Né en 1929 d'une boutade d'André
Thérive, le populisme se « manifeste »
dans L'Œuvre
sous la signature de M. Léon Lemonnier pour la
première fois le 29 juin de la même année. M.
Lemonnier, qui s'est institué prophète de ladite
école populiste, tient cette date pour historique,
et nous n'y voyons pas à redire. « Il en est
des écoles comme des livres : le public fait
leur succès », constatait-il avec un certain
plaisir en notant que son manifeste avait eu tout
de suite des échos dans la presse. De là à
conclure que le populisme était attendu, qu'il
marquait l'avènement des problèmes sociaux dans la
littérature, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite
franchi. En fait, le populisme suscita de nombreux
articles, quelques œuvres de second plan, et en
adopta d'autres. On créa aussi un prix littéraire,
mais surtout l'on a fait, et l'on continue de
faire un large usage du mot. Que d'œuvres et
d'auteurs furent sacrés
« populistes » ! « Il n'en
mourut personne, mais tous étaient touchés »,
écrirons-nous, paraphrasant le fabuliste.
C'est, paraît-il, à la crise du
logement, qui contraignit le jeune professeur
bourgeois Léon Lemonnier à habiter un immeuble dans
le XVIIIe, que nous sommes
redevables de cette école et du bruit fait à son
propos. Du moins, le romancier nous le déclarait-il.
D'abord dépaysé, il avait trouvé mauvais son destin
qui l'obligeait à vivre parmi les humbles. Chez lui,
quand on disait : « Ça fait
ouvrier », on avait tout dit. C'était un
reproche qu'il fallait éviter d'encourir. On se fait
à tout sans doute, puisqu'il parvint à s'acclimater
à son quartier. Si bien même qu'au bout de quelques
mois, il sentit qu'il « tenait » un milieu
pour un roman. Ce roman fut La femme sans péché. Le roman achevé,
éprouvant le besoin de justifier le choix du sujet
auquel il s'était intéressé, « il pensa au
populisme ». Cette explication du populisme,
outre le mérite de respecter les propres termes de
son inventeur, a celui d'être rapide. À dire vrai,
elle nous en apprend plus que les discussions, que
les réunions du Faubourg et de L'Effort, et que les enquêtes de
la Grande Revue et de la Revue
Mondiale. Et
elle situe le populisme sur son véritable terrain.
« Terrain de jeu littéraire », si je
puis dire. Il n'est point, en effet, question
d'expérimentation, mais d'observation indirecte.
C'est le peuple vu de la fenêtre et de la cage de
l'escalier.
En vain M. Lemonnier
regrettera-t-il que ce « peuple n'ait pas été,
aimé comme il aurait dû l'être ». En vain,
opposera-t-il le populisme, qui veut « le
peindre avec ses qualités et la pittoresque rudesse
de sa vie, au naturalisme, qui ne voyait en lui
qu"un troupeau bestial en proie à ses instincts et
appétits ». Force nous est de constater, en
nous reportant aux œuvres nées sous le signe
populiste, qu'il s'est strictement borné à la
préoccupation de « tenir un sujet ».
Préoccupation d'auteurs. Un pittoresque inédit, ou
presque, des types, des sites, des psychologies
moins galvaudées, d'admirables matériaux.
Malheureusement, les populistes
les utilisant restaient des intermédiaires
imparfaits, et non les traducteurs qu'ils se
voulaient. Ils désiraient, de bonne foi peut-être,
étudier et exprimer les classes laborieuses que les
chantres des mondes et demi-mondes privilégiés ne
daignaient point reconnaître. Mais les classes d'en
bas, dont ils ne connaissaient rien, ne leur
demandaient rien.
Dans les meilleures conditions
d'observation d'ailleurs, ces bénévoles interprètes
ne pouvaient surprendre, voire suivre, que les tics
et ce qui s'extériorise de la vie populaire. Or,
quelques vues en plongée, quelques bribes de
conversation ne sauraient suffire.
On dira : Mais on a cité des
noms, et chaque jour la liste s'allonge… Aux côtés
de Thérive et Lemonnier, il y avait déjà, dès les
premiers mois, les Paul Brulat, Louis La Gauche,
Léon Frapié, Joseph Jolinon, Léon Deffoux, Noël
Sabord, Frédéric Lefèvre, cent autres… Qu'est-ce que
cela prouve ? Le Prix populiste couronna Eugène
Dabit, Jules Romains, Jean Pallu, Henri
Pollès ; mais il est un prix parmi mille
autres, et, pas plus que les autres, il n'a rénové
ni vivifié le roman français. Demain on pourra
décerner la palme à M. Maxence Van der Meersch pour
son roman Quand les sirènes se taisent, cela ne sera pas plus
décisif pour les lettres françaises que les chefs
du mouvement espéraient pourtant ressusciter.
En définitive, le populisme,
malgré ses lettres de noblesse (du latin populus, s.v.p. !), est
surtout un adjectif qualificatif appliqué à tout
propos et souvent hors de propos. Mais ne soyons
pas injuste. Il y a au moins un fait qui prêche en
faveur du populisme. Il a permis aux écrivains qui
se disent eux-mêmes « prolétariens » de
se grouper entre eux. Les premiers groupements
d'auteurs prolétariens sont venus, en effet, en
réaction contre lui. Le populisme venait avec des
mines patelines ou pataudes : « Nous
allons parler des pauvres, des humbles. La vie des
petites gens, qui sont la masse, compte des
drames, et il y a matière chez le peuple à de
belles études psychologiques ». Tout le monde
semblait oublier que le peuple, autrefois
illettré, avait appris à lire, et que, non content
de rester le gros public consommant l'imprimé, il
voulait avoir, lui aussi, voix au chapitre.
N'était-ce pas à ceux de cette classe d'en bas qui
écrivaient, de parler, de s'exprimer, de dire
leurs aspirations, leurs révoltes, leurs espoirs,
leur vie ?
« On n'est jamais si bien
servi que par soi-même », dit le vieil adage
populaire.
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