Éditions  PLEIN CHANT
Collection Voix d'en bas

Louis Nazzi : Un article paru dans Sincérité



Sincérité, Cahier mensuel d'art & de littérature par Louis Nazzi,  n° 1, octobre 1909
Deux numéros de Sincérité sont reproduits à l'identique dans :
Sincérité, suivi de Gégène & Nini, Plein Chant, Bassac, 2000


   



Crottes de bique de la littérature


On dirait des crottes de chocolat, mais
elles n'ont pas le même goût.

Littérature ! Littérature ! Quand tu nous tiens !
Il ne faut pas en douter. Dans la société collectiviste, en temps de famine, les premiers citoyens mangés seront les poètes et les jeunes artistes, dont la chair est fraîche, saignante et succulente. Les critiques seront épargnés, qui sont bilieux, coriaces et fétides.
Dans un salon :
– Comment ? Monsieur fait de la littérature ? Monsieur est poète ? Monsieur écrit des livres ?
– Ah ! Ça va bien ! Ça va bien ! Ne gueulez pas si fort !
Il y a plus d'académiciens qu'on ne croit, qui meurent dans la peau d'un élève de rhétorique, de l'excellent élève de rhétorique qu'ils ont été, à dix-huit ans. Leur uniforme de cérémonie n'est que leur tunique de collégien, arrangée pour la circonstance, teinte et ornée de feuillages d'or, ces feuillages d'or qui composaient les couronnes des prix d'excellence.
Mon ami me disait, avec son indéfinissable sourire triste, de sa douce voix lassée :
– Ne crois-tu pas ? Il y aurait un beau livre à écrire, une sorte de manuel Roret, à l'usage des jeunes écrivains : De la souffrance, avec la manière de s'en servir.
Il n'y a encore qu'une méthode de travail qui compte: celle du laboureur, sillon sur sillon, et se reposer le dimanche.
Je disais à ce bonhomme : « Un beau livre, je ne le lis pas. Je le respire. » Il m'a pris pour un fou.
Certains livres, en manière d'avertissement discret au lecteur, devraient être marqués trois francs quarante-cinq. Quelqu'un me souffle : en sous.
En art, il y a quelques mâles, beaucoup de femelles. Les fœtus, on ne les compte pas.
Je définis le mépris : la politesse des forts.
Il n'y a de beau talent sans humilité, ni rudesse. Les grands artistes, comme les grands amoureux, ce sont les timides et les violents. Une œuvre d'art ne peut être qu'un acte de foi ou un cri de révolte.
On n'invente pas un poème ou un conte. Il s'invente.
Une raison de l'acclimatation de la pseudo-tragédie grecque, en France : les Grecs, eux aussi, ont le panache.
Nos jeunes auteurs, s'ils sont Grecs ?  Qui en douterait, à la façon dont ils démarquent les grands tragiques !
Ils veulent être classiques avant d'être nés. Il n'y a plus d'enfants !
Le Futurisme ! Le mot fait sourire. Mais : Il Futurismo ! Che bellezza !
Il faudrait pourtant lui donner un nom à cette école poétique qui célèbre les jardins potagers. Je propose le citrouillisme.
Régina Badet écrit de plus beaux poèmes voluptueux avec ses deux pieds menus que vingt poétesses ensemble, avec leurs longues mains sèches, tachées d'encre.
Il en est des disciples en littérature comme des jeunes chiens de chasse dans la plaine. Tandis que le limier harcèle et traque le gibier, les jeunes chiens se prodiguent, font un vacarme d'enfer, chantent victoire et suivent la piste, en sens inverse.
Un barrèsiste. – Bravo ! Bravo ! Déjà ! Rue Barrès !! Moi. – Non, pardon ! Rue barrée !
M. Maurice Barrès devrait méditer ces deux vers que chantaient mes petites compagnes d'enfance, dans leurs rondes gracieuses :
On n'attrape pas les morts,
On attrape les vivants...

Il y a plus de sagesse, de connaissance de la vie et de poésie spontanée dans ce distique sans prétention que dans toutes les idéologies filandreuses et emmêlées du fameux académicien.

Devant la France nationaliste, M. Maurice Barrès symbolise la Lorraine. Devant le suffrage universel, il représente le quartier des Halles. Quelle situation compliquée !

M. Léon Blum fait dire à Gœthe dans ses vivantes et courageuses, bréviaire de sincérité littéraire : « Dans quelque vingt-cinq ans, le groupe de la Revue Blanche ou du Mercure sera le monde académique ; et les jeunes gens de ce temps-là attaqueront les gloires surfaites et les nullités parvenues, comme cela se passe aujour-d'hui. » Pour une fois, Gœthe a manqué de clairvoyance. Les jeunes d'aujourd'hui lèchent les pieds des nullités parvenues et les gloires surfaites ont une cour.

Il est un crime qui doit peser sur la conscience de la jeunesse littéraire de ce temps, si cette conscience et cette jeunesse existent : Nous avons laissé représenter le Beethoven de M. Fauchois.

Je ne sais rien de plus mufle qu'un vieil écrivain qui n'a rien fait. Si : un jeune écrivain qui ne fera rien.

Je redoute moins l'attaque de l'apache que l'accolade du jeune confrère.

Quand certains poètes parlent de la flûte de Pan, je songe invinciblement au mirliton de deux sous, autour duquel leurs vers s'enroulent.

On m'a dit : « Il en coûte de dire ce que l'on pense. » J'ai répondu : « Je ne pense pas à ce qu'il peut m'en coûter. »

Il fait beau voir reprocher à Dostoiewsky, à Thomas Hardy, à Octave Mirbeau, leur pessimisme, leur vision désolée et cruelle de la vie et des hommes, le caractère exceptionnel et morbide, pour tout dire, de leurs œuvres. Voudrait-on, par hasard, qu'ils eussent la santé de MM. Marcel Prévost, René Bazin et Michel Provin ?

Je ne connais pas dix jeunes écrivains. Je n'ai qu'un ami. Je vis solitaire dans un coin de campagne. Pourtant, quand je travaille, je ne suis jamais seul. Ceux que j'admire se penchent parfois sur la page que j'écris… Et, si je faute (1), j'entends la rude voix de Flaubert qui me gourmande…

Plus d'un soir, j'ai pleuré sur l'épaule de Verlaine…

Telle silhouette de femme, au crépuscule, m'a plus enseigné que toute une bibliothèque.

Il faut avoir tout lu, tout appris et tout oublié. Puis, partir, à son tour, comme un pauvre, un bâton à la main, sur les chemins de la vie.


(1) FAUTER n'est pas français, dites-vous ? Je le regrette (note de l'auteur).

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