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[…] je réécris la profession de foi de Plein
chant,
j'évoque une démarche qui s'applique à la
plupart des livres édités sous cette enseigne –
pour ne pas dire tous – depuis bientôt quinze
ans. Les chefs-d'œuvre sont rares ; la
propension des éditeurs à prétendre en déceler
autant qu'ils publient de livres (reportons-nous
aux « quatrièmes de couverture »)
dépasse présentement les limites du raisonnable
et recouvre une duperie qu'en d'autres domaines
on nommerait publicité abusive ou mensongère.
Combien d'éditeurs pourraient se vanter sans
risquer d'être ridicules de découvrir chaque
année un Proust, un Gide, un Céline, un Giono,
un Gracq ? – Un Guilloux, un Delteil, un
Gadenne ? Peu ou pas. La réalité, c'est
qu'il se publie une majorité de livres qui,
s'ils font illusion aujourd'hui (ils sont, après
tout, de leur temps) et ont l'air de répondre un
instant aux superlatifs de leurs promoteurs,
assommeront nos descendants comme nous assomment
ceux de Claude Farrère, des frères Tharaud ou
d'Henry Bordeaux pourtant tirés à des dizaines
de milliers d'exemplaires il y a seulement
cinquante ans. La course au chef-d'œuvre est
illusoire ou me semble telle. Je crois plus
utile de perpétuer ouvertement l'ancienne
tradition des écrivains dits « du second
rayon », tout aussi riche que le
« premier » mais à coup sûr moins
tributaire de la virtuosité, du savoir-faire, et
dans lequel le grand livre se découvre à
l'occasion en écho aux affinités et aux désirs
du lecteur, créé en quelque sorte par lui et non
plus imposé par le marché.
J'ai dit ailleurs combien ces
« petits poètes » et ces écrivains
étaient pour moi porteurs, révélateurs,
catalyseurs de richesses profondes, contrairement
aux célébrités qui œuvrent en surface et sont
ainsi à même de toucher le plus vaste auditoire.
J'ai voulu, montrer aussi, et nous sommes
quelques-uns à confirmer chaque jour par notre
travail, à quel point ces méconnus gardent ou
garderont, à travers les générations, une poignée
de fidèles pour transmettre leur parole. Ce sont
parfois des écrivains parfaits, trop parfaits pour
atteindre tout un chacun ; ce sont parfois
des écrivains mis hors des normes communes par
leurs défauts et qui ne peuvent parler qu'à
quelques-uns, sensibles à ce que peuvent véhiculer
de vrai et de fort leurs manques ou leurs excès.
Par là même ce sont tous des écrivains dont le
public ne peut être que fervent.
Noguès est pour moi de ceux-là,
avec ses maladresses, ses pléonasmes, ses
approximations, son sensualisme, ses combats que
d'aucuns regardent comme d'arrière-garde. Mais
aussi avec sa révolte, son lyrisme, ses
trouvailles, sa verdeur, sa sensibilité. Avec
enfin, tout à la fois, son souci constant de
communication et la modestie de son existence
retirée. C'est dans le jeu de ses contradictions
qu'il nous attache, c'est dans celui de ses
exagérations qu'il nous retient ou nous irrite. On
l'a comparé à Ramuz et à Giono. La comparaison
vaut ce qu'elle vaut. En tout cas, à ce jeu-là,
Noguès n'a rien à gagner. Et surtout pas la
reconnaissance de son identité réelle. Qui, hormis
lui-même, s'est rendu compte du fait que sa
démarche en littérature est proche de celle d'un
peintre en peinture ? Il n'est d'ailleurs que
de constater l'abondance des discours sur cet art
dans ses livres. Noguès travaille comme un peintre
qui ne serait pas passé par les académies :
il y a une certaine naïveté, une brutalité, dans
sa façon de manier les mots, et même une gaucherie
instinctive qui sont les éléments constitutifs
d'une technique à la fois élémentaire et élaborée,
primitive aussi et en cela proche de l'expression
essentielle. Ici, des rencontres inhabituelles de
nuances fortes font hurler le tableau, là un
fourmillement de détails l'apparente au
pointillisme, ailleurs un rythme de cascade
irrépressible nous plonge dans un univers
expressionniste. L'ensemble est certes composite,
mais à l'unité de construction qui lui manque se
substituent une poésie, un ton, une langue qui
sont propres à Noguès, qui sont, à travers
l'unicité de leur rencontre, la marque de sa
création. Voilà en quoi l’œuvre de notre ami est
originale et voilà pourquoi le désir m’a saisi de
rééditer ses livres en souhaitant qu’il en écrive
d’autres.
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