Mémoires secrets de
Bachaumont. 15
Décembre 1778. M. de
Cailhava ne renonce point à faire recevoir
sa comédie des Journalistes : il
prétend l’avoir présentée successivement à
quatre Censeurs qui tous l’ont trouvée
très jouable, mais par crainte du
ressentiment des Aristarques baffoués,
n’ont osé signer leur approbation. Le
Poëte cherche aujourd’hui des protecteurs
à la cour & sollicite un ordre du Roi
qui mette l’approbateur à couvert ;
il a eu recours au Comte Jules de
Polignac.
Mémoires secrets de
Bachaumont. 3
Juin 1782.
On a parlé d’une comédie de M. Cailhava,
intitulée les Journalistes
anglois,
reçue aux François le 21 Juillet 1778 ; mais
qu’il y eut défense de jouer & même
d’imprimer. Les obstacles viennent de
cesser, & l’Auteur espere obtenir
bientôt son tour.
|
Cailhava (Jean-François Cailhava
de L'Estandoux ; 1731-1813)
donnait des détails dans la préface de
la pièce imprimée en 1782 (Paris,
chez la Veuve Duchesne, Libraire) :
« Elle fut reçue le 21 Juillet 1778, & elle
auroit paru tout de suite, si quelques
uns de nos Messieurs des Mille &
un Journaux, n’eussent pas essayé
de prouver par mille & une
raisons, que […] ce seroit un
crime affreux, un attentat contre les
loix & les bonnes mœurs, de railler
en public des personnes accoutumées par
état à déchirer périodiquement tout le
monde. »
La
comédie fut représentée pour la première
fois sur le Théâtre de la Nation [la
Comédie-Française] le samedi 20 juillet 1782. Après la
première représentation, Cailhava
modifia le texte pour tenir compte des
avis du public, et la version remaniée
fut jouée dès le lundi 22.
Dans la pièce, les journalistes
(anglais pour la forme, en réalité
français) étaient traités d’« Ecrivains
faméliques qui se vendent à l’avidité d’un
Libraire, lui promettent de faire assaut
d’injures, & tiennent boutique ouverte
d’éloges & de critiques ». Leurs analyses
critiques étaient qualifiées de
« ramas des barbouilleurs au
mois, à la semaine, à la
journée ». Les journalistes
s’injuriaient entre eux :
« N’avez-vous pas dit, vous,
que j’étais le fléau de
la littérature ? »,
demandait l’un d’eux, qui
s’entendait répondre :
« Vous que j’étois sans goût ». Le
directeur du journal reçoit dans
le même paquet une énigme et un
chapon :
« Imprimez »,
ordonne-t-il.
|
De Paris, le 6 juin 1781. M. Mercier
le Dramaturge vient de faire imprimer
dans le pays étranger, un ouvrage
satyrico-philosophique, intitulé :
le Tableau de Paris ; & un
Libraire de cette ville en a fait venir
deux ou trois cents exemplaires. La
police en a été instruite. On a saisi
les livres & emprisonné le
contrevenant ; on l’a même
interrogé pour savoir le nom de
l’auteur : mais le généreux
libraire a constamment refusé de le
déclarer. M. Mercier n’a pas voulu lui
céder en héroïsme : il a pris un
exemplaire de son livre dans sa poche et
a été le présenter à l’audience du
lieutenant de Police. « Monsieur,
lui a-t-il dit, j’ai appris que vous
cherchiez l’auteur de cet ouvrage :
voici en même temps le livre et
l’auteur. » Le lieutenant de Police
surpris n’a pu se défendre de quelque
intérêt pour un si galant homme. Il est
entré en discussion avec lui et lui a
promis de présenter l’affaire à M. de
Maurepas sous le jour le plus favorable.
On assure que par ce moyen elle n’aura
pas de suite et que M. Mercier en sera
quitte pour faire mettre des cartons à
quelques exemplaires, tandis que les
autres seront débités en secret tels
qu’il les a composés.
(Correspondance
secrète, politique & littéraire
[par Métra, Guillaume Imbert de Boudeaux,
et alii], tome onzième, Londres,
chez John Adamson, 1788,
p. 285.)
|
Tableau de
Paris
parut sans nom d'auteur, en 1781 (Hambourg
chez Virchaux ; Neufchâtel, chez Samuel
Fauche). Le lieutenant de police était
Jean-Charles-Pierre Lenoir, en
place depuis 1774.
|
Quand
Saineville avait tout de même quelque
scrupule à donner son approbation
officielle de censeur, il concluait
ainsi à propos des Observations de Mably sur
le Gouvernement et les lois des États
d’Amérique, où étaient
exposés le déisme et la théorie de la
tolérance : « Quelque plaisir
que j’aie eu à lire ce livre, je ne puis
l’approuver comme censeur (même, pour
une permission tacite). C’est à
Monseigneur à voir jusqu’à quel point il
peut fermer les yeux… Cet ouvrage,
fût-il expressément défendu, n’en
pénétrera pas moins.
(Jean-Paul Belin, Le
Commerce des livres prohibés à Paris de
1750 à 1789. Paris,
Belin frères, Libraires-Éditeurs, 1913, p. 32.)
|
Des Observations sur le
gouvernement et les lois des
Etats-Unis d'Amérique, par M.
l'abbé de Mably (Gabriel de Mably) on
connaît, en 1784,
deux éditions à l’étranger :
Hambourg, Chez J.G. Virchaux,
Imprimeur-Libraire ; Amsterdam,
chez J.F. Rosart & Comp. Une seconde
édition parut, toujours en 1784, Amsterdam
et Paris, Hardouin.
Les permissions tacites
demandaient l’approbation d’un
censeur ; elles étaient
portées sur le manuscrit, ou un
exemplaire imprimé, mais jamais
imprimées à la fin des ouvrages.
Le censeur ne donnait pas son nom
pour échapper aux sollicitations
de ceux qui auraient eu à se
plaindre du livre.
|
|