Éditions  PLEIN CHANT

Les Amis d'Henry Poulaille


Jean Prugnot rappelle, en 1937, dans le journal P.T.T., le destin malheureux d'Auguste Brepson, ouvrier, employé, bouquiniste, écrivain méconnu, mort à Paris, dix ans plus tôt, à quarante-deux ans. Son unique livre publié (chez Rieder), Un Gosse, parut posthume, un an après sa mort, et resta ignoré.

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Auguste Brepson





    
Un Gosse est une autobiographie, l'histoire d'une enfance douloureuse. Rien des Malheurs de Sophie… Le tragique quotidien de la vie des miséreux. Pas des pauvres, mais bien : des miséreux. C'est de cette misère dont parlait Péguy qu'il est ici question. « On confond presque toujours la misère avec la pauvreté, écrivait Péguy dans son De Jean Coste. Cette confusion vient de ce que la misère et la pauvreté sont voisines ; elles sont voisines sans doute, mais situées de part et d'autre d'une limite ; et cette limite est justement celle qui départage l'économie au regard de la morale ; cette limite économique est celle en deçà de qui la vie économique n'est pas assurée… » Et, en effet, elle est loin d'être assurée, la vie économique, pour le petit Tiennot et sa grand'mère ! Si le père avait pu vivre et travailler au lieu de finir tuberculeux à l'hôpital, peut-être seraient-ils restés seulement des pauvres : hélas ! cette histoire est celle d'un enfant qui ne peut encore subvenir à son existence et d'une vieille femme qui tâte de tous les métiers pour qu'il y ait chaque jour sur la table un peu de soupe chaude.

Des métiers !… Ravaudeuse, femme de ménage, vendeuse de lacets et de boîtes de cirage au marché Saint-Médard, ou de fleurs qu'elle va chercher dans les bois, couseuse de draps de soldats, trieuse de chiffons… (« Elle partait chercher du travail et rentrait à la brune sans en avoir trouvé, et fourbue, sombre, avec toute la crotte de novembre à ses jupes… » Plus loin : « … Ma grand'mère rentrait grelottante la figure bleuie et les yeux hagards. Enfin chez nous tout manqua : le pain, le charbon, la lumière. Alors nous allâmes nous chauffer dans les églises et manger la soupe populaire… ») Il y aurait vingt passages à citer. Oh ! il faut lire. Il est impossible, lorsqu'on lit cela, de ne pas se sentir envahi par une immense pitié et une immense révolte ! Et, chez Brepson – de même que chez Bourgeois, nous le verrons, et peut-être plus que chez lui encore –, pas de violences de langage. Une pudeur constante, au contraire, une grande délicatesse et un ton simple, dépouillé, et c'est ce qui donne tant de force à ce qu'il a écrit. Combien alors apparaissent mesquins et surtout hypocrites les grands mots de ceux qui osent si souvent, et aujourd'hui encore (car aujourd'hui cette misère existe toujours), demander au peuple, exiger du peuple, des « sacrifices » – dont celui de la vie même pour la défense de…, la défense de quoi ?… Les malheureux n'ont rien à défendre, ni ici, ni ailleurs, de tout ce qui n'est que la légalité de leur effroyable exploitation.

« Lecteur benoît, bien au chaud, qui auras ce livre en main, ce récit te fera mal… » s'écriait avec émotion Poulaille, payé, lui aussi, pour savoir ce qu'est une enfance misérable. Il écrivait encore : « Cette œuvre sobre obligera son lecteur à un petit examen de conscience. On n'aime pas les pauvres. De bonne foi, parce que la bête qui est en l'homme aime ses aises et sa tranquillité ; on nie la misère en bloc, on la supprime de ses préoccupations… Je gage qu'Un Gosse paraîtra un témoignage, trop partial et non dénué d'exagération. Or, pour lui qui a tâté un peu ce dont il parle, c'est, d'un bout à l'autre, le reflet de l'authenticité absolue que ce livre. »

De tels documents sur l'enfance déshéritée sont extrêmement rares. Nous ne voyons à citer (langue française) à côté d'Un Gosse que certains chapitres des Damnés de la terre, de Poulaille lui-même ; Jours de famine et de détresse de Neel Doff ; quelques nouvelles de Bourgeois, en particulie : « Histoire de Marie » et « Nuche » et des pages de Didier, homme du peuple de Bonneff.

Brepson devait donner une suite à son livre. La mort l'en a empêché.

Mais quel éditeur voudra bien s'occuper de réunir ses nouvelles et ses contes épars dans les vieux journaux ? On demande un ou quelques hommes de bonne volonté…

P.T.T., 4 février 1937.

Extrait de Des voix ouvrières, Plein Chant, collection Voix d'en bas, 2016, p. 233.


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