Se réalisent-ils jamais les
vieux rêves ?
Quand, en parlant ou en
écrivant, nous voulons paraître ce que nous ne
pouvons pas être, nous devenons banals et ennuyeux.
En cela, l'art même renferme une bonne dose de
fausseté. Ne pourrait-on pas faire autrement ?
détruire le conventionnel, nous rapprocher de la
sincérité des animaux ?
Je n'ai jamais songé à
écrire des livres ! encore moins à m'empêtrer
dans une suite d'élaborations prétentieuses :
ma longue passivité en est le meilleur témoignage.
Dès mon adolescence, je me suis aperçu de la
fragilité de l'art voulu, alors même qu'il est
« réussi ». Seule la spontanéité charme,
infatigablement, tel l'aspect désordonné de la
terre, laquelle est inégale jusque dans la
succession de ses jours et de ses nuits.
C'est ainsi que j'ai aimé
être un élément, une bête inconsciente. Et je l'ai
été, jusque voici cinq ans, lorsqu'un coup de
baguette me fit connaître bien des choses agréables,
mais aussi la rigidité des contrats éditoriaux qui
vous obligent à pondre de l'art, contre une
mensualité qu'on peut tout aussi bien obtenir en
fabriquant des saucissons à Arles (au milieu
d'« antiquités remarquables », précise
Larousse).
Maintenant, je reprends mon
« ancienne vie », la nouvelle sur les
épaules, tâchant de la semer en route, petit à
petit. (Il est plus difficile de redevenir une bonne
bête, que de devenir littérateur à mensualités).
Certes, je ne pourrai plus me débarrasser du poids
de l'art vendu à l'aune. Il faudra que je continue à
« respecter » mes engagements. Mais au
moins je respirerai.
Dans ces Notes et
reportages,
que je griffonnerai sur mes genoux, j'oublierai
l'écrivain pour n'être que le vagabond, insouciant
du style, de la composition. Je dirai les choses
telles qu'elles se présenteront à mon esprit après
les avoir vécues sur mes nouvelles routes et sur
les anciennes. Ce sera le roman pris sur le vif de
mes dernières pérégrinations.
Quel roman ! Jamais le
monde n'a été plus digne de notre intérêt
qu'aujourd'hui. Jamais il n'a eu tant besoin d'être
vu avec des yeux passionnés, qui l'aiment et qui le
détestent ! qui lui expriment toute la
sympathie et toute la haine qu'il mérite de la part
d'un homme partial.
Car nous sommes tous
partiaux, quoi qu'on en dise, et je le suis plus que
quiconque, j'ai mes raisons, comme vous les vôtres.
C'est pourquoi j'admets le combat.
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