Éditions  PLEIN CHANT




Henry Poulaille



La littérature et le peuple (Nouvel âge littéraire, 2)
Bassac, Plein Chant, 2003, "Les Amis d'Henry Poulaille", pp. 213-216.
Autour du « Populisme » était paru dans Paris-Soir, n° 3859, le 1er mai (bien sûr…) 1934, p. 8.



Autour du « Populisme »

par Henry Poulaille



Né en 1929 d'une boutade d'André Thérive, le populisme se « manifeste » dans L'Œuvre sous la signature de M. Léon Lemonnier pour la première fois le 29 juin de la même année. M. Lemonnier, qui s'est institué prophète de ladite école populiste, tient cette date pour historique, et nous n'y voyons pas à redire. « Il en est des écoles comme des livres : le public fait leur succès », constatait-il avec un certain plaisir en notant que son manifeste avait eu tout de suite des échos dans la presse. De là à conclure que le populisme était attendu, qu'il marquait l'avènement des problèmes sociaux dans la littérature, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi. En fait, le populisme suscita de nombreux articles, quelques œuvres de second plan, et en adopta d'autres. On créa aussi un prix littéraire, mais surtout l'on a fait, et l'on continue de faire un large usage du mot. Que d'œuvres et d'auteurs furent sacrés « populistes » ! « Il n'en mourut personne, mais tous étaient touchés », écrirons-nous, paraphrasant le fabuliste.

C'est, paraît-il, à la crise du logement, qui contraignit le jeune professeur bourgeois Léon Lemonnier à habiter un immeuble dans le XVIIIe, que nous sommes redevables de cette école et du bruit fait à son propos. Du moins, le romancier nous le déclarait-il. D'abord dépaysé, il avait trouvé mauvais son destin qui l'obligeait à vivre parmi les humbles. Chez lui, quand on disait : « Ça fait ouvrier », on avait tout dit. C'était un reproche qu'il fallait éviter d'encourir. On se fait à tout sans doute, puisqu'il parvint à s'acclimater à son quartier. Si bien même qu'au bout de quelques mois, il sentit qu'il « tenait » un milieu pour un roman. Ce roman fut La femme sans péché. Le roman achevé, éprouvant le besoin de justifier le choix du sujet auquel il s'était intéressé, « il pensa au populisme ». Cette explication du populisme, outre le mérite de respecter les propres termes de son inventeur, a celui d'être rapide. À dire vrai, elle nous en apprend plus que les discussions, que les réunions du Faubourg et de L'Effort, et que les enquêtes de la Grande Revue et de la Revue Mondiale. Et elle situe le populisme sur son véritable terrain. « Terrain de jeu littéraire », si je puis dire. Il n'est point, en effet, question d'expérimentation, mais d'observation indirecte. C'est le peuple vu de la fenêtre et de la cage de l'escalier.

En vain M. Lemonnier regrettera-t-il que ce « peuple n'ait pas été, aimé comme il aurait dû l'être ». En vain, opposera-t-il le populisme, qui veut « le peindre avec ses qualités et la pittoresque rudesse de sa vie, au naturalisme, qui ne voyait en lui qu"un troupeau bestial en proie à ses instincts et appétits ». Force nous est de constater, en nous reportant aux œuvres nées sous le signe populiste, qu'il s'est strictement borné à la préoccupation de « tenir un sujet ». Préoccupation d'auteurs. Un pittoresque inédit, ou presque, des types, des sites, des psychologies moins galvaudées, d'admirables matériaux.

Malheureusement, les populistes les utilisant restaient des intermédiaires imparfaits, et non les traducteurs qu'ils se voulaient. Ils désiraient, de bonne foi peut-être, étudier et exprimer les classes laborieuses que les chantres des mondes et demi-mondes privilégiés ne daignaient point reconnaître. Mais les classes d'en bas, dont ils ne connaissaient rien, ne leur demandaient rien.

Dans les meilleures conditions d'observation d'ailleurs, ces bénévoles interprètes ne pouvaient surprendre, voire suivre, que les tics et ce qui s'extériorise de la vie populaire. Or, quelques vues en plongée, quelques bribes de conversation ne sauraient suffire.

On dira : Mais on a cité des noms, et chaque jour la liste s'allonge… Aux côtés de Thérive et Lemonnier, il y avait déjà, dès les premiers mois, les Paul Brulat, Louis La Gauche, Léon Frapié, Joseph Jolinon, Léon Deffoux, Noël Sabord, Frédéric Lefèvre, cent autres… Qu'est-ce que cela prouve ? Le Prix populiste couronna Eugène Dabit, Jules Romains, Jean Pallu, Henri Pollès ; mais il est un prix parmi mille autres, et, pas plus que les autres, il n'a rénové ni vivifié le roman français. Demain on pourra décerner la palme à M. Maxence Van der Meersch pour son roman Quand les sirènes se taisent, cela ne sera pas plus décisif pour les lettres françaises que les chefs du mouvement espéraient pourtant ressusciter.

En définitive, le populisme, malgré ses lettres de noblesse (du latin populus, s.v.p. !), est surtout un adjectif qualificatif appliqué à tout propos et souvent hors de propos. Mais ne soyons pas injuste. Il y a au moins un fait qui prêche en faveur du populisme. Il a permis aux écrivains qui se disent eux-mêmes « prolétariens » de se grouper entre eux. Les premiers groupements d'auteurs prolétariens sont venus, en effet, en réaction contre lui. Le populisme venait avec des mines patelines ou pataudes : « Nous allons parler des pauvres, des humbles. La vie des petites gens, qui sont la masse, compte des drames, et il y a matière chez le peuple à de belles études psychologiques ». Tout le monde semblait oublier que le peuple, autrefois illettré, avait appris à lire, et que, non content de rester le gros public consommant l'imprimé, il voulait avoir, lui aussi, voix au chapitre. N'était-ce pas à ceux de cette classe d'en bas qui écrivaient, de parler, de s'exprimer, de dire leurs aspirations, leurs révoltes, leurs espoirs, leur vie ?

« On n'est jamais si bien servi que par soi-même », dit le vieil adage populaire.



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