Éditions  PLEIN CHANT
Collection Voix d'en bas




Présentation par Edmond Thomas
(extrait)



Marius Noguès
Grand Guignol à la campagne

Édition revue, corrigée et augmentée

Bassac, Plein Chant, 1985
Collection Voix d'en bas



  

[…] je réécris la profession de foi de Plein chant, j'évoque une démarche qui s'applique à la plupart des livres édités sous cette enseigne – pour ne pas dire tous – depuis bientôt quinze ans. Les chefs-d'œuvre sont rares ; la propension des éditeurs à prétendre en déceler autant qu'ils publient de livres (reportons-nous aux « quatrièmes de couverture ») dépasse présentement les limites du raisonnable et recouvre une duperie qu'en d'autres domaines on nommerait publicité abusive ou mensongère. Combien d'éditeurs pourraient se vanter sans risquer d'être ridicules de découvrir chaque année un Proust, un Gide, un Céline, un Giono, un Gracq ? – Un Guilloux, un Delteil, un Gadenne ? Peu ou pas. La réalité, c'est qu'il se publie une majorité de livres qui, s'ils font illusion aujourd'hui (ils sont, après tout, de leur temps) et ont l'air de répondre un instant aux superlatifs de leurs promoteurs, assommeront nos descendants comme nous assomment ceux de Claude Farrère, des frères Tharaud ou d'Henry Bordeaux pourtant tirés à des dizaines de milliers d'exemplaires il y a seulement cinquante ans. La course au chef-d'œuvre est illusoire ou me semble telle. Je crois plus utile de perpétuer ouvertement l'ancienne tradition des écrivains dits « du second rayon », tout aussi riche que le « premier » mais à coup sûr moins tributaire de la virtuosité, du savoir-faire, et dans lequel le grand livre se découvre à l'occasion en écho aux affinités et aux désirs du lecteur, créé en quelque sorte par lui et non plus imposé par le marché.

J'ai dit ailleurs combien ces « petits poètes » et ces écrivains étaient pour moi porteurs, révélateurs, catalyseurs de richesses profondes, contrairement aux célébrités qui œuvrent en surface et sont ainsi à même de toucher le plus vaste auditoire. J'ai voulu, montrer aussi, et nous sommes quelques-uns à confirmer chaque jour par notre travail, à quel point ces méconnus gardent ou garderont, à travers les générations, une poignée de fidèles pour transmettre leur parole. Ce sont parfois des écrivains parfaits, trop parfaits pour atteindre tout un chacun ; ce sont parfois des écrivains mis hors des normes communes par leurs défauts et qui ne peuvent parler qu'à quelques-uns, sensibles à ce que peuvent véhiculer de vrai et de fort leurs manques ou leurs excès. Par là même ce sont tous des écrivains dont le public ne peut être que fervent.
Noguès est pour moi de ceux-là, avec ses maladresses, ses pléonasmes, ses approximations, son sensualisme, ses combats que d'aucuns regardent comme d'arrière-garde. Mais aussi avec sa révolte, son lyrisme, ses trouvailles, sa verdeur, sa sensibilité. Avec enfin, tout à la fois, son souci constant de communication et la modestie de son existence retirée. C'est dans le jeu de ses contradictions qu'il nous attache, c'est dans celui de ses exagérations qu'il nous retient ou nous irrite. On l'a comparé à Ramuz et à Giono. La comparaison vaut ce qu'elle vaut. En tout cas, à ce jeu-là, Noguès n'a rien à gagner. Et surtout pas la reconnaissance de son identité réelle. Qui, hormis lui-même, s'est rendu compte du fait que sa démarche en littérature est proche de celle d'un peintre en peinture ? Il n'est d'ailleurs que de constater l'abondance des discours sur cet art dans ses livres. Noguès travaille comme un peintre qui ne serait pas passé par les académies : il y a une certaine naïveté, une brutalité, dans sa façon de manier les mots, et même une gaucherie instinctive qui sont les éléments constitutifs d'une technique à la fois élémentaire et élaborée, primitive aussi et en cela proche de l'expression essentielle. Ici, des rencontres inhabituelles de nuances fortes font hurler le tableau, là un fourmillement de détails l'apparente au pointillisme, ailleurs un rythme de cascade irrépressible nous plonge dans un univers expressionniste. L'ensemble est certes composite, mais à l'unité de construction qui lui manque se substituent une poésie, un ton, une langue qui sont propres à Noguès, qui sont, à travers l'unicité de leur rencontre, la marque de sa création. Voilà en quoi l’œuvre de notre ami est originale et voilà pourquoi le désir m’a saisi de rééditer ses livres en souhaitant qu’il en écrive d’autres.




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