, nous voulons paraître ce que nous ne pouvons pas être, nous devenons banals et ennuyeux. En cela, l'art même renferme une bonne dose de fausseté. Ne pourrait-on pas faire autrement ? détruire le conventionnel, nous rapprocher de la sincérité des animaux ?

Je n'ai jamais songé à écrire des livres ! encore moins à m'empêtrer dans une suite d'élaborations prétentieuses : ma longue passivité en est le meilleur témoignage. Dès mon adolescence, je me suis aperçu de la fragilité de l'art voulu, alors même qu'il est « réussi ». Seule la spontanéité charme, infatigablement, tel l'aspect désordonné de la terre, laquelle est inégale jusque dans la succession de ses jours et de ses nuits.

C'est ainsi que j'ai aimé être un élément, une bête inconsciente. Et je l'ai été, jusque voici cinq ans, lorsqu'un coup de baguette me fit connaître bien des choses agréables, mais aussi la rigidité des contrats éditoriaux qui vous obligent à pondre de l'art, contre une mensualité qu'on peut tout aussi bien obtenir en fabriquant des saucissons à Arles (au milieu d'« antiquités remarquables », précise Larousse).

Maintenant, je reprends mon « ancienne vie », la nouvelle sur les épaules, tâchant de la semer en route, petit à petit. (Il est plus difficile de redevenir une bonne bête, que de devenir littérateur à mensualités). Certes, je ne pourrai plus me débarrasser du poids de l'art vendu à l'aune. Il faudra que je continue à « respecter » mes engagements. Mais au moins je respirerai.

Dans ces Notes et reportages, que je griffonnerai sur mes genoux, j'oublierai l'écrivain pour n'être que le vagabond, insouciant du style, de la composition. Je dirai les choses telles qu'elles se présenteront à mon esprit après les avoir vécues sur mes nouvelles routes et sur les anciennes. Ce sera le roman pris sur le vif de mes dernières pérégrinations.

Quel roman ! Jamais le monde n'a été plus digne de notre intérêt qu'aujourd'hui. Jamais il n'a eu tant besoin d'être vu avec des yeux passionnés, qui l'aiment et qui le détestent ! qui lui expriment toute la sympathie et toute la haine qu'il mérite de la part d'un homme partial.

Car nous sommes tous partiaux, quoi qu'on en dise, et je le suis plus que quiconque, j'ai mes raisons, comme vous les vôtres. C'est pourquoi j'admets le combat.


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